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loi 92-52 du 18 mai 1992 relative à la consommation de stupéfiants

Au moins, s’il y a une chose sur laquelle il y a une quasi-unanimité en Tunisie, c’est le besoin de réformer la loi 92-52 du 18 mai 1992 relative à la consommation de stupéfiants. Magistrats, avocats, services de la répression du crime, associations et divers intervenants reconnaissent en effet la nécessité d’une telle réforme d’un texte aux carences devenues de plus en plus flagrantes.

Cependant, cette quasi-unanimité sur le principe de la réforme ne se retrouve pas quant au contenu des dispositions à envisager. Et ce n’est pas plus mal. L’enjeu étant singulièrement important, le débat et la confrontation des arguments ne peuvent être que bénéfiques, pour peu qu’ils puissent avoir lieu à l’abri des excès dogmatiques et du racolage électoraliste.

Parmi les questions délicates qui vont se poser, il y aura aussi celle de la distinction à envisager entre l’usager et l’usager-revendeur.

En guise de contribution à ce débat public et dans le cadre d’un éclairage au travers des politiques comparées en matière de lutte contre le trafic des stupéfiants, nous avons choisi aujourd’hui d’évoquer de la façon le plus neutre, l’exemple du cas français.

Par cette démarche nous avons opté de reproduire un extrait d’un rapport du Sénat français sur la question. Cet extrait nous semble proposer une excellente synthèse du cheminement de certains choix effectués sous d’autres cieux. Ledit extrait est issu d’un rapport datant de juin 2003 (cf. infra la référence complète). Il va de soi que ce rapport est endogène à la France, et il ne s’agit, pour nous, que de verser des éléments de réflexion, loin de ces tentations d’imitation, tellement indigentes par leurs manques d’imagination, ignorant le contexte local.

[début de l’extrait]

La délicate distinction entre l’usager et l’usager-revendeur

La loi distingue le trafic de l’usage, mais laisse à l’appréciation des magistrats la détermination de la frontière.

Dans les années 1970 et jusqu’au début des années 1980, l’usager-revendeur a plutôt été traité comme usager que comme trafiquant. Une nouvelle circulaire recommande pourtant en 1977 de requérir plus fréquemment des peines d’emprisonnement à l’encontre des usagers-revendeurs dont on dénonce le prosélytisme. Cette tendance à la fermeté s’accentue au cours des années 1980. La circulaire de 1984 revient sur la question de l’usage-vente. S’inquiétant de la progression de la délinquance liée à la toxicomanie, elle invite les procureurs à rechercher si la qualité de trafiquant prime sur la qualité d’usager chez les usagers-revendeurs. La circulaire du garde des Sceaux du 12 mai 1987 indique enfin que s’agissant de l’usager-trafiquant ou auteur d’un autre délit, il convient de poursuivre en priorité les actes de trafic.

Ni la Chancellerie, ni le ministère de l’intérieur ou de la défense n’ont jugé utile de fixer par circulaire un seuil, ou du moins de préciser des critères de distinction, estimant qu’il s’agit là d’une question jurisprudentielle.

Par conséquent, les politiques suivies en matière d’interpellation et de poursuite sont très variables. Comme l’a indiqué Maître Gérard Tcholakian, du Conseil national des barreaux, « cela se traite au cas par cas, parquet par parquet, tribunal par tribunal et aussi fonctionnaire de police par fonctionnaire de police. » Une personne interpellée à Paris ou à Foix avec 50 grammes de résine de cannabis se verra traiter d’une manière différente, ce qui paraît à la commission d’enquête préjudiciable. En effet, cette situation paraît peu satisfaisante et ne contribue pas à améliorer la compréhension et l’acceptation de la loi.

Or cette question revêt une grande importance, puisque si l’usager risque en définitive peu, la plupart des procédures se soldant par un avertissement ou un rappel à la loi, le trafic est fortement poursuivi et réprimé, et fait l’objet de règles procédurales dérogatoires.

Les services répressifs et judiciaires justifient cette situation par la nécessité de s’adapter aux circonstances. Ainsi que l’a indiqué lors de son audition le colonel de gendarmerie Christophe Metais, la distinction est souvent difficile à établir sur le terrain.

En effet, la distinction entre un usager et un usager-revendeur ne tient pas tant à la quantité ou au poids de la possession qu’à son comportement et à l’animation d’un groupe, soit à la sortie de collèges ou de lycées, soit à l’occasion de soirées. Les forces de l’ordre travaillent à partir des éléments recueillis à l’occasion des procédures diligentées pour usage, sur renseignements, voire d’initiatives en exploitant des surveillances de terrain. Les constatations établies à la suite des auditions faites dans le cadre des interpellations et versées aux procédures, les renseignements fournis par la police sur l’intéressé, ainsi que les résultats des filatures et observations vont permettre aux magistrats de se faire une opinion, comme l’a indiqué M. Yves Bot, procureur de la République de Paris. L’un des éléments à prendre en compte concerne également le train de vie de la personne, selon l’âge et l’environnement familial, ainsi que les recoupements et l’analyse des comptes-chèques. Les éléments factuels de l’interpellation interviennent également. Ainsi, en présence d’une personne interpellée en possession d’une importante somme d’argent, il est nécessaire de procéder à des vérifications complémentaires (antécédents).

Néanmoins, le trafic est établi si une personne porte sur elle une quantité manifestement incompatible avec une consommation personnelle journalière (comme une dose létale par exemple).

Mme Catherine Domingo, substitut du procureur de la République de Bayonne, a ainsi indiqué lors de son audition que la détention (qui est un acte de trafic) peut être poursuivie alors même que la personne ne se trouve pas en position de revente : « On peut considérer qu’à partir de 20 à 30 grammes de résine de cannabis, les personnes peuvent faire l’objet de poursuites, que ce soit en composition pénale ou devant le tribunal correctionnel. »

Comme l’a fait observer M. Michel Bouchet, chef de la MILAD, qui a indiqué à la commission d’enquête avoir connu « la période où pour quelques grammes on était considéré comme trafiquant, ce qui était par ailleurs peut-être excessif », on a observé un déplacement du seuil : « Il y a quelques années, une personne qui était interpellée en possession de 50, 100, 150 ou 200 grammes de cannabis était considérée comme détentrice et non pas consommatrice et apparaissait donc comme trafiquante. Or, au fil des années, ces mêmes personnes soit faisaient l’objet d’une transaction douanière aux frontières du Nord, soit n’étaient plus considérées, en un autre point du territoire, comme des trafiquants mais comme des consommateurs. » Il a d’ailleurs cité le cas d’une personne interpellée avec 400 grammes de résine de cannabis et poursuivie uniquement pour usage. Ces données expliquent selon lui dans une large mesure l’évolution à la baisse de la part des trafiquants dans l’ensemble des interpellations.

Enfin, M. Dominique Perben, garde des Sceaux, s’est interrogé lors de son audition sur la notion-même d’usager-revendeur : « En effet, il est bien difficile de distinguer les choses dans la réalité. On n’est pas simple consommateur très longtemps. D’ailleurs, y-a-t-il véritablement de simples consommateurs sachant qu’il y a très vite revente, échange, transport et détention de stupéfiants ? La limite est très floue et très incertaine. Le fait d’accentuer les conséquences de la distinction repose sur le présupposé que cette distinction est réelle. Or elle l’est bien peu ».

[Fin de l’extrait]

Source :

M. Bernard PLASAIT: Rapport de la commission d’enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites. Tome I, n° 321, p.234 à 236, Sénat de la République française, 3 juin 2003. (l’intégralité du rapport : Tome I et Tome II)

A lire également au sein du “Tome II” de nombreuses auditions qui nous ont paru très intéressantes en matière de politique de lutte contre les stupéfiants. Il serait très utile de lire celle du représentant quasi emblématique en France de la branche libérale, en l’occurrence, Francis Caballero et, d’autre part, celle de N. Sarkozy (ancien ministre de l’Intérieur) qui fut le Rottweiler de la tendance répressive. Voici en tout cas quelques unes parmi celles qui ont suscité, pour nous, un intérêt particulier :

– Francis CABALLERO, professeur à l’Université de Paris X, avocat à la Cour de Paris : in Rapport Sénat n° 321, 2003, Tome II, page 350.

– Nicolas SARKOZY, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales : in Rapport Sénat n° 321, 2003, Tome II, page 539.

– Nicole MAESTRACCI, conseiller à la Cour d’appel de Paris, ancienne présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) : in Rapport Sénat n° 321, 2003, Tome II, page 172.

– Alain EHRENBERG, sociologue, directeur de recherche au CNRS : in Rapport Sénat n° 321, 2003, Tome II, page 269.

– Yves BOT, Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris : in Rapport Sénat n° 321, 2003, Tome II, page 321.

– Catherine DOMINGO, substitut du Procureur de la République de Bayonne : in Rapport Sénat, 2003 n° 321, Tome II, page 448