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Apres l’Algérie, le Maroc, les pays du Golfe, les Etats-Unis, Mehdi Jomaa et son “équipe de choc” sont allés jouer les VRP* à Paris, dans un style qui lui est maintenant propre : une politique par l’image.

Une communication par l’image

Accompagné d’une délégation de 54 hommes d’affaires, avec à leur tête Wided Bouchamoui, présidente de l’UTICA, Mehdi Jomaa a su subtilement détourner les regards sur les questions épineuses en se fendant d’une communication basée essentiellement sur l’image.

Entre une ballade à pied pour rejoindre Matignon, à la rencontre du premier ministre français Manuel Valls, ses déambulations dans le métro parisien et son appétit de « fricassé », relayées avec frénésie et délectation par les médias et les réseaux sociaux, on en oublierait presque les raisons de la visite du chef du gouvernement à Paris.

Affirmant être à Paris « pour présenter une nouvelle image de la Tunisie », et non pour « chercher de l’argent », il serait difficile de ne pas le croire, tant les questions essentielles sont soit passées inaperçues, soit consciemment occultées . Ainsi, face à son affirmation du possible report des élections, au-delà de l’année 2014, ce qui serait anticonstitutionnel, personne n’a réagi. Pire, l’accord sur un achat de 6 hélicoptères français, au profit de l’armée tunisienne, dans une situation économique « difficile », ne fait qu’accroitre les interrogations. La communication par l’image l’emporte, semble t-il, sur la réalité des propos.

Par ailleurs, indépendamment du « politiquement correct » et des déclarations toutes faites sur la transition démocratique, utilisées lors de ses successives visites officielles, Mehdi Jomaa vante le modèle de « start-up démocratique » qu’est la Tunisie, en oubliant une question épineuse lors de cette visite, à savoir la conversion de la dette.

Caresser le patronnât français dans le sens du poil afin de relancer les investissements est une chose, s’en tenir à des généralités face au gouvernants français, alors que les dettes odieuses contractées par le clan Ben Ali continue de peser lourdement sur l’économie tunisienne, en est une autre.

Rabâchant, sans cesse, à l’endroit du peuple tunisien, directement ou à travers ses ministres, une situation économique suffocante, appelant les citoyens à faire des efforts et à aider l’Etat à travers le lancement d’un emprunt obligataire national, Mehdi Jomaa prouve non seulement sa couardise, mais aussi et surtout sa gestion entrepreneuriale de la nation.

Ce décalage entre le courage de ces propos relayés par les médias tunisiens et le manque de bravoure dans la réalité de ses prises de décisions face à la communauté internationale, est décevant à plus d’un titre.

Une délégation et des questions

Dans les bagages de la visite officielle de Mehdi Jomaa à Paris, une délégation d’hommes d’affaires, sous la houlette de Wided Bouchamaoui, patronne de l’UTICA.

Indépendamment des profils de ces hommes d’affaires dont l’éventail représente de vastes secteurs d’activités, tels que le tourisme et l’hôtellerie (Zohra Driss, Radouane Ben Salah, Abderahman Belgat), l’agroalimentaire (Chiheb Slama), l’immobilier (Radhi Meddeb et Lotfi Abdennadher ), l’industrie (Slim Zeghal et Moncef Mzabi), certains noms apparaissent comme des anomalies dans cette liste :

Ismail Mabrouk : Président Directeur General du groupe Mabrouk (distribution, automobile, agroalimentaire, finance et télécommunication), président du Conseil d’administration de la BIAT, frère de Marouane Mabrouk, ex-gendre de Ben Ali, il faisait partie des personnes visées par le Décret-loi  n°13 en date du 14 mars 2011 – JORT n°18 du 18-03-2011 dont les avoirs ont été confisqués. Ces fonds, liées à l’ancien régime, bloqués en Suisse ont été récemment débloqués par la justice Suisse.

Lotfi Abdennadher : PDG du groupe Abdennadher, apparenté comme proche du régime de Ben Ali, celui-ci était interdit de voyage pour ses liens d’affaires avec les Trabelsi.

Radhi Meddeb : Indépendamment de ses activités professionnelles, Radhi Meddeb est le Président du Conseil d’Administration de l’Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen (IPEMED Paris, depuis juillet 2010) dont l’objectif est de rapprocher par l’économie les deux rives de la Méditerranée. Parmi les membres fondateurs de ce think-tank on retrouve le groupe Mabrouk dont l’affiliation à l’ancien régime ne fait aucun doute.

Que ces personnes aient des affaires et continuent de prospérer est une chose, la justice continuera de faire son travail quant aux biens légitimement ou non acquis sous le règne de Ben Ali, cependant se pose la problématique du message envoyé par le chef du gouvernement. En effet face à la lenteur des actions intentées pour récupérer les biens mal acquis et la place de choix encore accordée à ces caciques de l’ancien régime, le signal envoyé « aux enfants de la révolution » ne manquera pas de les pétrifier.

Enfin, dans l’idée de « start-up », si chère à notre premier ministre, pourquoi les patrons de ces grandes et pérennes entreprises ont-ils été choisis ?

N’aurait-il pas mieux valu choisir de nouvelles figures, de jeunes « start-up » qui émergent, démontrant, ainsi, un renouveau de l’innovation à la tunisienne et représentant fièrement l’ode à la jeunesse si bravement engagée , lors de la révolution du 14 janvier 2011 ?

L’oubliée du voyage : La reconversion de la dette 

Ce que la plupart attendaient de ce voyage à Paris, était que le premier ministre réussisse là où ses prédécesseurs ont échoués : la reconversion ou l’annulation de la dette tunisienne contractée par Ben Ali. Apparaissant comme un « homme de courage » dans ses interventions médiatiques, force est de constater que tel n’a pas été le cas, lors de ce voyage à Paris. Eluder la question de la dette afin de ne pas froisser « notre premier partenaire économique » est pour le moins lâche, sinon irresponsable.

Agissant en tant que chef d’entreprise à la recherche frénétique d’investisseurs –chose dans laquelle il excelle- Mehdi Jomaa en oublie son rôle d’homme politique : défendre les intérêts de la nation, mais aussi des citoyens. Cela passe inévitablement par des négociations sur la reconversion voire l’annulation de cette dette illégitime, d’autant plus que la base juridique sur le plan du droit international existe comme le rappelle le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde, dans un récent rapport.

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* Voyageur, représentant et placier (wikipedia).