polit-revue#34

La « bataille de Châambi » a continué de dominer l’actualité nationale de la semaine du 6 au 12 mai, tout en revêtant une dimension éminemment politique, à mesure que l’armée s’enlise sur le théâtre des opérations.

Pour l’exécutif, il a bien fallu l’admettre : en matière de bilan, c’est une période de vache maigre. Une puis deux arrestations à Kasserine les 7 et 8 mai, simplement en lien avec le groupe supposément retranché dans la montagne : deux présumés coupables d’acheminement de vivres.

La phalange Oqba Ibnou Nafaâ est tout au plus identifiée, un renseignement obtenu avec le concours du voisin algérien, tandis que la chaîne de propagande du régime syrien se réjouit de la déroute de l’armée tunisienne, pain béni pour les thèses contre-révolutionnaires de Damas.

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Tardives réactions de la troïka

Face au mutisme du Mont Chaambi, Ennahdha occupe le terrain, sur le tard, 10 jours après l’explosion de la première mine.

Après le triple « no pasaran » quelque peu maladroit de Moncef Marzouki au pied de la montagne mardi, et le laborieux grand oral du gouvernement à l’Assemblée mercredi, le parti au pouvoir convoque la presse jeudi, presque sommé de prendre position par rapport au terrorisme : un exercice délicat qu’affectionnent les médias davantage que le chef du parti islamiste.

Une conférence de presse d’Ennahdha est en soi un mini évènement, avec ses codes et ses usages, tel le rituel de la récitation du Coran en ouverture, cette fois assuré par Ameur Larayedh du bureau politique, qui dévoilait là un talent caché.

Le communiqué lu par Rached Ghannouchi est laconique. Il y est question des récentes réussites sécuritaires dont se prévaut le parti : Forum Social Mondial, pèlerinage de la Ghriba, etc., énumérés pour « rafraîchir la mémoire aux mauvaises langues ».

Alors que d’importantes avancées sont enregistrées par le dialogue national en vue de l’organisation d’élections, que la composition de la haute autorité de régulation de l’audiovisuel venait d’être annoncée, comme à chaque fois que le pays est sur la bonne voie, nous avons été surpris par une série d’actes étranges
déplore Ghannouchi.

Toutefois il ne versera pas pour autant dans la théorie du complot, en condamnant des « actes de violence commis par des groupes égarés » : « le djihad a autrefois contribué à chasser l’occupation, en l’occurrence il est employé à mauvais escient, au mauvais endroit » ajoute-t-il, avant de demander solennellement aux terroristes de déposer les armes.

L’autre axe de l’allocution sera le même que celui adopté par Ali Larayedh la veille devant l’ANC : il s’agit de relativiser les évènements de Châambi en rappelant que « le phénomène djihadiste ne date pas d’aujourd’hui ».

C’est, en apparence, l’argument le moins attaquable : le palmarès ancien, l’historique des attentats de Djerba jusqu’aux combats de Soliman, en passant par le facteur de l’internationale terroriste. Ce qu’omet le cheikh c’est l’échec de sa propre stratégie face au salafisme djihadiste, une mouvance tantôt rivale, tantôt draguée par Ennahdha.

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Prémices de l’importation du conflit en milieu urbain

« Nous avons réussi à confiner la menace terroriste hors de nos villes », déclare, satisfait, le ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou, qui accompagne sa déclaration d’un tour de vis sécuritaire : « Aucune bannière autre que le drapeau national ne sera tolérée au fronton des édifices publics. Il en va de même pour les réunions sans autorisation légale sur la voie publique ».

Moins de 24 heures après ce satisfécit, la défiance s’organise jeudi dans la petite ville touristique de Tabarka, aux prises avec un prosélytisme agressif. Premiers tirs de gaz lacrymogènes en direction d’une tente de prêche salafiste.

Pas un jour depuis sans que la même scène ne se reproduise ailleurs : la Marsa, al Mourouj, et surtout Sidi Hassine Sijoumi samedi, où un millier de salafistes résistent pendant des heures au démantèlement d’une tente géante, à coup de pierres et de jets de cocktails Molotov.

Mais ce ne sont que des escarmouches face à ce qui se prépare à Kairouan, avec l’interdiction de la 2ème réunion annuelle d’Ansar al Charia, enjeu déterminant pour la suite, certainement point d’orgue du bras de fer qui s’engage en marge de Châambi.

Pour le ministère de l’Intérieur, il est hors de question de laisser faire une seconde démonstration de force djihadiste dans le climat actuel. Pour Ansar al Charia, il en va de sa survie. Le défi est existentiel pour le mouvement qui avait rassemblé 10 000 sympathisants en 2012.

Quoi qu’il arrive, idéologiquement, le mal est déjà fait : dans les sites et les milieux salafistes, la généralisation de l’expression « Jond al taghout » (littéralement l’armée de la tyrannie) pour désigner l’armée régulière, signale une radicalisation délirante autour d’une idéologie scélérate qui a désormais ses référents propres, en rupture avec le monde qui l’entoure.

C’est elle qui fut à l’œuvre dans l’assassinat de l’officier de police Mohamed Sbouii à Jebal Jeloud au début du mois, un crime crapuleux avec un habillage djihadiste censé légitimer le grand banditisme.

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Une semaine antisociale

Lésé, le volet social est le grand absent de cette mi-mai politiquement délétère où les syndicats des forces de l’ordre multiplient les mouvements de protestation au Bardo pour alerter l’opinion sur leurs conditions de travail.

Trop occupé à engranger les points politiques en provenance directe de l’aubaine Châambi, Nidaa Tounes n’a pas manqué l’occasion de convoquer une Assemblée nationale du parti vendredi, autour de son thème de prédilection : la sécurité.

L’heure est à l’union sacrée derrière les forces armées. Oublié le temps où durant son mandat de Premier ministre, Béji Caïd Essebsi considérait pourtant les syndicats de police comme « une calamité ».

De son côté, le succès populaire rencontré par Hamma Hammami à Kasserine puis aux sit-in des forces de l’ordre devant l’ANC vaudra au Front Populaire les théories les plus extravagantes sur les pages islamistes, à propos de l’implication fantasmée du parti dans les incidents de Chaambi.

Quant à al Joumhouri, le parti centriste renouait cette semaine avec sa propension naturelle au compromis.

En pointe pour vendre « les accords historiques » du Dialogue national, Maya Jribi salue soudainement des succès tous azimuts : régime politique, élections, et même les « fondamentaux de l’islam » qui ne seraient plus un obstacle à l’universalité des droits de l’homme dans la Constitution. Un empressement qui lui a valu une passe d’armes avec l’élue Karima Souid (al Massar), lors d’un meeting al Joumhouri à Carthage.

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Deux évènements scellent enfin la volte-face groupée de la classe politique contre les mouvements sociaux : l’annonce du lancement d’une campagne « anti grève jusqu’à fin 2013 » par Ajmi Lourimi, et une poignée de main Ghannouchi – Essebsi sous l’égide de l’UTICA qui organisait samedi son dialogue national de relance de l’économie.

Qui mieux que la droite des patrons pouvait réconcilier les conservatismes ?