Hakim-El-Karoui

Cela fait plusieurs mois que le dossier de l’audit des trois banques publiques — la Société tunisienne de banque (STB), la Banque nationale agricole (BNA) et la Banque de l’habitat (BH) — est sur la table du ministre des Finances. Entre satisfaire les exigences des institutions financières internationales et satisfaire les règles de la concurrence loyale, Elyès Fakhfakh a choisi la première option, mais pour quelles raisons ?

Depuis août 2012, le ministère des Finances a lancé un appel d’offres pour sélectionner trois cabinets qui effectueront l’audit complet de la Société tunisienne de banque (STB), de la Banque nationale agricole (BNA) et de la Banque de l’habitat (BH), ainsi que de leurs huit filiales. Cette décision vient en réponse aux exigences du Fonds monétaire international (FMI), citées dans son rapport sur l’évaluation de la stabilité du système financier, publié le mois même. Le seul problème, c’est que le FMI demande que ce soit des « cabinets internationaux »* qui fassent cet audit. C’est pour cela que le ministre des Finances a choisi de faire un appel d’offres international (voir le document confidentiel que nous publions ici) et non pas national, et cela malgré le fait qu’un audit fait par un cabinet étranger serait beaucoup plus coûteux qu’un cabinet local pour une prestation de qualité similaire. L’audit de la STB et de la BH coûtera à lui seul 4.972,221 DTN HT ! Comment payer ces prestations onéreuses en devises alors que la BCT a déclaré, il y a quelques semaines, que les réserves étaient au rouge avec seulement 96 jours d’importations ?!

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Et c’est là qu’Elyes Fakhfakh s’est attiré les foudres des experts comptables tunisiens. Ce fut d’abord l’Association des jeunes experts comptables de Tunisie (AJECT), qui a exprimé son indignation et contesté les critères de choix fixés, tout en l’accusant d’atteinte aux principes d’équité et d’égalité des chances en matière d’octroi de marchés publics. Ce fut ensuite le tour de l’Ordre des experts comptables (OECT) de contester ce qu’il a appelé une « orientation discriminatoire ». Selon Skander Arfaoui, expert comptable et membre de l’OECT, il y avait même une infraction de la loi du principe de l’égalité des chances pour l’octroi des marchés publics, qui ne permet pas aux cabinets étrangers d’exercer l’audit financier en Tunisie.

Le bras de fer continua entre le ministère des Finances et les experts comptables jusqu’à ce que l’OECT dépose une plainte auprès du Tribunal administratif contre le ministère pour infraction à la loi n°88-108 régissant la profession comptable en Tunisie, ainsi que pour non respect de l’égalité des chances en matière d’octroi de marchés publics. Se trouvant entre le marteau du FMI et l’enclume de l’obligation d’appliquer la loi tunisienne, M. Fakhfakh aurait trouvé une porte de sortie, qui est l’article 102 du décret régissant les marchés publics. Cela lui a permis de ne pas passer par les commissions des marchés, mais plutôt par une décision du Premier ministre.

L’avis des commissions des marchés de l’Etat des collectivités locales, des établissements publics et des établissements publics à caractère non administratif a force de décision à l’égard des ordonnateurs, des directeurs généraux des établissements publics et des établissements publics à caractère non administratif. Il ne peut être passé outre cet avis que par décision du Premier ministre sur proposition du ministre concerné ou du ministre chargé de la tutelle sectorielle de l’établissement public à caractère non administratif concerné.
ARTICLE 102

Cela a permis de désigner, pour la STB et trois de ses filiales, le groupement « PWC / MTBF ; Conseil Audit Formation » et, pour la BH et trois de ses filiales, le groupement « Roland Berger Strategy Consultant / FICOM ; ORGA Audit ». Quant à la BNA et deux de ses filiales, l’attribution de la mission est en cours.

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Il s’avère aussi, d’après une source qui a préféré garder l’anonymat, que Hakim Karoui travaille pour le cabinet « Roland Berger Strategy Consultant », le cabinet choisi pour l’audit de la BH. Selon une source au sein de la Banque de l’habitat, Hakim Karoui a assisté à une réunion de prise de contact du comité de pilotage de l’audit avec les responsables de la banque et de ses filiales.

Hakim Karoui, ex-banquier chez Rothschild & Cie, était sujet au lendemain de la révolution à de nombreux articles publiés par le site français Mediapart et repris ici par Nawaat, qui révélaient au grand public des lettres qu’il avait envoyées à Ben Ali pendant ses derniers jours et dans lesquelles il lui disait : « Même s’il y a de la manipulation, même s’il y a des terroristes infiltrés, vous êtes le Père de la nation ».

Lors d’une conférence qui a eu lieu le samedi 6 juillet 2013 à la fondation Temimi, pendant laquelle Hakim Karoui a expliqué le rôle qu’il avait joué dans les événements qui ont eu lieu pendant les semaines qui ont suivi la fuite de Ben Ali, une question lui a été posée sur ce qu’il faisait actuellement en Tunisie et sur ses relations avec le gouvernement. Au début, il n’a pas répondu à la question, et lorsqu’elle lui a été posée une seconde fois, sa réponse a été : « Je vais vous rassurer ! Je ne fais rien ! » … Bizarre comme réponse pour quelqu’un qui est en train de jouer un grand rôle dans la définition de l’avenir de l’une des plus grandes banques tunisiennes ayant participé à la construction de l’économie tunisienne.

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* Rapport du FMI No.12/241 du mois d’août 2012 (page nº5). “Tunisie : Évaluation de la stabilité du système financier.” : « La conjoncture actuelle offre une occasion de revoir la motivation et les modalités de l’intervention de l’État. Les banques publiques ont pris pour habitude d’appuyer les activités et les entreprises publiques non viables, leur structure de gouvernance accuse des faiblesses et leurs effectifs sont principalement constitués de fonctionnaires sans expérience des métiers bancaires. Outre qu’elles doivent s’attaquer à ces problèmes, les principales banques publiques doivent se soumettre à un audit approfondi de cabinets internationaux, avec notamment une évaluation de leur viabilité s’il est établi qu’elles doivent être fortement recapitalisées.»