A Guantanamo, des dizaines de détenus en grève de la faim pour protester contre leur détention.

100 détenus de Guantanamo sur 166 sont en grève de la faim depuis plus de douze semaines, 130 d’après leurs avocats. Cinq prisonniers du camp sont des Tunisiens. La grève débutée depuis plus de quatre mois a pris une ampleur sans précédent. Pourtant la fermeture de cet héritage empoisonné de l’administration Bush, véritable casse-tête juridique et politique pour Obama, est loin d’être scellée.

«Maintenant, presque tous les prisonniers des camps 5 et 6 sont en grève de la faim, à part les plus vieux» affirme Obaidullah, jeune Afghan de trente-trois ans, détenu depuis onze ans, illustrant la grève de la faim la plus importante de la prison de Guantanamo depuis sa création.

Cinq Tunisiens sont encore détenus à Guantanamo : Lotfi Ben Ali, Abdel Ourgy, Hishem Sliti, Ridha El Yazidi et Adel El Hkimi. Ce dernier serait en grève de la faim suite à la profanation de Corans et à la fouille agressive que les détenus affirment avoir subi le 6 février 2013. Placé en isolement, pour avoir obstrué sa surveillance en plaçant une couverture sur l’objectif des caméras, son état de santé était jugé très critique. Ce natif de Ben Arous avait rejoint les camps d’entraînement d’El Qaida à Jalalabad en Afghanistan, après avoir résidé plusieurs années en Italie où il s’était marié ; Adel El Hkimi avait été par la suite condamné par contumace à 20 ans de prison en janvier 2005.

Aucun des cinq n’a encore été transféré malgré les déclarations de Hédi Ben Abbès, précédent conseiller de l’ancien ministre des Affaires étrangères, sur les ondes de Shems FM en septembre 2012, soutenant que les négociations avec les autorités américaines allaient bon train et que les cinq prisonniers tunisiens seraient rapatriés probablement avant la fin de l’année 2012. Ce dernier avait effectué une visite au camp de Guantanamo, au mois de juillet de la même année, lors de laquelle il avait rencontré les Tunisiens, et avait assuré par la suite que leurs conditions de détention s’étaient améliorées.

Cinq des vingt-trois grévistes, gavés de force par des sondes naso-gastriques, sont hospitalisés ; sans que leur vie ne soit en danger selon le lieutenant-colonel Samuel House, porte-parole de la prison. Un avis que ne partage pas les militants des droits de l’Homme et les avocats des détenus, notamment ceux de Nabil Hadjarab, un Algérien de 34 ans vivant auparavant en France, dont l’état de santé serait inquiétant. Ayant perdu plus de 20 kilos, il ne peut quasiment plus marcher ni parler à son oncle, Ahmed, au téléphone, depuis fin mars. D’après ce dernier, résidant près de Mulhouse en France, Il est alimenté de force deux fois par jour, « Ils l’alimentent par un tube dans le nez […] les pieds et les mains attachés […] C’est de la torture“.

La réaction de l’administration ne s’est pas fait attendre, à l’instar de nombreux autres grévistes, il a été placé en isolement, compliquant la collecte d’informations sur leur état. Devant l’immobilisme des autorités françaises (14 demandes leur ont été envoyées sans succès), son oncle a lancé une pétition sur change.org ; 11000 signatures ont déjà été recueillies.

«J’ai perdu tout espoir », assène quant à lui Obaidullah, en grève de la faim depuis le 6 février, « car je suis emprisonné à Guantanamo depuis près de onze ans maintenant et que je ne connais toujours pas mon destin». Humilié, « déshumanisé », il explique dans son témoignage, déclassifié par le ministère de la Justice et rendu public par ses défenseurs que «Onze années de [sa] vie [lui] ont été enlevées […] les autorités m’ont aussi pris ma dignité et ont manqué de respect à ma religion».

Depuis une fouille «imprévue, soudaine et irrespectueuse», effectuée le 6 février et qualifiée de véritable « racket », ils déclarent tous avoir été victimes de mauvais traitements rappelant amèrement l’ère Bush ; déclarant notamment que des Corans ont été inspectés de façon blasphématoire.

« Nos conditions sont devenues pire, pas meilleures, et il n’y a aucun espoir que nous partions un jour d’ici». Leur grève de la faim ne s’arrêtera que lorsqu’ils seront enfin «traités avec dignité».

« Libérez-les, renvoyez-les chez eux ou traduisez-les en justice ! »

Une pétition lancée sur la plateforme mondiale Change.org et signée par 150000 personnes, dont de hauts dignitaires de l’armée américaine, en seulement 48h a été envoyée au Président des Etats-Unis Barack Obama. Un des signataires et instigateur de l’initiative, le colonel Morris Davis, également ancien procureur militaire de Guantanamo, dénonce « un système où l’absence d’inculpation pour crime de guerre vous garde enfermé indéfiniment et où (au contraire) une condamnation pour crime de guerre vous donne un billet retour pour chez vous ».

«J’ai suivi des procès pour terrorisme à Guantanamo, et j’ai vu beaucoup de choses que je regrette d’avoir vues, a déclaré le Colonel Morris Davis. Guantanamo est coûteux, inefficace, et moralement condamnable.»

En plus d’une décennie d’existence, plus de 779 prisonniers sont passés par le calvaire des geôles de Guantanamo. Seuls trois, inculpés par le colonel David également signataire de la pétition, ont été reconnus coupables de crimes de guerre, et renvoyés dans leur pays. Six autres détenus ont été inculpés et sont actuellement renvoyés devant un tribunal militaire d’exception. Sur les 166 détenus, 86 prisonniers sont « transférables » ou « libérables », certains depuis cinq ans ; plus de quarante ne peuvent pas être traduits en justice faute de preuves. Clive Stafford Smith, avocat de quinze d’être eux, a précisé que dans les faits près de « 52% des prisonniers […] étaient qualifiés pour être libérés. »

Un système extra-judiciaire (aveux obtenus sous la contrainte, absence de procès) inique érigé en simulacre de justice : à peine 5% des détenus passés par Guantanamo peuvent être finalement poursuivis.

Une administration américaine sous le feu des critiques internationales… et cubaines

Ironiquement, le régime cubain, loin pourtant d’être considéré comme chantre des droits de l’Homme, se joindra aux critiques internationales, dès le lendemain de la conférence de presse du Président Obama. Le ministre des Affaires étrangères, Bruno Rodriguez Parrilla, ne mâchera pas ses mots devant l’ONU, le mercredi 1er Mai 2013, à l’occasion de la présentation du rapport national dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU) des droits de l’Homme à Cuba.

Qualifiant le camp de « centre de torture et de mort de prisonniers », il dit que le gouvernement cubain est « profondément préoccupé par le flou juridique permettant des violations permanentes et atroces des droits de l’Homme sur la base navale de Guantanamo, territoire cubain que les Etats-Unis ont usurpé » et demande ainsi la fermeture de la prison mais également, et surtout d’après certains observateurs, la restitution de la stratégique base navale de Guantanamo à la République de Cuba.

Plus de quatre années sont passées depuis la promesse et le décret signé par le Président américain, suite à son investiture en janvier 2009, de clore l’indigne épisode Guantanamo. Au printemps suivant le Sénat vote en majorité contre la fermeture de Guantanamo, peine perdue. En décembre 2009, la majorité démocrate du Congrès s’était indignée devant la solution de rechange proposée par Obama de faire acheter par le gouvernement fédéral une prison de l’Illinois pour y transférer les détenus restants. L’initiative taxée de « Guantanamo du Nord » s’était vue refuser les fonds nécessaires.

La crainte majeure de l’administration américaine serait que le vide juridique entrainée par la fermeture de Guantanamo – les procédures d’exception ont été déclarées illégales par la Cour suprême des Etats-Unis en 2006 – puisse conduire à la libération pure et simple de certains détenus tels que Khalid Cheikh Mohammed, jugé responsable des attentats du 11 septembre. Depuis Obama n’avait guère plus semblé s’intéresser au sujet, se dérobant derrière la responsabilité du congrès américain.

Le mouvement de protestation actuel l’a finalement fait sortir de sa réserve le poussant à renouveler sa vieille promesse : «Je continue de croire que nous devons fermer Guantánamo», ajoutant « Je vais examiner toutes les options dont dispose notre administration. Mais au final, nous aurons aussi besoin de l’aide du Congrès.» En attendant, la Maison Blanche a également indiqué qu’un nouveau responsable en charge de la prison de Guantanamo pourrait être nommé pour remplacer l’actuel responsable particulièrement réprouvé pour sa gestion brutale et provocatrice du camp.

Des déclarations critiquées par plusieurs militants des droits de l’Homme qui arguent que le président américain aurait pu faire libérer plus de la moitié des détenus, transférables depuis 2010, sans besoin de l’adhésion du parlement, en invoquant simplement la « sécurité nationale ».