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Tout d’abord, faut-il rappeler que l’identité nationale tunisienne repose principalement sur deux piliers : l’islamité et l’arabité. Ces deux appartenances ne sont que des échelles où l’identification varie d’une personne à une autre. Albert Memmi, sociologue et écrivain d’origine tunisienne, avait conceptualisé les identités en ité et itude pour y mesurer le degré d’appartenance d’un peuple à une identité, religieuse ou ethnique soit-elle. En partant de ces identités collectives, il détaille par ailleurs le rapport de force dans son livre « Portrait du colonisé » entre le Blanc qui méprise le Juif lequel méprise l’Arabe et à son tour de mépriser le Noir. Sur ce dernier point, Frantz Fanon dans « Peaux noires, masques blancs » décortique le rapport de force et l’ostracisme qu’exercent les opprimés entre eux. Ainsi, certains opprimés, en voulant imiter l’oppresseur, adoptent le comportement de celui-ci et le dirige vers d’autres opprimés. Tel est le cas de certains Tunisiens envers les Subsahariens.

Curieusement, Albert Memmi, le Tunisien, est tombé dans les travers de ce qu’il théorisait en adhérant à la thèse sioniste sans aucun recul, alors que Frantz Fanon, le Martiniquais, a préféré la lutte clandestine au sein du Front de Libération National (FLN) en Algérie contre le colonisateur français. Cela dit, leurs propos sont d’actualité et prouvent encore une fois que le groupe dominant, par instinct grégaire peut-être, tend à jeter l’anathème sur un bouc émissaire et désigne celui qui est différent en l’accusant de menacer la cohésion du groupe. Certains Tunisiens ont clamé que l’islamité serait menacée face à l’invasion des chrétiens du sud du Sahara. Ainsi, la xénophobie semble instinctive, là où la solidarité et l’empathie seraient le fruit d’un effort collectif. Depuis l’anthropologue Claude Lévi-Strauss qui a invalidé la notion des races, on parle de différences culturelles et ethniques, mais la ligne de division reste la même. On met trop l’accent sur ce qui divise au lieu de se pencher sur ce qui unit. Pourtant, les thèses de l’historien Yuval Noah Harari tendent à invalider ces notions de rejet pour démontrer que l’humanité a avancé grâce à la collaboration. La thèse est poussée encore plus loin par David Graëber qui remet en question même l’idée de domination –Là où Harare qui vit actuellement dans un régime d’apartheid la présente comme une fatalité – pour lui substituer la notion d’empathie. Graëber va même jusqu’à dire que si Homo sapiens réussit, c’est bien grâce à l’entraide.

En fait, pour dire les choses autrement, la xénophobie, qui est équitablement partagée par tous les peuples, mais qui se manifeste différemment, peut être payante à court terme car elle donne une impression d’homogénéité, d’harmonie et de pseudo paix sociale. Toutefois, à moyen et long terme, elle peut s’avérer désastreuse. Faut-il rappeler que depuis des millénaires, des groupes d’individus n’ont cessé de sillonner le globe et d’essaimer partout faisant diversifier la génétique, les pratiques et les connaissances?

Ainsi, la Tunisie, cette terra Africa, fut et demeure une terre de passage et de brassage ethnique et culturel allant des Libyques et Numides jusqu’aux Italiens et Français en passant par les Phéniciens, les Arabes, les Subsahariens et les Ottomans. Dans ce sens, en nous proclamant de l’arabité ou de l’islamité, on devrait également ajouter la berbérité, la judaïté, la latinité, l’africanité et, tout simplement, l’humanité au lieu d’exclure, agresser et discriminer des personnes ayant quitté leur terre natale – comme on le fait depuis plus de 300.000 ans – dans l’espoir de trouver un avenir meilleur et de contribuer de façon macroscopique à la diversité génétique de l’humanité.

L’empathie consiste à s’imaginer à la place de l’autre et à éprouver ainsi ce qu’il ressent comme douleur (pathos du grec signifie douleur). Dès qu’on touche donc à l’intégrité physique et morale d’un être vulnérable, on se trouve du mauvais côté de l’Histoire, celle qui a permis le Nazisme, le génocide rwandais, les Croisades, l’extermination des autochtones d’Amérique, le commerce triangulaire dont les Arabes étaient le pivot… et la liste est longue. Pour ce faire, les ingrédients sont simples : On commence par pointer l’Autre et l’accuser de tous les maux. Ensuite, on le déshumanise pour mieux justifier son lynchage et légitimer de la sorte la violence systémique dont fait preuve actuellement l’État tunisien envers des êtres vulnérables. En effet, Kaïs Saïed a littéralement accusé les migrants subsahariens d’être les pions d’un complot visant à changer la composition démographique du pays. C’est clairement un appel à l’épuration ethnique. Le gouvernement fasciste italien et les partisans européens de la thèse du grand remplacement doivent pâlir d’envie.

Il est donc plus qu’impératif de se poser la question fatidique suivante : Quel projet de société voulons-nous pour la Tunisie? Une terre xénophobe, repliée sur son identité faussement homogène et passéiste et donc vouée à la disparition ou bien une terre ouverte sur le monde, bien ancrée dans ses racines et qui regarde vers le futur ?