Assemblée Nationale de la Constituante, Le Bardo. 10 décembre 2011. Crédit Photo : Hamideddine Bouali

Il y a un peu plus d’un mois une déclaration du député Mongi Rahoui sur les primes des députés faisait un tollé. Ces derniers réagirent en signant massivement une pétition à son encontre. Suite à cette polémique, l’idée de mettre en place un observatoire des abus commis par les journalistes à l’égard de l’Assemblée nationale consituante (ANC) était évoquée. Une initiative peu appréciée par certains députés ainsi que par le syndicat de base de l’information et de la communication, qui y voient une tentative d’atteinte à la liberté de la presse.

Il y a quelques jours le vice-président de l’ANC, Badreddine Abdelkéfi, expliquait que le bureau de l’ANC avait décidé de mettre en place un observatoire qui a pour mission de « mettre un terme aux déclarations et commentaires affectant l’image de l’ANC. »

Cette déclaration faisait suite à la polémique crée après des déclarations, le 19 avril dernier, du député Mongi Rahoui concernant les salaires des députés. Ces derniers n’avaient pas apprécié et une bonne centaine d’entre eux avaient signé une pétition contre lui. Suite à une discussion au sein du bureau de l’ANC, quant aux suites à donner à cette pétition, l’idée de créer un observatoire des abus des journalistes à l’encontre de l’ANC, afin de pouvoir porter plainte contre eux, a été évoquée. Même s’il ne s’agit là que d’une simple discussion, soumise à l’obligation de réserve, elle n’a pas manqué de susciter une rapide réaction.

Un observatoire juridiquement impossible

Ainsi Samira Merai, assistante du président de l’ANC chargée de la législation, s’étonne de l’affirmation de M. Abdelkéfi. Selon elle, rien n’a été décidé et mis en place car c’est juridiquement impossible. Il n’y a pas dans les textes la possibilité de mettre en place un tel observatoire. Elle a d’ailleurs expliqué lors de la réunion du bureau que : « S’il y a volonté de faire un observatoire, ce sera de manière informelle. »

De son côté M. Abdelkéfi se défend en expliquant qu’il ne s’agit ici que d’une idée et que rien n’a été mis en place. Un projet au simple stade d’idée mais un projet qui dérange. Car au delà du fait qu’il ne soit pas possible de le mettre en place du point de vue des textes, la question éthique est pleinement posée. Pourquoi vouloir mettre en place un observatoire des médias au sein de l’ANC quand la HAICA est mise en place ?

Samira Merai, elle, a tenu à préciser qu’en tant que député elle est pour la liberté de la presse et que de son point de vue « c’est à la HAICA de prendre en charge la question de la régulation des médias. »

Karima Souid, en tant qu’assesseur à la communication à l’ANC, voit surtout dans cette polémique une volonté de s’attaquer à la presse. Elle juge étrange la focalisation à l’encontre des médias et ne comprend pas pourquoi M. Abdelkéfi a fait une déclaration concernant la mise en place d’un tel observatoire.

Pour elle, cette polémique est révélatrice d’un problème de fonctionnement et de communication au niveau de l’ANC :

Ce qui se passe aujourd’hui découle de l’absence de cellule de communication au sein de l’ANC. Il faudrait mettre en place une cellule spécifique, avec un personnel non-élu, il faudrait choisir la communication, suivre le travail de l’ANC, s’occuper du site internet, mettre à jour les absences et les présences, faire un compte-rendu du travail…

Le Syndicat de base de la culture et de l’information a rapidement réagit. Nabil Jmour, son secrétaire général, déclare :

Pour nous, c’est un autre moyen de réprimer une information libre. C’est un revirement que nous trouvons dangereux, surtout que c’est une décision qui émane de l’Assemblée qui devrait être l’instance qui protège les acquis de la révolution, dont la liberté d’expression fait partie.

Rien d’étonnant pour lui à ce qu’une telle décision ai été évoquée : « Le parti majoritaire semble contre la liberté d’expression, mais nous allons tout faire pour la protéger. »

Il y a quelques temps une tentative de cantonner les journalistes à un certain périmètre au sein de l’ANC avait déjà posé problème. Aujourd’hui, alors que de nombreux députés et membres du gouvernement s’en prennent régulièrement aux journalistes, cette déclaration réveille à nouveau les soupçons quant à la volonté de restreindre la liberté de la presse.

Par ailleurs, on peut s’interroger sur le glissement qui a eu lieu. Car la polémique est partie du fait que certains députés considèrent que les propos du député Rahoui porte atteinte à l’ANC. Vouloir réguler la parole des députés est déjà une démarche étonnante. En profiter pour restreindre celle des journalistes, et donc restreindre le droit des citoyens à une information libre, l’est encore plus.