Il était donné partant depuis longtemps. Peut-être bien avant même sa nomination, le 16 juin 2014 par le chef de gouvernement de façon conjointe avec la HAICA, tellement l’arrivée de Mustapha Beltaief à la tête de la Télévision publique devait déranger.
Tout d’abord le mode de désignation était la source d’une série d’équivoques et de tiraillements entre pouvoir politique, syndicats et régulateur. En accordant à la HAICA le droit à l’exercice de l’avis conforme en matière de nomination des présidents directeurs généraux des médias audiovisuels publics, le décret-loi 2011-116 a consacré une approche par le haut de la réforme du secteur audiovisuel public. Par conséquent la base de la pyramide non impliquée dans une réforme qui tarde à venir, ne suit pas ou a peu suivi. Les syndicats non plus qui vont de plus en plus faire endosser au Pdg nommé selon un mode participatif et sur la base des critères de compétence et de transparence, le blocage du processus de réforme nécessaire pour l’émancipation des médias audiovisuels publics qui avaient tant souffert de la main mise du pouvoir politique.
Non désiré, le Pdg de la Télévision tunisienne présentait aux yeux des syndicats la tare de ne pas être « l’enfant de la maison ». Pour les partis politiques il n’était pas facilement étiquetable. Bien au contraire il aurait cherché à garder une égale distance vis-à-vis des uns et des autres. Quant aux autorités politiques, il aurait commis l’irréparable de ne pas toujours s’empresser à acquiescer à leurs demandes. Il aurait même retiré l’équipe chargée en permanence de transmettre en direct les débats de l’Assemblée nationale constituante au moment où la plupart des constituants avaient déclaré leur candidature à l’assemblée des représentants du peuple. Il en va de même aussi pour le président sortant qui était devenu candidat à la présidence.
Mais si tout le monde savait, à commencer par Mustapha Beltaief lui-même, que le Pdg était assis sur une chaise éjectable, personne ne pouvait prévoir le moment et le motif de l’éviction. Cette précarité a été renforcée par l’absence de limitation de la durée du mandat et de définition des objectifs à atteindre durant le mandat. Le laconisme du décret-loi 116 et le manque de diligence des différentes autorités en la matière n’était pas de nature à arranger les choses. Ni les gouvernements qui se sont succédés, ni la HAICA ne s’étaient empressés de le faire.
Une complicité contre nature entre gouvernants et régulateur semble avoir prévalu, vidant ainsi l’avis conforme de sa substance. Car à défaut d’inamovibilité, les conditions et la date de la fin du mandat doivent être prévues de façon préalable. Faute de quoi l’exercice de l’avis conforme risque de devenir une pure formalité. D’ailleurs la position de la HAICA à propos de l’éviction de Mustapha Beltaief prêche par le même défaut, puisque le régulateur reproche uniquement au gouvernement de ne pas l’avoir consulté. En d’autres termes de ne pas l’avoir associé à l’éviction. Or par définition, il ne doit pas y avoir éviction, mais départ à la fin d’un mandat ou encore mise en cause de la responsabilité du Pdg pour faute grave.
Comme le mandat n’est pas limité, restait la faute grave. A ce niveau c’est le syndicat national des journalistes tunisiens qui a le premier dans l’après midi du samedi, dénoncé publiquement “la faute grave commise” par la Télévision publique en diffusant dans le journal de 13h de la Watania 1 des images en rapport avec l’assassinat du martyr Mabrouk Soltani et appelait le Pdg à assumer ses responsabilités.
Prenant le relais 24h plus tard, le gouvernement annonce par voie de communiqué l’éviction du Pdg et la désignation d’un intérimaire, sans toutefois donner des explications. Cela rappelle à plus d’un titre le limogeage du ministre de la Justice, Mohamed Salah Ben Aissa. Tous deux professeurs de droit, indépendants et pas en entière conformité avec le système.
Quarante huit heures plus tard, la HAICA tout en revendiquant ses droits en tant que régulateur à qualifier les faits, se garde bien de le faire. Dix jours plus tard nous n’en savons pas plus sur cette « faute grave » qui a coûté au pdg son poste et qui semble avoir sonné le coup de sifflet pour la fin de la récréation au sein des médias publics.
Que reproche-ton à la couverture de l’assassinat de Mabrouk Soltani par les terroristes par le journal de 13h de la Watania 1 ? D’avoir montré un sachet noir en plastique sensé contenir la tête décapitée, confinée dans un réfrigérateur ? Ou encore le manque d’équilibre de l’information puisque seul un son de cloche a été entendu, celui d’une population abandonnée à son triste sort face à un terrorisme rampant.
Dans la première hypothèse, la diffusion de l’image de la tête décapitée constituerait un manquement au respect de la dignité humaine, conformément à l’article 5 du décret-loi 2011-116 et de ce fait aurait du être sanctionnée par le régulateur, selon le dégradé de sanctions prévu par les articles 29 et 30, allant de l’avertissement à la suspension du programme en passant par l’amende. Dans le deuxième cas, il serait question d’un manquement aux règles professionnelles et éthiques et le régulateur aurait du adresser une mise en garde qui constitue une sorte de mesure de soft law consacrée par la HAICA, pour de pareils manquements non prévus par la loi.
Toujours dans la deuxième hypothèse, le SNJT en tant que gardien du respect de l’éthique professionnelle aurait pu aussi se saisir de la question et intervenir pour assurer le respect de la déontologie.
Or ni la HAICA, ni le SNJT n’ont joué le rôle qui est le leur. Le Parlement non plus, en laissant l’exécutif abuser de ses pouvoirs et remplacer un pdg désigné conformément à la loi par un autre dont la candidature avait été auparavant écarté par la HAICA à l’issue d’une audition publique. Les uns et les autres ont fait la part belle à ceux qui demeurent attachés à la servilité des médias publics vis-à-vis des commanditaires.
Reste à savoir aujourd’hui qui sont les commanditaires de médias publics, financés par l’argent des contribuables et de ce fait sont censés être au service de l’intérêt général. C’est la recherche de ce même intérêt général qui devrait faire d’eux le principal régulateur d’un paysage audiovisuel marqué du sceau des lobbies politico-financiers. C’est peut-être aussi pour ces raisons que les uns et les autres cherchent à les domestiquer, à défaut de les faire disparaître.
Ce qui vient de se passer rappelle par beaucoup d’aspects la campagne Iîlam El âr [médias de la honte] engagée en 2012. A la différence, qu’à l’époque avait existé un front uni pour la défense des médias publics. Alors qu’entre temps cette union semble s’être désagrégée au profit d’intérêts bassement personnels. Or c’est pendant de tels moments d’hésitations et de désunion, que peut se jouer le sort d’une nation.
Les jours à venir nous diront si un sursaut combien salutaire des défenseurs de la liberté d’expression, journalistes y compris, serait encore envisageable pour stopper cette descente aux enfers, afin que la conquête de la liberté d’expression ne soit pas une simple embellie.
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