Par Khalil Teber,
Je ne suis pas médecin, ni étudiant en médecine. Mais face à la diarrhée de déclarations et d’accusations qui fusent dans tous les sens, je ne peux pas m’empêcher de réfléchir à la question, en essayant d’être objectif.
Etant donné que je ne suis pas un expert dans le domaine de la santé publique, ni privée. Je m’exprime ici en qualité de citoyen lambda interpellé par la campagne que mènent les victime du gouvernement Nahdhaoui, qui a atteint son apogée aujourd’hui par une grande manifestation des étudiants et internes en médecine, qui ont crié haut et fort ce qu’ils ne pensaient pas tout bas (je ne suis pas en train de faire un procès d’intention, mais de donner un a priori de ce que je pense).
Comment et quand ça a commencé ?
Le 20 Juin 2013, un projet de loi relatif à l’exercice des métiers de médecine et médecine dentaire et sensé les « organiser » a été présenté par quelque 79 députés au bureau de l’assemblée (la liste des députés n’est pas disponible sur le site de la constituante). Ce projet de loi est sensé réviser la loi 28 du 13 Mars 1991 et stipule que pour pouvoir exercer dans le privé, ces médecins doivent obligatoirement exercer 3 ans dans les établissements de santé publique.
Plusieurs mois de silence sur la question passés, et pour préparer le terrain de « discussion » idéal du sujet, vu que la date d’un débat sur le projet de loi en séance plénière à la constituante approche. Notre ministre de la santé (de la santé tout court, non pas de la santé publique) Mr Abdellatif el Mekki, déclare « populistement » dans une radio que le gouvernement a l’intention de créer 4 facultés de médecine dans 4 des régions intérieures du pays. Sauf que celui-ci a malheureusement oublié d’inclure ces « projets » dans son projet de loi des finances pour l’année 2014. Cette déclaration a suscité quelques réponses dans les médias, et a même provoqué des manifestations populaires et protestations dans les régions où on n’allait pas créer des facs de médecine.
Je pense que le ministre espérait une réaction forte du corps médical académique conte ses sottises pour pouvoir tourner l’opinion publique contre lui, mais les médecins ont été plus malins que lui.
C’est en abordant le projet de loi médiatiquement, que celui-ci prends de l’ampleur.
Le ministre affirme que pour pouvoir cerner efficacement les besoins en équipements dans les hôpitaux, l’affectation des médecins doit précéder (vu qu’ils sont sensés le faire). En plus, les interventions d’un médecin ne requièrent pas toutes du matériel ultra-moderne. Ce n’est pas tout faux n’est-ce pas ?
De l’autre côté, les étudiants en médecine ainsi que leurs professeurs, leur syndicat et « naturellement » l’opposition se dressent contre le gouvernement et la volonté du ministre de la santé.
L’argument principal de ceux-ci, est que les hôpitaux dans les régions intérieures sont sous-équipés et que le principe même de cette loi est injuste et viole les droits les plus basiques de la citoyenneté. Selon eux, le ministre prend des mesures populistes pour combler son incompétence par rapport aux problèmes du secteur défaillant, uniquement pour faire croire au peuple que la responsabilité n’est pas la sienne, mais celle des médecins. Il faut avouer que ce n’est pas faux, et que ce ministre est capable de faire pire si seulement il le pouvait. Mais en contrepartie, que font les médecins ?
Le secteur de la santé en Tunisie
Le secteur de la santé a connu une grande libéralisation depuis les années 90. Les cliniques privées aux factures exorbitantes prolifèrent sur le littoral du pays depuis quelques années, au point que certaines sont devenues dédiées aux étrangers (les libyens notamment). Les médecins qui exercent dans le privé sont exonérés de taxes (ils sont taxés suivant le régime forfaitaire. ils ne paient quasiment rien), et les plus connus entre eux amassent des fortunes colossales depuis des décennies, sans se soucier à contribuer à ce qui a fait deux ce qu’ils sont aujourd’hui. Même que la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) a suscité à ses débuts une violente réaction des médecins, vu qu’elle allait cerner une partie de leurs patients, et donc de leurs revenus (je ne sais plus s’ils avaient juste menacé de faire une grève ou s’ils l’avaient faite à l’époque, à préciser).
Pendant tout ce temps-là, la santé publique en Tunisie coule. L’état des établissements public est déplorable : l’hygiène, la qualité des soins… la bonne santé et les soins de qualité ne sont plus un droit, mais des marchandises, et si tu ne peux pas te les offrir, tu peux aller en enfer.
On n’a même pas besoin de décrire l’état des établissements de santé publique dans les régions intérieures, ou même dans les régions dites favorisées par l’ancien régime. La généralisation que dessine les populistes en essayant de diviser le pays en régions défavorisées et favorisées est complètement fausse. A part quelques établissements connus, les autres sont insalubres, sous équipés et inappropriés pour soigner des êtres humains.
Bien que j’attaque le secteur privé, je ne suis pas pro secteur public tel qu’il est aujourd’hui pour autant. L’incompétence, la corruption (surtout dans la gestion et le vol des médicaments par exemple), le non-respect des horaires de service et l’irresponsabilité sont endémiques, comme dans tout le secteur public (administration, transport, enseignement…).
Que faire ?
Les deux camps se battent pour leurs propres intérêts. La santé publique et l’intérêt du citoyen lambda n’est en aucun cas priorité d’aucun des deux camps. Le 14 Janvier date depuis 3 ans déjà, et je n’ai pas vu un seul mouvement ou action visant à réformer et améliorer la santé en Tunisie (corrigez-moi si j’ai tort). En revanche, j’ai vu plein de cliniques en construction. Je pense que ça enlève toute ambiguïté sur la vision que se font les médecins sur la santé en Tunisie.
La seule perspective par laquelle on peut s’intéresser à ce combat, c’est celle de la lutte contre le gouvernement et les islamistes. Tout ce qu’on dit à propos de la loi et la santé (dans les deux camps) n’a aucune espèce d’importance et aucun fondement logique. C’est juste un combat politique, une manœuvre électorale populiste, et peut être même une revanche personnelle de l’actuel ministre (ça a un fondement vu son parcours académique et militant) ou tout ça à la fois.
Jusqu’à maintenant, je n’ai pas vu d’alternatives sérieuses à ce méchant projet de loi, ou visant à améliorer la santé publique en Tunisie. Ne croyez pas les balivernes des médecins. Ne protestez pas contre le gouvernement pour les soutenir, soutenez les uniquement pour protester contre le gouvernement.
Un peu d’espoir pour la fin
Même dans les heures les plus sombres, il ne faut jamais désespérer de ce pays.
Heureusement que c’est n’est pas uniquement aux médecins et au ministère de la santé de s’occuper de la santé. Une association de la société civile « Younga Solidaire », essaie de changer les choses, et s’est mise comme projet de récupérer du matériel médical qui n’est plus utilisé en France, pour équiper avec des hôpitaux des régions « intérieures ».
Une opération s’est déjà déroulé avec succès, et du matériel médical sophistiqué a été acheminé aux hôpitaux de Mahres, à Sfax et de Redeyef à Gafsa (vous pouvez consulter les vidéos en bas pour vérifier). Verra-t-on des médecins acceptant de s’y rendre de sitôt ? J’en doute.
Est-ce que le gouvernement et le ministre de la santé font vraiment de leurs mieux concernant les hôpitaux les plus démunis ? Essayent-ils de trouver réellement des solutions ? Parce que sans l’intervention de cette association, rien n’aurait changé.
Qu’est ce qui empêche l’ordre des médecins, leurs syndicats et associations de faire de même que « Younga » ? Une nouvelle association pourtant, avec des ressources limités.
Je vous laisse réfléchir à ces questions.
Un enseignant stagiaire a besoin d’au moins 3 ans d’expérience pour être réellement compétent . Un médecin stagiaire peut il être compétent immédiatement et ouvrir un cabinet??
C’est impossible .
Je suis anti ennahdha , mais je trouve que cette nouvelle loi est bonne : les jeunes diplômés doivent d’abord exercer dans le publique;
Bonjour,
Pour tous ceux que ça intéresse cette vodéo de Bourguiba qui, malgré une certaine lucidité, n’en reste pas moins dictateur.
https://www.facebook.com/#!/photo.php?v=271260379692776
Lire aussi : Santé publique:Bourguiba est à l’origine du projet de loi prévoyant l’instauration d’un service obligatoire de trois ans.
Bravo. Analyse très pertinente et tres objective.Les 2 camps sont des salauds et des egoistes. Ce qui est positif dans ce grand deballage c’est que les 2 camps ont montré leur véritable visage:
1) Les médecins défendent leurs privilèges, et s’en foutent de la santé publique. Si ils se disent patriotes, pourquoi n’ont-ils jamais protesté ou manifesté pour améliorer le système de santé depuis le 14 Janvier 2011?
2) Le ministre et derrière lui les différents gouvernement et tout le pouvoir s’en foutent de la santé des Tunisiens. Ils courent derrière des interets politiques.
Et même le peuple s’en fout.
Je crois qu’il y a un aspect négligé dans votre tribune et qui pourtant est très importante et que je compte développer : s’est-on demandé, un seul instant, si l’étudiant en médecine, après avoir obtenu son bac, après avoir passé 7 ans enfermé dans sa chambre à apprendre par coeur des tonnes de polycopiés pendant que ses congénères profitaient de leur tendre jeunesse, après avoir passé deux ans d’internat en stage dans un service de la santé publique puis 2 ans de résidanat, toujours en stage afin de maîtriser sa spécialité, bref après 13 ans à trimer et à se priver, s’il allait être bien là où on veut l’obliger à aller ? Vous dites que vous n’êtes pas médecin, mais vous-même, eut considéré ces aspects, auriez-vous trouvé ça juste de sacrifier vos années de jeunesse pour ensuite être forcé à aller quelque part où vous ne voulez pas aller ?
Vous pourrez toujours me rétorquer que ceux qui ont choisi cette discipline savaient à quoi s’attendre. Ce à quoi je vous répondrais : oui, mais il y a des limites au supportable, et je peux vous parier que si vous annoncez aux bacheliers qu’il faudra désormais 15 ans d’études et de privation pour entrevoir la lumière, que c’est à partir de 35 ans (alors que vous en avez 18, soit la moitié) que vous pourrez vous marier, fonder une famille et vivre votre vie, si vous annoncez cela, eh bien plus personne ne choisira de faire médecine.
C’est que le projet de loi de M. le Ministre est tout simplement cruelle et inhumaine. Et que l’on ne me parle pas de patriotisme et autres discours moralisateurs : d’abord, vous aurez beau jeu d’en appeler au sentiment de solidarité et de patriotisme mais je suis presque sûr que vous-même êtes content que ça ne tombe pas sur vous. Et ensuite, il faudra mettre un terme à ce pouvoir central, ce paternalisme, ce chef qui décide de votre vie “pour votre bien” (il ne le fait jamais), c’est un truc de pays sous-développés qu’on ne retrouve pas dans les pays les plus avancés et ceci explique d’ailleurs cela. Et puis, c’est de la démocratie qu’on veut. Pas d’un système fasciste !
J’aurais préféré des modalités moins coercitives, plutôt incitatives : on n’oblige aucun médecin à aller faire trois ans de service à l’intérieur, mais on aurait pu envisager une sorte de “prime au développement régional”. En gros, vous venez de terminer votre résidanat : si vous choisissez de suivre le programme de développement régional pendant trois ans, vous aurez beaucoup d’avantages : une très bonne paie majorée par une prime, logement et voiture de fonction, et l’assurance d’obtenir un poste dans n’importe quel organisme de santé publique à l’issue de votre mission. Je crois qu’avec cette approche, assortie d’autres mesures comme par exemple la limitation du nombre de consultations par jour pour les libéraux, l’on se place plutôt dans une logique du chacun est libre de ses choix, et tout le monde sera content.
Mais, s’il vous plaît, que l’on cesse de se permettre de décider du sort de notre prochain ; c’est contraire à la dignité humaine.
Je me demande pourquoi vous présenter les medecins comme des gens qui sont obligés de ne rien foutre de leurs vies pendant la durée de leurs études. Je vous rappelle qu’ils sont trés bien payés pendant la majeure partie de se parcour professionnel, est qu’il peuvent très bien fonder des familles comme tout le monde. Se ne sont pas des prisonniers, et le régions interieurs ne sont pas des prisons.
On peut pas dire de quelqu’un qui déménage dans un endroit contre son gré soit en jouissance de sa liberté. Les régions intérieures ne sont pas des prisons mais pourtant M. Mekki par sa loi semble bel et bien affirmer le contraire. Si l’on veut qu’il y ait plus de médecins dans les régions intérieures, il faut bien encore qu’ils aient le choix et qu’ils en aient envie. Et je suis sûr qu’il y a des médecins qui sont disposés à faire le déplacement _ il y en a bien qui carrément travaillent pendant des années avec MSF ou le Croissant-Rouge dans des endroits vraiment peu hospitaliers ! A nos volontaires, la nation sera reconnaissante en leur offrant une situation bien plus avantageuse que s’ils restent dans les régions côtières.
Ce qui est à craindre, par-delà de la très apparente manœuvre électoraliste de M. Mekki, c’est que cette mesure serve de pilule à faire gober à nos concitoyens de l’intérieur pour leur faire croire que l’on se soucie d’eux et que, du coup, les vraies mesures, les projets d’infrastructures, de valorisation de ces régions qui les rendront attractives, ne demeurent en l’état de promesses sans lendemain.
Pour finir, les études de médecine sont les plus longues et les plus pénibles et si vous voulez vous forger une opinion adéquate sur le sujet, c’est un fait que vous ne pouvez pas négliger. S’ils gagnent bien leur vie après leurs études, ils en ont le droit et ils l’ont bien mérité. Moi qui me suis bien marré entre temps avec mes parties de Rami et de PES, je ne vais pas me mettre à les envier. Avec cette nouvelle disposition, quand est-ce qu’ils vont pouvoir se fixer quelque part, se marier et avoir des enfants ? 35 ans ? 36 ans ? 38 ans ? Non mais, vous vous imaginez dire aux bacheliers qu’il faudra doubler leur âge pour commencer à profiter de la vie s’ils veulent prendre médecine à leur orientation ? Il faut savoir aussi se projeter dans l’avenir lorsqu’on est un responsable politique qui prétend gérer et développer un pays. Au-delà du fait bien sûr qu’il y a des principes inviolables sans lesquels une nation ne saurait se développer sainement.
Selon une étude intitulée «Les inégalités régionales et sociales dans l’enseignement supérieur»,faite par l’économiste Mohamed Hédi Zaiem, ancien président du Comité National d’Evaluation de l’enseignement supérieur, nos medecins spécialistes sont issus pour la plupart des régions cotères privilégiées et des classes sociales les plus aisées de notre société ce qui peut expliquer leurs réticence à l’égard de cette nouvelle prposition de loi. Aussi faut il signaler cette arnaque hypocrite dans les arguments avancés par nos médecins privilégiées selon laquelle ils n’ont rien à faire dans les hôpitaux des régions appauvries et oubliées – qu’ils n’ont jamais visité pour la plus part d’entre eux- du fait du manque du matériéls, fait démonti par une étude récente de l’OMS précisant que les plateaux techniques sont satisfaisantes dans les hopitaux régionaux des gouvernorats de l’interieur du pays. (page 29).
http://applications.emro.who.int/docs/CCS_Tunisie_2010_FR_14489.pdf
http://www.mag14.com/encre-noire/47-encre-noire/2681-tunisie-ce-que-les-medecins-navoueront-pas.html
Raison de plus pour ne pas les forcer à y aller. Les médecins, ce sont encore des civils à ce que je sache, pas des militaires. D’ailleurs, je me pose sérieusement des questions sur M. Mekki au sujet de sa vision sociétale : il faut être bien fasciste pour prendre son peuple pour des soldats. Parenthèse fermée. Si vous forcez quelqu’un à faire quelque chose, c’est connu, il n’aura pas la motivation nécessaire pour bien faire son travail. Or, on veut le meilleur pour nos régions intérieures.
Et puis, comme je l’ai dit plus haut, au sujet des médecins volontaires dans des ONG internationales, ce n’est pas dit que tous les médecins refusent de se rendre dans des endroits en difficulté. Et l’on n’a pas besoin d’envoyer tout le monde non plus. Encore faut-il présenter les choses sous le concept du volontariat.