Une du quotidien La Presse du vendredi 6 septembre 2013

Il y a deux semaines, le rédacteur en chef du quotidien francophone La Presse de Tunisie, Mongi Gharbi, démissionnait de son poste après près de trois ans de fonction. Il avait été élu en janvier 2012, alors que la rédaction tentait « une expérience démocratique » en choisissant d’élire le rédacteur en chef et son adjoint.

Suite à sa démission, il était remplacé par un nouveau rédacteur en chef nommé et non élu. Une démarche qui n’a pas plu à une partie de la rédaction qui a lancé une pétition, signée par près de la moitié des journalistes, qui souhaite revenir au système d’élection.

Ce conflit au sein de la rédaction a mis à jour une scission entre les journalistes et une remise en question du système des élections.

Démission de Mongi Gharbi et divergences au sein de la rédaction

Au sein de La Presse de Tunisie la rédaction est divisée. Pour ou contre les élections ? Pour ou contre le rédacteur en chef nommé ? Des dissensions qui peuvent sembler nouvelles mais qui ne le sont pas.

Pour Mohamed Hédi Abdelllaoui, journaliste de La Presse et impliqué dans le mouvement demandant à ce que le rédacteur en chef soit élu, si Mongi Gharbi a démissionné c’est à cause d’un ras-le-bol d’avoir à faire face à des tractations à son encontre pendant l’exercice de ses fonctions :

Il y a un conflit entre la nouvelle école et l’ancienne génération. L’ancienne école ce sont les alliés de Ben Ali, avec un PDG complaisant, qui ne peut pas entamer les réformes qu’il faut, parce qu’il y a des dossiers contre lui. C’est quelqu’un qui a défendu l’ancien régime rapporte-t-il.

Olfa Belhassine, elle aussi journaliste, donne une autre version. Elle était pourtant satisfaite de l’élection de Mongi Gharbi, car son travail lui plaisait. Mais après les élections il aurait choisi une ligne éditoriale qui manquait de neutralité et ne donnait plus à la rédaction le souffle dont elle avait besoin, témoigne-t-elle.

Et depuis la dernière crise au sein du gouvernement il avait trop de parti pris. Il y a eu des remarques à l’intérieur comme à l’extérieur du journal, il n’a pas apprécié et il est parti.

Mongi Gharbi, lui, explique sa démission de manière moins tranchée :

« Les conditions de travail étaient usantes, il n’y avait pas toujours les ressources nécessaires. Je suis à quelques mois de la retraite et je n’ai plus la force de travailler 12 heures par jour, 7 jours sur 7. Il y a donc l’environnement général du travail qui était une pression, et en plus de ça un groupe de personnes qui semble vouloir conquérir le journal. Moi j’ai toujours privilégié la pluralité, l’expression pluraliste et démocratique »

Pas de point du vue politique dans son travail d’après lui.

Il n’y a pas que l’approche de Mongi Gharbi qui divise. Le fait d’avoir nommé un rédacteur en chef sans passer par des élections accentue les dissensions.

Olfa Belhassine, qui a rédigé le PV suite à la réunion durant laquelle M. Grichi, le nouveau rédacteur en chef, a été mis en place, explique le déroulement des événements. Mongi Gharbi a démissionné le 27 août. Il fallait trouver quelqu’un pour le remplacer. Lors d’une réunion le jour même, l’idée a été émise de nommer M. Grichi. Mais rien n’a été décidé. Le lendemain, lors d’une réunion plus générale, il a été décidé de mettre en place M. Grichi comme rédacteur en chef pour une période de trois mois et d’évaluer régulièrement son travail, l’idée de repasser par des élections ne semblant plus vraiment convenir. « Nous avons voulu opter pour un consensus. » Mais elle explique que dès que la décision a été prise, des journalistes s’y sont opposés.

Elle explique aussi que si le rédacteur en chef adjoint n’a pas été nommé pour prendre la suppléance, c’est parce qu’il ne semble pas assez impliqué dans la rédaction et qu’il n’a pas souhaité assister aux réunions, au lendemain de l’annonce de la démission de M. Gharbi.

Par ailleurs il est question de temps et d’efficacité pour elle : « nous n’avons pas le luxe de refaire des élections immédiatement, et il faut que le journal continue de fonctionner. »

Mohamed Hédi Abdellaoui a une autre lecture de l’événement :« Pour rester dans la logique des élections, c’est le rédacteur en chef adjoint élu qui aurait dî suppléer à la vacance (…) Il y a aussi un lobby contre le rédacteur en chef adjoint, a qui on a proposé de remplir la vacance, mais sans qu’il y ait une note, ce qui l’aurait privé de certains droits. »

M. Abdellaoui n’est pas contre la personne qui a été nommée, mais explique :

Indépendamment de la personne, nous sommes attaché à un acquis de la révolution qui est à préserver : les élections. On ne doit pas revenir en arrière !

Elire un rédacteur en chef a-t-il du sens ?

Mais pourquoi élire un rédacteur en chef ? Interrogé, Mohamed Hédi répond :

« C’est logique. Un rédacteur en chef qui n’a pas l’aval d’au moins les deux tiers de la rédaction ne peut pas fédérer une équipe et être un animateur de groupe. Quand il est élu, le jour où il y a un parti pris, on peut retirer notre confiance. Voilà l’utilité des élections ! »

Un collègue, Ridha Maamri, explique : « Nous sommes attachés à l’expérience des élections. Nous tenons à ce projet, nous voulons créer une nouvelle tradition. »

Pourtant, dès le début, le principe des élections ne semblait pas convenir à tous. Mongi Gharbi explique lui même ne pas avoir été pour les élections, puis avoir changé d’avis :

Finalement c’est un moindre mal. Avec une élection on est tenu de fédérer, de rassembler, on doit travailler avec tout le groupe.

Olfa Belhassine explique qu’aujourd’hui une partie de la rédaction est contre le renouvellement de cette expérience :

A l’époque nous étions à la recherche d’une nouvelle formule, on tatillonnait. Mais finalement nous nous sommes rendus compte que les élections n’étaient pas une bonne chose. Ça nous a divisé. Deux clans se sont formés, qui se tenaient rigueur de tout rapporte-t-elle.

M. Gharbi explique avoir voulu passer le témoin à la jeunesse, et est catastrophé par la tournure que prend la situation. Pour lui, c’est l’avenir du journal qui est en danger. Et il espère que la communication se rétablira au sein de la rédaction.

De son côté, Mohamed Néjib Ouerghi, le PDG de La Presse, explique qu’il tient plutôt à se poser en fédérateur, même si le retour à une entente dans la maison semble difficile. Une réunion est prévue demain, 8 septembre, pour décider si le principe des élections est maintenu ou non.