Temptation and Fall, Michelangelo, (détail)




La plupart des musulmans croient, comme les juifs et les chrétiens, qu’Adam fut la première créature de Dieu et que Ève fut créée à partir d’une côte d’Adam. Le plupart des musulmans sont choqués quand ils sont confrontés au fait que cette antique croyance est dérivée de la Bible et est en contradiction avec le récit de la création humaine que l’on trouve dans le Coran. La vérité, plutôt curieuse et tragique, est que, même les musulmans d’éducation occidentale, ne réalisent que très peu à quel point la psyché musulmane porte l’empreinte des idées et des attitudes juives et chrétiennes en ce qui concerne les femmes.

Sans connaître un tant soit peu ce que la Bible dit à propos de la création d’Adam et Ève, je ne crois pas qu’il soit possible aux musulmans d’analyser combien leurs conceptions au sujet de la femme (particulièrement sa création et son rôle dans la chute) ont plus été influencées par les traditions juives et chrétiennes que par le Coran… Une telle évaluation est une condition préalable essentielle afin de développer une théologie féministe basée sur le Coran.

Les théologiennes féminines sont hautement conscientes que les interprétations traditionnelles de la version yahwiste de la création de la femme, dans la Genèse 29,18-24 ont été fortement anti-féminines. (NDLR : Dans le Libre biblique de la Genèse il y a deux versions de la création de l’humanité : la version “yahwiste” et la version “elohiste »). Alors que certains considèrent ces textes comme irrémédiablement sexistes, d’autres croient que si les récits de la création humaine de la Genèse sont compris à la lumière des connaissances modernes et de l’herméneutique, ils révèlent de nouvelles significations qui, dès lors, s’opposent à l’exégèse traditionnelle.

Il est à remarquer ironiquement qu’alors qu’un nombre croissant de juifs et de chrétiens rejettent les interprétations traditionnelles du récit de la création fait par le yahwiste, les musulmans qui, généralement, méconnaissent ou désapprouvent la littérature religieuse juive et chrétienne, continuent à s’y tenir, percevant leur nécessité afin de préserver l’intégrité du mode de vie islamique.

(…) Il est prouvé, à travers l’analyse des versets dans lesquels le terme “Adam” apparaît, que ce terme fait fonction de nom collectif et signifie l’espèce humaine (NDLR : En hébreu “Adam” vient de “adama”, qui signifie “la terre” ou “l’humus »). Cela est confirmé par le fait que le Coran remplace parfois le terme Adam par “al-insân” ou “bashar”, qui sont, tous les deux, des termes génériques qui signifient l’humanité… Il est important de noter que, bien que normalement, le mot Adam ne se réfère pas à un être humain en particulier, il se réfère aux êtres humains dans un sens particulier…

A la place de “Adam et Ève” le Coran parle de “Adam et zauj”. Les musulmans, presque sans exception, supposent que Adam fut le premier être humain créé par Allah et qu’il était un homme. Si Adam était un homme, il s’ensuit que là zauj (compagne) d’Adam était une femme. Par conséquent, la zauj mentionnée dans le Coran devient l’équivalent de “Hawwa”, Eve (NDLR : Dans le Coran le nom de l’épouse d’Adam n’est pas mentionné. En hébreu, “Eva” signifie “la Vivante ») Ni la présomption initiale, ni les déductions qu’on en a tirées ne s’appuient, de manière claire et probante, sur le texte coranique. Le Coran n’affirme ni qu’Adam fut le premier être humain, ni qu’Adam était mâle.

Le terme Adam est un nom masculin mais le genre linguistique n’est pas le sexe. Si Adam n’est pas nécessairement un homme, alors la “zauj” d’Adam n’est pas nécessairement une femme. En fait, le terme est aussi un nom masculin et, contrairement au terme Adam il a une contrepartie féminine, zaujatun. (…)

Pourquoi le Coran utilise-t-il “zauj” plutôt que “zaujatun” si, en effet, il se réfère à la femme ? A mon avis, le Coran laisse les termes “Adam” et “zauj” délibérément vagues, non seulement quant au sexe, mais aussi quant au nombre, parce que son but n’est pas de relater certains événements de la vie d’un homme et d’une femme (par exemple, l’Adam et 1’Ève de l’imagination populaire), mais, de faire référence à certaines expériences de vie de tous les êtres humains, hommes et femmes ensemble. En résumé, le Coran utilise indifféremment les termes et images féminins et masculins, afin de décrire la création à partir d’une seule source. Il est implicite dans un grand nombre de passages du Coran., que la création originelle d’Allah était une humanité indifférenciée ni homme ni femme. (…)

Le fait que l’histoire de la création d’Ève à partir d’une côte d’Adam soit devenue une partie de la littérature des hadiths apparaît clairement dans le hadith mentionné ci-dessous :

“Lorsque Dieu eut renvoyé Iblis du jardin et y plaça Adam, celui-ci y séjourna sans personne avec qui frayer. Dieu envoya le sommeil sur lui, il prit une côte de son côté gauche, la remplaça par de la chair et créa “Hawwa” à partir de la côte. Lorsque Adam se réveilla, il trouva une femme assise près de sa tête. Il lui demanda : “Qui es-tu ?” Elle répondit : “Femme”. Il dit : “Pourquoi as-tu été créée ?” Elle dit : “Afin que tu trouves le repos en moi”. Les anges dirent : “Quel est son nom ?” et il répondit : “Hawwa”. Ils dirent : “Pourquoi a-t-elle été appelée Hawwa ? Il répondit : “Parce qu’elle a été créée à partir d’une chose vivante”.

Ce hadîth détonne nettement avec les récits coraniques de la création humaine alors qu’il a une correspondance évidente avec Genèse 2,18-33 et Genèse 3,20.

Toutefois, certains changements doivent être notés dans l’histoire de la création de la femme telle que relatée dans le hadîth ci-dessus. Il mentionne la côte gauche comme la source de la création de la femme. Dans la culture arabe, une grande signification est attachée à la droite et à la gauche, la droite étant signe de bon augure et la gauche du contraire (NDLR : cela est vrai aussi dans la culture biblique et dans presque toutes les cultures du monde… pour le grand désespoir des gauchers ! En latin “la gauche” se dit “sinistra” et a donné le mot “sinistre”…). Dans la Genèse, la femme est appelée Ève après la chute, tandis que dans le hadîth ci-dessus, elle est appelée “Hawwa” au temps de sa création. Dans la Genèse, la femme est appelée Ève parce que “elle est la mère de tout ce qui vit” (donc une source originelle de vie) ; alors que, dans le hadîth, elle est appelée “Hawwa” car elle a été créée d’une chose vivante (étant par conséquent une créature dérivée). Il ne faut pas ignorer ces variations. Le matériel biblique et autre a rarement été incorporé sans altération dans les hadîths. L’exemple ci-dessus illustre comment, en ce qui concerne la femme, des déviations arabes ont été ajoutées au texte adopté. (…)

Il n’y a peut-être pas de meilleure preuve montrant combien les hadiths, tels que celui mentionné ici ont totalement pénétré la culture musulmane, que le fait que le mythe de la création de “Hawwa” à partir d’une côte d’Adam fut accepté sans discernement, même par Qasim Amin (1836-1906), le juge égyptien militant dans le domaine des droits des femmes. L’interprétation romantique du mythe par Amin (…) montre qu’il ne réalisa pas combien la question qui le concernait le plus profondément, c’est-à-dire l’égalité sociale entre la femme et l’homme dans une société musulmane très fortement centrée sur le mâle et dominée par le mâle, dépendait fondamentalement de l’acceptation ou du rejet du récit de la création et de ses interprétations anti-féminines. Malheureusement, aujourd’hui encore, beaucoup de militantes musulmanes en matière de droits des femmes, ne réalisent pas que ce mythe soutient justement les attitudes et les structures très discriminatoires qu’elles cherchent à changer. (…)

Je considère que la question de la création de la femme comme plus importante, philosophiquement et théologiquement, que n’importe quelle autre. Si l’homme et la femme ont été créés égaux par Dieu, que l’on suppose être l’ultime arbitre de la valeur, alors ils ne peuvent pas devenir inégaux essentiellement dans un deuxième temps. Par conséquent, leur évidente inégalité dans le monde patriarcal est une infraction au plan de Dieu. D’autre part, si l’homme et la femme ont été créés inégaux par Dieu, alors ils ne peuvent pas devenir essentiellement égaux par la suite. Donc, toute tentative de les égaliser est contraire aux intentions de Dieu.

Etant donné l’importance de cette question, il est impératif que les militantes dans le domaine des droits des femmes musulmanes sachent que les récits égalitaires de la création des êtres humains donnés dans le Coran ont été remplacés par le contenu des hadiths qui rendent la femme dérivée et secondaire dans la création mais première en ce qui concerne la culpabilité, le péché et le défaut mental et moral. Elles doivent s’élever contre ces sources qui ne les considèrent pas comme ayant une fin en elles-mêmes, mais comme des instruments créés pour la convenance et le confort des hommes.