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Force est de constater que le problème de l’exclusion politique, refait surface. Le débat sur la loi de l’exclusion politique, semble viser une force politique nouvellement Lancée dans le pays et qui semble rassembler du monde autour d’elle.

Il va sans dire, que cette discussion a surtout resurgi après la création du Parti « Nidaa Tounes », à sa tête El Béji Caid Essebsi.(35) Paradoxalement, le débat sur l’exclusion politique reprend une proportionnalité hors norme ces derniers jours.

Pour certains si la transition a pour but d’établir les valeurs démocratiques surtout en matière de prééminence du droit qui veut que l’Etat lui-même , et le citoyen sont tenus à respecter le Droit, tout en préservant la continuité de l’Etat en cette période d’évolution institutionnelle et juridique.

L’exclusion politique : essentielle en période de transition vers la démocratie :

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a déclaré « légitime » toute mesure prise afin de renforcer « une démocratie apte à se défendre » .(36)

C’est le cas des pays de l’Europe, à la sortie des régimes communistes, des lois de lustration ont été jugées nécessaires afin de protéger la démocratie de personnes « qu’on ne pouvait pas être certain qu’elles exerçaient le pouvoir conformément à des principes démocratiques, car elles n’ont jamais manifesté leur attachement à ces principes par le passé et n’ont donc aucune raison de vouloir les faire triompher aujourd’hui » (37)

La décision d’exclusion politique doit faire partie de la justice transitionnelle (38) en étant une question à part entière de celle là, d’autres défendent passionnément l’exigence de séparer l’exclusion politique du processus de la justice transitionnelle (39) , en la considérant comme étant une procédure révolutionnaire certes, mais totalement indépendante de cette dernière.

En effet , Un projet de loi excluant de la vie politique les membres dirigeants de l’ancien parti au pouvoir , a été présenté devant la commission des droits ,des libertés et des relations extérieures auprès de l’Assemblée Constituante , qui après lecture , à décidé de le renvoyer devant la commission de législation générale , qui , à son tour le déposera devant l’ANC durant une séance plénière . (40)

Le projet de loi, initié par le parti CPR, le Mouvement Wafa le parti Ennahdha(41) et le Parti Liberté et Dignité appelle à l’exclusion politique quasi totale de milliers de personnes (42) sur la base de leur affiliation politique passée (à peu près 20000 personnes), par le biais d’une liste préétablie.

Dans son article premier et deuxième le projet de loi dispose « Cette loi vise à prendre les mesures nécessaires afin de protéger la Révolution des acteurs de l’ancien Régime qui veulent l’enchevêtrer …sont concernés les responsables politiques sous l’ancien régime et au sein du RCD depuis le 2 Avril 1989 jusqu’au 14 Janvier 2010 » (43)

Le projet de loi précise, dans l’exposé des motifs, que ce genre de loi n’est pas une première en Tunisie (une loi de lustration a été établie lors de l’indépendance Tunisienne mais selon des procédures différentes) et qu’en droit comparé les pays de l’Europe Orientale et Centrale ont adopté des lois de lustration lors de leurs Révolutions.

Les personnes visées devraient avoir occupé des postes politiques gouvernementales (44) , partisanes (45) ou sécuritaires (46) . Le projet de cette loi de « protection de la Révolution » donne la responsabilité d’établir une liste préliminaire, à l’Instance chargée des Elections et prévoit un recours devant le Tribunal Administratif des personnes privées des leurs droits politiques conformément à cette loi.

Un délai de recours est établi avant l’établissement de la liste finale. La liste n’est publiée sur le site officiel de l’Instance ni mise à la disposition des Medias. Elle est seulement communiquée au Président de la République, au Chef du gouvernement et au Président de l’Assemblée Nationale Constituante . (47)

« RCD dégage » étant l’un des principaux slogans de la Révolution Tunisienne, ce projet de loi se présente comme une tentative de protection de la Révolution des anciens complices du régime déchu est légitime, qui s’appuieront « sur le népotisme et le prestige local pour gagner des sièges, et user de son influence pour s’immiscer dans les futures élections ». (48)

Cependant la polémique insiste sur la gravité de ces conséquences quant à l’objet et aux procédures de cette éventuelle exclusion politique.

2- La loi de lustration en étroite relation avec la justice de transition :

On vise par la justice de transition, celle qui statue sur le litige de l’exclusion politique, en période de transition vers la démocratie, que ce soit la justice ordinaire ou la justice transitionnelle.

Cependant selon le principe même de cette loi, il s’agit d’interdire l’exercice de certains droits politiques et non pas juger les concernés par cette loi ou encore les inciter à réparer les préjudices commis comme c’est le cas des étapes de la justice transitionnelle .

Certains pensent que l’exclusion politique, serait inefficace et tardive, du moment qu’elle n’a pas été prise au lendemain des élections du 23 Octobre 2011, c’est-à-dire dès lors que l’Assemblée Constituante a commencé l’exercice de son pouvoir normatif fondateur.

D’autres s’accordent sur le principe de la consacrer mais divergent sur le juge compétent, ou bien le juge ordinaire sera compétent ou bien le juge de la justice transitionnelle.

Mais qu’est-ce qu’un juge ordinaire avec les procédures pénales et civiles ordinaires peut faire, lorsque les preuves sont quasi-négligeables alors même que le crime est sans aucun doute commis, si ce n’est que la libération des non-coupables jusqu’à la preuve du contraire ?

Le juge ordinaire peut s’avérer compétent en la matière cela dit, on sera confronté aux problèmes d’absence totale ou quasi-totale de preuves matérielles.

Cela est du au fait que les ordres et faits portant atteinte aux droits de l’Homme et marqués par une forte oppression ou une abondante corruption se faisaient oralement sans documents officiels d’une façon informelle, en plus la destruction des archives, juste après les événements du 14 Janvier 2011 et spécialement derrière les murs du siège du RCD.

Selon le projet de loi tel présenté, c’est au juge administratif de trancher.

De plus on ne saurait cacher le problème de l’indépendance et l’absence d’assainissement dans le cadre de la réforme des institutions et de la justice.

On peut penser que si on charge, ce dernier de cette mission, la justice transitionnelle risque d’être vidée de sa substance du moment qu’elle a la mission fondamentale de poursuivre les coupables de crimes politiques, civils, économiques, pénales…

C’est pourquoi la poursuite des dirigeants de l’ancien régime peut être confiée au juge transitionnel dans le cadre du rétablissement de la vérité, la responsabilisation des criminels et la prévention de la répétition de ces crimes et faits punissables en luttant, par ailleurs, contre l’impunité.

Car n’oublions pas que ces mêmes personnes ont commis des abus de pouvoir, des enrichissements sans cause, des privations des droits de victimes, des atteintes physiques et morales. Ils ont violé les principes d’égalité des chances, et d’égalité devant la loi entre autres principes et droits fondamentaux.

En Tchécoslovaquie et en Albanie on a même créé « des commissions spéciales » pour surveiller le processus de lustration, en Pologne de règles de procédure spéciales doivent être respectées. Sans oublier la mise en place de mesures de réparation en faveur des victimes.

Cela dit, on est confronté à des obstacles qui peuvent entraver cette mesure préventive, tels que :

  • L’absence d’une volonté politique claire dans ce sens, du côté du gouvernement mais aussi des membres de l’Assemblée Nationale Constituante.
  • La lenteur du processus de réforme législative
  • La difficulté d’accès à l’information surtout avec l’endommagement des archives ou leur disparition.
  • Le déclenchement « d’une anti-révolution » et le danger de ses conséquences sur les objectifs fixés
  • Le danger de l’exploitation politique du processus de la Justice transitionnelle
  • Les entraves socio-économiques et la situation critique des institutions de l’Etat.
  • N’oublions pas qu’a l’aube de la Révolution Tunisienne et en hommage aux premières élections libres, transparentes et égales aux attentes du peuple, l’objectif primordial est la réconciliation, la coexistence et la paix entre les tunisiens, c’est pourquoi un dialogue consensuel s’avère être l’ultime solution pour sortir de cette problématique d’exclusion politique pour éviter les conflits.

    Les Tunisiens ont compris le message et ont gouté à l’oppression et la privation de toute forme de droit , refaire les mêmes erreurs sera fatale car de trop à notre société , il y a d’autres réformes qui peuvent constituer des solutions tels que le renforcement des pouvoirs locaux et la concrétisation de la gouvernance locale afin d’ éviter toute forme de centralisation du pouvoir et disperser les forces malignes et toute tumeur , qu’on croyait guérir en s’attaquant à son noyau dur mais qui reste toujours capable d’envahir et de détruire les structures et tout le système d’ailleurs.

    Le facteur « Temps » est aussi important. Prenons l’exemple de la Roumanie où Vingt-deux ans après la chute de la dictature de Ceaucescu , le Parlement roumain a voté la loi sur la lustration, rejetée par la Cour Constitutionnelle depuis 2010.

    Selon le professeur Hatem M’rad « les lois d’exclusion ont été adoptées dans des pays où le processus de réconciliation a été engagé à la suite de négociations, conférences et des tables-rondes tenues entre les anciens dirigeants et les nouveaux partis et membres de la société civile. Elles ont été adoptées souvent après l’adoption de nouvelles constitutions démocratiques telles qu’en Pologne, Hongrie. »

    Il s’agit de comprendre si nous sommes dans une période de consolidation de la démocratie, jusqu’à maintenant fragile et instable, ou dans un période où la démocratie est stable, bien établie.

    Les ingrédients nécessaires à la transition dépendent dans une large mesure à la force de la négociation et à un processus avancé de consensus et de calculs politiques, l’enjeu de ces facteurs a une influence directe sur « la loi de la protection de la Révolution » pour certains et « la loi de l’exclusion politique » pour d’autres.

    Cette idée est encore plus ficelé quand on voit que Des partis de la majorité au pouvoir et de l’opposition ont accepté de prendre part au dialogue lancé par le prèsident Moncef Marsouki le 15 avril 2013: il s’agit de Nidaa Tounes, du parti Républicain, du mouvement de la Pétition Populaire, d’El Emen, de l’Alliance Démocratique, d’Ettakatol, du Congrès pour la République, l’Initiative et d’Ennahdha.

    Le dialogue national lancé par le président Marzouki a été boycotté par deux acteurs de poids, à savoir l’UGTT et le Front populaire.

    Alors qu’Ennahdha et CPR , avaient auparavant, boycotté un dialogue national des partis lancé par l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens fin, fin 2012, pour sortir le pays de l’impasse politique, économique et sociale, sous prétexte de la présence de Nidaa Tounes dans le dialogue en question .

    Le Mouvement Wafa n’a pas participé à ces initiatives. Une loi pareille peut s’avérer précoce en l’absence d’une Cour Constitutionnelle et d’une Constitution afin de contrôler le respect et la constitutionnalité de la loi, si elle aura lieu d’être.

    Le terrain reste imprévisible, dynamique et en gestation permanente ; dans ce cas la loi de lustration dépend dans une large mesure des enjeux politiques et la frontière entre la sincérité ou la vengeance exprimée par ses défenseurs n’est pas aussi facile à établir.

    Les partisans du RCD dissout ne peuvent nullement être mis dans le même sac. D’ailleurs l’attitude menée Après les évènements du 14 Janvier reflète une certaine injustice quant à la responsabilisation des ex Rcdistes . Si on admet que les décisions au sein du RCD se prenaient à l’unanimité, il serait donc la responsabilité devrait inculper tous les acteurs du Parti .

    Cependant nous assistons à un tri dans la responsabilisation et les poursuites judiciaires lancées. Un referendum ou une consultation publique seraient peut être un bon choix si ce genre de loi s’impose, la recherche de la vérité de la machine RCD peut aussi disculper certaines personnes qu’on condamne rien que par rapport à une appartenance.

    ===== Notes de bas de page =====

    -35- Nida Tounes ou “ l’appel de la Tunisie’ est un parti politique qui vise à rassembler les forces démocratiques en opposition avec Ennahdha , Béji Caid Essebsi qui est à la tête du parti , âgé de 86 ans a occupé plusieurs postes sous le régime de Bourguiba, Ben Ali, et fut premier ministre du gouvernement provisoire du 27 février 2011 jusqu’aux élections du 23 Octobre 2011.

    -36- Vogt.vs Allemagne (1995), 323 (Sér A), Cour Eur. D .H.1.

    -37-Note 2 à la page 190, Malenovsky Jiri, Les lois de lustration en Europe Centrale et Orientale, une «mission impossible », Op. cit.

    -38- Samir Bettaieb, député à L’Assemblée Nationale Constituante.

    -39- Monia Brahem, députée à l’ANC est membre de Ennahdha.

    -40- « la Commission des droits, des libertés et des relations extérieures de l’Assemblée nationale constituante (ANC) a examiné l’ébauche de loi et fait plusieurs recommandations. Le règlement de l’assemblée exige que la Commission de la législation générale approuve le projet puis le soumette à l’assemblée en séance plénière, où l’adoption de la loi doit recueillir la majorité absolue des votes, soit 109 députés sur 217 », Tunisie: Le projet de « loi d’exclusion politique » ouvre la porte aux abus,Une interdiction généralisée de la participation politique menace les droits humains, Human Rights Watch,13 OCTOBRE 2012

    -41- Le projet de loi a été présenté par 71 députés, déposé le 29Novembre 2012 à la Commission de législation générale et la Commission des droits, des libertés et des relations extérieures, la version du projet est valable sur le site officiel de l’Assemblée National Constituante, en version arabe, le projet contient 10 articles avec un exposé des motifs. مشروع قانون أساسي عدد 2012/85 يتعلق بالتحصين السياسي للثورة (تم تقديمه من طرف 71 نائبا طبقا لأحكام الفصل 108 من النظام الداخلي

    -42-Cela concernerait entre autres les membres des gouvernements successifs; le secrétaire général et le secrétaire général adjoint du RCD; des membres du bureau politique et du comité central du parti; les secrétaires généraux des comités de coordination du parti, des sections régionales, et les présidents des sections locales du parti.

    -43- Traduite par l’auteur.

    -44- Les membres des gouvernements successifs; Ministres et membres du Cabinet présidentiel, (article 2 du projet de la loi organique n°85/2012.

    -45- Ayant collaboré ou étant adhérant dans le parti au pouvoir du régime Ben Ali ; le secrétaire général et le secrétaire général adjoint du RCD; des membres du bureau politique et du comité central du parti; les secrétaires généraux des comités de coordination du parti, des sections régionales, et les présidents des sections locales du parti, à l’exception de ceux qui ont milité pour l’indépendance de 1956. (Article 2 du projet).

    -46- Les fonctions sont dressées dans une liste limitative (article 2 du projet).

    -47- Article 8 du projet de la loi organique n°85/2012.

    -48- « Tunisie: Le projet de « loi d’exclusion politique » ouvre la porte aux abus, Une interdiction généralisée de la participation politique menace les droits humains », Human Rights Watch,13 OCTOBRE 2012.