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Gabès by night. photo: SOS Environnement Gabes

Gabès, « la capitale de la mer », qui fut au début du christianisme le siège d’un archevêché, est une cité antique fondée par les Berbères bien avant les Phéniciens. C’est la deuxième ville du pays en termes de monuments, derrière Kairouan.

Elle est située dans le sud-est, au fond du golfe, à 406 kilomètres de Tunis. Passée sous contrôle allemand pendant la deuxième guerre mondiale, étant une garnison militaire, elle se voit détruite par les combats. Pendant les années soixante, les crues finissent par achever la majeure partie de ses citadelles, de ses bains, de ses faubourgs et de ses mosquées.

Ruinée, elle semble se retourner contre ses aborigènes. Vers 1970, via les unités du groupe chimique tunisien implantées à la demande des citoyens eux-mêmes, la ville entame une revanche. Chaque année, la production annuelle du phosphogypse est estimée à huit millions de tonnes. Cancers, asthmes et ostéoporoses minent la santé de trois cent mille personnes. Manifestement, certains chercheurs de l’Institut National Scientifique et Technique d’Océanographie et de Pêche (INSTOP) n’ont pas tort d’évoquer un « génocide urbain »…

Est-ce la malédiction de l’industrialisation ou plutôt les pseudos dits projets de développement durables de Ben Ali qui sont en cause ?

« Takapes », la carthaginoise en deuil, s’effondre entre le chômage et les feux des maladies chimiques meurtrières : deux enfants, une fille et un garçon de la même famille, se sont éteints au cours de ce mois. L’un des enfants, qui habitait tout près du groupe chimique, souffrait de L’hépatite. Le jour même, des violences ont éclaté, contestant les retombées désastreuses de cette industrie.

Qu’on y accède par le nord ou le sud, les reliefs et les traits de nature de Gabès sont identiques. Dès qu’on dépasse Kairouan en provenance de Tunis, il n’est pas difficile de constater une nette pollution atmosphérique causant des pathologies cardiaques et respiratoires et des cancers du poumon dus au gaz de radon et de la poussière chargée de composantes chimiques et de métaux (zinc , cuivre, chrome…).

group chimique tunisien de Gabes (20)

Plus on s’approche des « camps de concentration » d’unités du groupe, plus une couverture de brouillard et de fumée transforme en brun la couleur bleu du ciel.

A Gabès, c’est toujours l’arrière-saison. Seuls les palmiers agonisants sont témoin d’un oasis de paix qui s’est transformé par la force du temps en oasis holocauste. Bien qu’ils soient tachetés de noir, ils ne cessent de rappeler aux villageois le beau vieux temps. Délaissés, certains d’entre eux sont aujourd’hui l’ombre de ce qu’ils étaient il y a trois décennies. Tel un vieillard, beaucoup sont ceux qui se sont inclinés. Le sol, pollué par les rayons Gama, par le mercure et par le sélénium, constitue la racine même de la diminution de la biodiversité de ce golfe.

N’arrivant plus à tendre le tronc, ils donnent l’impression de s’incliner devant l’absorption du poison chimique. Vestige d’un passé révolu, ces végétations sombrent dans l’arbitraire des choix humains. La ville de l’oubli est celle ou les gaz toxiques étouffent la vie au quotidien. « Pendant les quarante dernières années, les deux tiers des palmiers sont disparus » selon l’Association d’Entretien de l’Oasis de la Plage d’Essalam. En effet, des spécialistes confirment que « la biodiversité a gravement diminué». L’industrie l’emporte sur l’agriculture. « En 1956, il y avait plus que deux cent cinquante espèces zoo benthiques. Trente-cinq ans après, le nombre a baissé à cinquante ».

zoo-benthiques-gabès

La production du groupe chimique s’appuie sur 75% de l’eau des fontaines ; ce qui a engendré un grand dévaste de la richesse végétale. En réaction, Les agriculteurs ont préféré liquider leurs terres. Souvent, ils les transforment en immobilier.

En particulier durant la nuit, la zone chimique secrète une odeur de charogne. Fétide, elle déclenche des crises d’asthme. Des analyses ont démontré que 60% de ceux qui ont subi un test médical ont un taux élevé de fluor. Un constat lourd de conséquence d’autant qu’il prouve la prolifération de certaines maladies chroniques.

Selon le médecin M. Béchir, membre de la commission régionale de la santé et de la sécurité professionnelle, « les autorités évitent de mener une étude sérieuse du phénomène parce qu’elles craignent l’opinion nationale et internationale ».

La ville semble confuse d’autant plus qu’elle tient à satisfaire les besoins sociaux de ses fils sans toutefois les exposer à des maladies du Groupe. Au cours de la révolution, les jeunes ont à plusieurs reprises bloqué la production des unités pour le droit à l’emploi. Ont-ils vraiment le choix ? Et leur santé ? Et celle de leurs descendants ? Qu’en est-il ? Voilà une communauté qui court, malgré tout, vers sa fin. Une tragédie dont les réalisateurs sont étrangement les acteurs victimes de ses scènes.

M. Hedi, retraité du groupe chimique, cherche d’arrache-pied à y trouver un travail à son fils ainé:

« Je sais bien qu’il coure des risques. Toutefois, il vient d’avoir trente ans. Il est dans l’obligation de s’auto-satisfaire. Au sud, on n’a pas trop le choix mes amis, les gens préfèrent mourir intoxiqués que de succomber devant la pauvreté et la besogne. C’est bizarre pour certains, mais c’est la règle du jeu dans le coin ».

L’Union régionale du travail, quant à elle, s’est adressée, par un appel, à l’administration de l’établissement en question. « Elle doit mettre en place une clinique dont les prestations sont gratuites, notamment les examens médicaux prénuptiaux ».

Le père des défunts a le morale en berne. Il est clair qu’il a du mal à en parler. Il soupire:

« Excusez mes mots, je ne peux imaginer que j’ai perdu mes gamins subitement. Et pourquoi ? Parce que le point ne dérange guère les autorités. De leur côté, personne n’a vu les maux des siens. Personne ! »

« A qui doit-on s’adresser ? Personne n’a l’air d’écouter. Je ne cèderai pas tant que je suis encore en vie. Personne n’est à l’abri de cette maudite peste. Quand auront-ils l’audace de bouger et de prendre les choses au sérieux ? Aujourd’hui ce sont les miens, demain c’est toute l’enfance de la région qui sera confrontée à cette issue. »

La NPK, autre groupe chimique à Sfax, a été fermé et a fait l’objet d’un projet de dépollution (projet Taparura) lancé en 2006.

Bien que La Tunisie ait ratifié la convention de Londres (1973) et celle de Barcelone (1976) pour la lutte contre la pollution, la situation à Gabès reste toujours non résolue. Le golfe, décrété “zone spéciale” par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, mérite une attention particulière, notamment en matière de mise en place d’une alternative de dépollution. Gabès rêve du respect des normes internationales et des droits humains permettant aux jeunes d’avoir un job sans être confrontés à des maladies chroniques.