Mercredi 15 février, des centaines d’habitants de Nasrallah (à 50 km au sud-ouest de Kairouan) étaient dans la rue pour contester la discrimination et la pauvreté. Ce 14ème jour de contestation est baptisé par les habitants «  Journée de colère ». Devant la délégation, hommes et femmes, enfants, jeunes et vieux, entament leur marche. Banderoles, slogans et pains sont brandis pour interpeller le pouvoir : « Oh gouverneur ! N’écoutes-tu pas les appels de Nasrallah ! ».

A Nasrallah, l’une des plus importantes délégations de Kairouan avec près de 21.000 habitants, l’ambiance est tendue. Les pas s’accélèrent avec l’impatience et le ras-le-bol général. Après la marche, les manifestants se rassemblent sur la place des martyrs où ils tiennent une assemblée générale. « Aucun signe de la part du gouverneur et du gouvernement !! Ils refusent de nous écouter ! Nous allons donc continuer la lutte par tous les moyens pacifiques et légitimes pour arracher nos droits !  », clame Hedi Mahfoudhi, porte-parole des habitants de Nasrallah.

Des droits constitutionnels bafoués

Le 20 janvier, le conseil régional du gouvernorat de Kairouan a annoncé l’attribution de 10 millions de dinars à toutes ses délégations sauf Hajeb El Ayoun et Nassrallah. Selon le gouvernorat, ces deux délégations ont bénéficié auparavant de budgets complémentaires de développement et les projets prévus par ces budgets ne sont pas encore réalisés. Cependant, la dernière somme accordée à Nasrallah et Hajeb El Ayoun date de 2008. « Le montant de ce budget dont parle le gouverneur ne dépasse pas les 5 millions. Nous les avons partagé avec la délégation de Menzel Mhiri. L’argent a été alloué à l’édification d’un centre pour les enfants et d’un hangar industriel fermé depuis sa création. Cela prouve que ce gouvernement menteur persiste à enfreindre à la Constitution qui exige la discrimination positive envers les régions défavorisées et le partage équitable des ressources », explique Souad Lotfi, 35 ans, fonctionnaire depuis peu après avoir passé des années à militer dans les rangs de l’Union des diplômés chômeurs.

Si l’Institut national des statistiques classe Kairouan parmi les régions les plus pauvres en Tunisie avec un taux de pauvreté de 34,9 %, dont 10 % de pauvreté extrême, les rapports de la Cour des comptes expliquent en partie les raisons de cette austérité chronique. Dans son rapport de 2014, la Cour des comptes démontre la mauvaise gestion des projets à Kairouan ainsi que les multiples infractions du conseil régional et son incapacité à planifier et réaliser des projets de développement. « Entre 2007 et 2013, 42 % des décisions de financement de projets ont pris un retard qui varie entre 6 mois et trois ans. […] Ces retards sont dus à la bureaucratie et à la tendance des administrations à utiliser les circuits traditionnels de transmission de l’information au lieu de la messagerie électronique ». Dans son rapport, la Cour des comptes affirme avoir informé les autorités centrales de l’urgence d’une réforme profonde.

« Au lieu de réformer, le gouvernorat continue à exclure les délégations de la prise de décision. Comme la décision de nous priver du développement a été prise sans nous consulter, nous exigeons une réunion avec les trois ministres de la Santé, du Développement et de l’Agriculture. Une réunion qui sera consignée dans un PV, avec des dates de réalisation des projets nécessaires à notre région » affirme Hedi Mahdoudhi. Les habitants de Nasrallah ne revendiquent pas seulement 10 millions de dinars mais le changement de toute une politique d’austérité et d’exclusion.

« Une femme a accouché devant l’hôpital, sous les phares d’une voiture »

Les femmes de Nasrallah, présentes en masse, rappellent leurs droits et ceux de leur région. « À l’hôpital de Nasrallah, il n’y a rien. Ni scanner, ni échographie et ni électricité. Une femme a accouché devant l’hôpital, sous les phares d’une voiture. Au lieu de ramener ce qui manque, on a décidé de construire un nouveau dépôt de médicaments, alors que l’ancien est déjà vide » s’indigne Najoua Balti, 59 ans, artisane qui a pris une retraite forcée par la crise économique. Et d’ajouter : « il y a quelques mois, le gouverneur nous a visité pour écouter les doléances des habitants. Ça veut dire qu’après 6 ans de la révolution, le gouvernement ne sait toujours pas ce qu’il faut faire ?! Ils sont encore en train de faire le bilan de la catastrophe ? ».

Hedi Mahfoudhi explique que la réunion demandée avec les ministres ne se fera pas à huis-clos au siège du gouvernorat. « Nous exigeons une Assemblée générale où les agriculteurs, les chômeurs, les ouvriers, les écoliers et les commerçants seront présents et pourront s’exprimer. Nous croyons dur comme fer que c’est le strict minimum vis-à-vis de nos droits. Si le gouverneur ne transmet pas nos demandes, nous sommes prêts à enchaîner avec une marche jusqu’à la ville de Kairouan, une grève générale et même des actions de désobéissance civile », affirme le porte-parole.

Alors que la tension monte d’un cran à Nasrallah, les délégations de El Alâa, Hajeb El Ayoun, Menzel Mhiri, Haffouz et Ouslatia préparent des manifestations pour les mêmes demandes de développement. Face au risque de propagation, le gouverneur a promis, ce vendredi 17 février, une réunion mardi 21 février avec le porte-parole du mouvement et des représentants de la société civile. Mais les habitants ne perdent pas de vue leur objectif initial : « développement, investissement et dignité pour tous les habitants de Nasrallah  », conclut Hedi Mahfoudhi.

Vendredi 17 février, le député de la circonscription, Hedi Soula (Ennahdha) annonce qu’un budget de 3 millions de dinars sera attribué à chacune des deux délégations, Nasrallah et Hajeb El Ayoun pour des projet d’infrastructure. Le député affirme que ces deux attributions budgétaires sont le fruit de négociations entre les élus de la région et le ministère du Développement, de l’investissement et de la coopération nationale.