Dans le chapitre consacré à « la morale de l’autorité » de sa « Théorie de la justice » John Rawls soutenait que la morale de l’autorité sous sa forme primitive est celle de l’enfant soumis à la structure de base de la société qui est la famille représentée par l’autorité légitime des parents.
1 – La morale de l’autorité.
Dans le chapitre consacré à « la morale de l’autorité » de sa « Théorie de la justice » (1) John Rawls soutenait que la morale de l’autorité sous sa forme primitive est celle de l’enfant soumis à la structure de base de la société qui est la famille représentée par l’autorité légitime des parents. « … l’enfant n’a ni le savoir ni l’intelligence nécessaire pour remettre en question leur rôle de guide parental. C’est pourquoi il n’a pas de raison de douter du bien fondée de leurs injonctions. » L’amour et la confiance qui caractérisent le rapport qui l’unit à eux fait naître en lui le sentiment de culpabilité quand il fait infraction à leurs injonctions. Les normes parentales, s’ils représentent pour lui un exemple attrayant de ce qui est désirable émanant d’un savoir et d’un pouvoir supérieur qu’il accepte ses jugement sur lui et a tendance à se juger lui-même suivant ses critères ; ses désirs dépassent les limites de ce qui est permis. « Ainsi les normes parentales sont vécues comme des contraintes contre lesquels l’enfant peut se révolter ; elles sont en elles même des interdictions arbitraires » et il n’y a pas en lui des tendances innées à faire ce qu’on lui demande de faire. Ainsi s’expliquerait la manifestation du processus de culpabilité envers l’autorité par l’amour et la satisfaction de se trouver intégré dans une structure de société, cet amour et cette confiance sans lesquels les sentiments de culpabilité n’existeraient pas quand il y a infraction aux ordres de l’autorité. Les sentiments de culpabilité (liés au respect de l’autorité) doivent être séparés des sentiments de peur et d’anxiété (liés à la crainte du châtiment et à la perte de l’amour et de l’affection des parents dans le cas de l’enfant).
L’assimilation de la morale de l’autorité ne peut se produire si les ordres sont non seulement sévères et injustifiés mais imposés à l’aide de punitions et même de châtiments physiques humiliants. L’assimilation de la morale de l’autorité prémunit l‘individu dans son acceptation des règles qui régissent la société de dépendre de la récompense ou de la punition pour se conformer à des règles qui lui paraissent non seulement arbitraires mais qui ne font pas appel à ses instincts innés. Ainsi le respect de l’autorité s’acquiert par la conviction que ses règles « lui sont imposés par des personnes puissants qui ont son amour et sa confiance, et qui agissent aussi en accord avec ces préceptes et qui expriment les formes d’action qui caractérisent le genre de personnes qu’il devrait désirer être. »
L’étude de la morale de l’autorité chez l’enfant permet de révéler les limites de la conception primitive de cette idée car il y a toujours un détenteur de l’autorité qui est aimé et en qui on a confiance, ou en tout cas qui est reconnu comme méritant sa position, et c’est implicitement un devoir de suivre ses préceptes disait Rawls. Les valeurs de l’obéissance, de l’humilité et de la fidélité envers les détenteurs de l’autorité sont surestimées par apport à la contestation, la révolte et l’audace qui deviennent des fautes majeures immanquablement réprimés. « Il est clair que la morale de l’autorité doit être subordonné au principe du juste et de la justice qui, seuls, peuvent déterminer à quel moment des exigences extrêmes ou des contraintes analogues peuvent justifier la remise à des individus des prérogatives de la direction et de commandement.
La morale de l’autorité ainsi exprimée permet de dépasser le dilemme de l’obéissance et de la défiance dans la soumission à toute autorité imposée.
Les règles et les préceptes que comprend la morale de l’autorité s’insèrent dans un système plus large du juste et de la justice dans le cadre duquel leur imposition se justifiait.
Le texte de Rawls déjà difficile à assimiler indépendamment de la compilation de l’exposition de toute sa théorie, sa présentation veut souligner comment une théorie de la justice peut dépouiller l’individu de sa tendance primitive à personnifier l’autorité au profit des institutions par lesquels elle doit fonctionner et ressortir le besoin de toute autorité à se justifier. Cette conception plus proche de notre héritage arabo-musulman constitue un dépassement de la théorie du contrat social que notre propre expérience a démontré sa caducité par ses subterfuges de légitimation et de constitutionnalité.
2 – Le fondement de la justice.
La question du fondement de la justice n’avais jamais cessé de hanter les esprits depuis le début de l’humanité. La morale, les religions et la philosophie ont étés bâtis autour de cette idée sans jamais trouver de solutions définitives et pratique pour la résoudre la problématique qu’elle présentait.
Rawls considérait que « la théorie de le justice comme équité commence par un des choix les plus généraux qu’on puisse faire en société, à savoir par le choix des premiers principes définissant une conception de la justice, laquelle déterminera ensuite toutes les critiques et les réformes ultérieures des institutions. Nous pouvons supposer qu’une conception de la justice étant choisie, il va falloir ensuite choisir une constitution et une procédure pour promulguer les lois ainsi de suite, tout cela en accord avec les principes de la justice qui ont été l’objet de l’entente initiale »
Cette théorie « généralise et porte au plus haut degrés d’abstraction l’idée du contrat social ». L’idée conductrice est que les principes de la justice valable pour la structure de base de la société sont l’objet de l’accord original de façon à ce que personne ne peut formuler des principes favorisant sa condition particulière. « Les principes de la justice sont choisies équitablement indépendamment de toute intérêt particulier de façon à garantir que personne ne soit favorisé ou défavorisé dans leur établissement.
La justice ainsi conçue devient le fondement même de l’Etat, l’Etat elle-même devient une institution à organiser selon les principes de justice établies par le « initial fair agreement ». Cela ne peut que nous renvoyer vers nos nostalgiques utopies en entendant raisonner la célèbre prophétie d’ Ibn Khadoun « العدل أساس العمران » qui nous annoncait depuis le XVI eme siècle que la justice est le fondement de la civilisation.
Le libre choix dont parlait Rawls ne présente pas une difficulté particulière dans la société pour laquelle il a conçu sa théorie, les USA, alors qu’il est le nœud de toutes les difficultés dans le monde des opprimés ou sévit encore le despotisme et les dictatures. La faillite des convention internationale à instauré une justice universelle et à concrétiser les pompeuses déclaration sur l’universalité des droits de l’homme font aujourd’hui ressentir le besoin de fonder une justice d’émancipation nationale qui dépasse l’avidité des intérêts des nations qui fait échec jusqu’à maintenant au dépassement de cette situation.
Le prix Nobel, le bengalais Amartia Sen, revient sur cette question d’une façon extrêmement originale dans son livre « Devolopment as freedom » (2) en posant la question de la justice comme une problématique de décision. Dans le chapitre liberté et fondement de la justice il développait l’idée qu’une théorie de la justice n’a pas son intérêt dans le fondement d’une institution qui garantie les libertés mais dans l’élaboration d’une théorie qui garantie l’émancipation des société et de chaque individu dans ces société.
Amartia Sen part d’un exemple concret pour aborder la problématique de la justice comme une décision : Anaborna cherchait un ouvrier pour s’occuper de son jardin et se trouve devant le dilemme d’avoir à choisir entre trois candidats. Dino, Pishano et Rogény, tous en extrême nécessité pour un post qui ne permet pas d’être partagé et sont prêts à s’engager pour la tache proposée avec les mêmes aptitudes pour l’exécuter. Elle s’est trouvée incapable de s’arrêter sur un critère de choix déterminé et a constaté que son choix dépend des considérations qu’elle prenait en compte pour trancher. Si elle n’avait pris connaissance que de la situation de Dino qui été le plus pauvre des trois, elle l’aurait choisi sans la moindre hésitation. Si elle ne savait que la situation de Pishano qui été le plus misérable de tous elle n’aurait eu aucune difficulté pour l’engager comme si elle n’a pas appris le besoin de Rogény de se relever de la mal nutrition chronique dont elle souffrait grâce aux revenu de ce métier elle l’aurait aussitôt choisie.
Cet exemple démontre la dépendance des principes généraux des données précises dans leur application aux cas concrets. La justice dépend ainsi de la quantité de donnés disponibles et de la connaissance qu’on peut avoir de chaque cas précis. Le paradoxe que démontre cet exemple est que la justice d’une décision dépend surtout des données écartées, non connues ou ignorées. Les données qu’on ne veut pas prendre en considération peuvent être déterminant dans la prise de décision dans une justice d’équité ce qui révèle la limites de la morale opportuniste et peut conduire la justice à prendre des décisions diamétralement opposées sur des cas représentant les mêmes similitudes de faits.
Notes :
1 – John Rawls : Théorie de la justice – Seuil 1987 – 668 pages.
2- Amartia Sen : Devolopment as freedom , Oxford University Press, New delhi 2000.
L’illustration originale est du dessinateur américain Peter Kuper. Elle a été reprise par notre ami Mistral.(nawaat)
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