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Il peut paraître surprenant que le mot « patrimoine » est issu d’un vocabulaire juridique, son utilisation, dans les acceptions que nous lui connaissons remonte à la fin des années 1980. II est alors utilisé pour désigner l’ensemble des productions humaines à caractère artistique que le passé a laissées en héritage.

II vient s’opposer ainsi à d’autres expressions jugées trop restrictives dans leur contenu, ou limitées au seul contexte nord-africain telles que le terme « Monuments historiques », notamment.

À la fin des années 1980, le mot « patrimoine » va donc signifier la dimension collective de l’héritage à travers la désignation de monuments, d’objets et de lieux chargés d’une valeur indiscutée. Mais en fait, le concept n’a cessé d’évoluer depuis cette première phase marquée, en particulier, par l’action de l’État et on peut même dire qu’il est encore aujourd’hui en voie de formation.

Si l’on continue à se pencher sur ce processus d’évolution, on remarquera que dès le début des années 2000, en Tunisie, l’extension de cette notion va tendre à lui faire déborder le seul domaine de l’histoire (ce qui ressort des musées, des monuments historiques, de l’archéologie monumentale), pour aborder des domaines nouveaux tel que l’ethnologie, l’anthropologie, les sciences et techniques et l’ensemble de la culture matérielle à travers, souvent ses manifestations les plus ordinaires ou les plus vernaculaires.

Quelques chercheurs universitaires vont, en particulier, aider à fonder cette acception plus large et pluridisciplinaire désignant des productions humaines les plus variées. On pourra remarquer, par ailleurs, que ce mouvement est parallèle à celui qui étend la notion de culture à l’expression d’une pluralité de cultures spécifiques et leur reconnaît, dans le même mouvement, une sorte de légitimité.

Dans ce nouveau contexte postrévolutionnaire, la question patrimoniale va changer de nature et ne pourra plus se décliner uniquement en termes de préservation, de sanctuarisation, tant du bâti monumental que des sites archéologiques.

Cette nouvelle logique se définit autour de l’idée de patrimoine vivant et, du même coup, installe l’homme au cœur de ce patrimoine dont la préservation n’est que la gestion commune des héritages culturels et naturels dont nous sommes dépositaires et comptables envers les générations futures.

Si ce moment est important et mérite qu’on s’y arrête, même brièvement, c’est parce qu’il s’y produit une sorte de renversement : d’une logique reproductive et continue de la préservation traditionnelle à une seconde logique qui ne nous inscrit plus uniquement dans une histoire rétrospective mais également projective. Dans le même mouvement, on peut également constater que ce sont les mécanismes mêmes de la sélection de ce qui est « patrimonialisable » qui changent.

Pour aller plus loin dans cette analyse, on notera du coup que le concept de patrimoine peut se décliner selon trois dimensions. On constatera d’abord que n’est collectivement accepté comme patrimoine que ce qui mérite d’être conservé du passé. De ce fait se pose la question des motivations spécifiques à chaque époque qui conduisent à accepter une partie du passé ou à le rejeter. Enfin, ceci nous amène à examiner les modalités par lesquelles le patrimoine a été progressivement apprécié, conservé et transmis. Si l’on suit cette logique, on constatera que le principe de sélectivité y est central et ceci nous amène à considérer un double fait :

D’une part, que les logiques patrimoniales sont présentes dans la longue durée ; c’est-à-dire que nous sommes bien obligés de tabler sur une préservation préalable.

D’autre part, que les formes de la patrimonialisation sont en renouvellement permanent, et que, de ce fait, la notion de patrimoine apparaît comme une construction sociale, inscrite dans son époque et en écho vis à vis des préoccupations du moment historique de sa construction.

En plus de ça, on peut ajouter l’ensemble de ces productions immatérielles, qu’on qualifiera de «patrimoine vivant». Elles identifient l’ensemble des traditions ou des pratiques inscrites dans la vie quotidienne d’une communauté, mise en œuvre par des porteurs de traditions, dépositaires et relais de la transmission, qui expriment les modèles et les valeurs du groupe, caractérisent la société et constituent la base même de son identité culturelle.

Cette notion recouvre alors l’ensemble des pratiques culturelles traditionnelles, les savoirs et les savoir-faire, ainsi que les personnes qui en sont les agents de transmission, les porteurs de traditions. Dans cette logique, les pratiques se regroupent à l’intérieur de trois champs : le champ coutumier (pratiques coutumières…), le champ pragmatique (pratiques du corps, alimentaires vestimentaires, techniques…) et le champ symbolique et expressif (pratiques ludiques et esthétiques, linguistiques, scientifiques, éthiques…). Cette démarche extensive de la question patrimoniale aide pour mieux appréhender notre histoire nationale trimillénaire.