Qu’est ce qu’un site tunisien indépendant ?
Quand il diffuse de l’information sur la Tunisie, un site ou un blog tunisien offre un regard, des analyses, des opinions et des réactions différentes que celles uniformes de la presse officielle et des communiqués du RCD et de Carthage. Il offre la possibilité de diffuser et faire connaître au moins dans le réseau internet les informations que le régime censure.
Si un site offre en plus un forum de discussion, il permet à la frange de tunisiens connectés de participer activement, ou du moins passivement, à des discussions libres réprimées in vivo en Tunisie. Il offre à une partie de la population un ballon d’oxygène, à ces tunisiens dont la parole est confisquée par l’absence de lieu d’expression.
La limite de ces sites est celle de la censure de la parole de la part du régime et des accès internet. L’hypocrisie d’un discours officiel de vitrine sur la réduction de la fracture numérique ne suffit pas à cacher que la première cause de cette fracture, c’est bien la censure. La majorité des tunisiens en Tunisie n’a pas accès, ni même connaissance, de ces sites indépendants.
Néanmoins, l’indépendance des sites tunisiens est primordiale pour tous. Leur existence modifie la donne politique en Tunisie même si on a trop souvent tendance à minorer le travail réalisé ou les résultats obtenus. Par leur existence, ils font exister un pluralisme d’opinions représentatif de celui d’une population tel qu’il serait si elle était informée librement.
Des voix nouvelles pour d’autres voies
Parmi les fondements de la liberté et de la démocratie, le premier que les sites indépendants peuvent servir est la liberté d’expression. Offrir, sans concession au régime, un endroit sur la place publique où des idées pourront être exprimées et débattues, voir taillées en pièce, où des actions et du travail politique seront mis en valeur, est assez unique dans un paysage médiatique tunisien des plus moribonds. L’existence de peu ou pas de journaux, y compris à l’étranger, et peu ou pas de sites actifs, y compris à l’étranger, est un frein, un obstacle à la diffusion des pensées et à l’organisation et au regroupement des personnes voulant agir. Les sites internet tunisiens indépendants sont une réponse à cela, certes imparfaite et incomplète, mais bien réelle.
Les chiens écrasés font trembler Ben Ali
La deuxième liberté que servent les sites indépendants est l’accès à l’information, à tout type d’information. La censure tunisienne ne touche pas seulement les sujets politiques, mais empêche aussi l’accès à toutes les informations de fonds sur les sphères sociales, sociétales, économiques, culturelles.
Plusieurs exemples : la tornade ayant eu lieu a été citée dans Le Tunisien (décembre 2004), mais a été passée sous silence par la presse officielle, c’est un amateur, un anonyme qui a fait sortir la seule image ; la récente marée noire causée par un navire marocain tout près des côtes tunisiennes n’a fait l’objet que d’une couverture minimaliste, alors que même un chef de la sécurité civile a dû s’exprimer sous couvert d’anonymat ; toute information pratique et complète concernant l’administration et le fonctionnement des institutions reste inaccessible pour le citoyen. (Où trouve-t-on “un qui fait quoi” des hauts fonctionnaires de l’administration tunisienne ?).
L’indépendance des sites internet tunisiens vis-à-vis du pouvoir en place est la garantie d’un contre-pouvoir réel et fort sur l’information qui en Tunisie est sous la coupe du gouvernement. Les rares tirages de journaux papier sont trop confidentiels en raison de la censure ou des tracasseries imposées pour pouvoir avoir un impact informatif sur les tunisiens. Comment, sans information, demander aux tunisiens de s’intéresser aux choix du gouvernement et d’avoir une vision critique ? Le totalitarisme appliqué à l’information laisse et laissera encore longtemps des traces dans les comportements de la nation. Cela est valable pour les projets de société de l’opposition tunisienne tout comme pour les autres informations non politiques qui pourraient impacter le « moral » des tunisiens (faits divers, fermetures d’entreprises, trajectoires des émigrés clandestins, violence dans le cadre familial, égalité hommes/femmes, pauvreté… )
L’indépendance des sites c’est également le respect de leurs spécificités
Les sites tunisiens doivent savoir s’unir sur des initiatives communes dès que chacun a compris qu’un site est une tribune nationale et internationale et non pas un espace personnel pour régler ses problèmes relationnels ou ses comptes. C’est un exercice très difficile tant la passion et l’investissement sur son domaine d’action sont forts et qu’aucun caractère entier (et nous n’en manquons pas) ne saurait accepter qu’on salisse son travail. Difficile aussi, car relativiser une critique ou ce qui est pris a priori comme une attaque personnelle, afin de ne voir que l’objectif suprême : l’avènement d’un système démocratique en Tunisie, c’est demander à des acteurs impliqués de prendre le recul nécessaire et un certain cynisme face à des insultes personnelles, à des accusations burlesques, ou au goût qu’entretiennent les tunisiens pour le conspirationnisme (phénomène fréquent quand aucun débat d’importance, ou aucune information libre n’est répercutée : la passion a horreur du vide).
Le numéro commun sur les élections de 2004 réalisé par Reveiltunisien.org et Nawaat.org a été un franc succès par son contenu et par les efforts des uns et des autres. Malheureusement, l’ensemble du contenu n’a pas réellement donné lieu à des avancées en terme d’actions politiques ou même de réflexions. C’est une constante sur laquelle on doit s’interroger : pourquoi les sujets fratricides et inutiles font-ils couler plus d’encre que les sujets fondamentaux pour la création d’un système démocratique en Tunisie ? Le goût du sensationnalisme à la Tunis Match, le conspirationnisme et son pendant le constipationnisme politique, les empêcheurs de tourner en rond, n’expliquent pas tout. Il y a là un vrai travail de fond à mener sur nous-mêmes.
En oubliant les difficultés pratiques ou relationnelles qui peuvent trouver des solutions, doit-on pour autant s’imposer ce travail en commun si l’événement n’est pas perçu par chacun de la même manière ?
Si Reveiltunisien.org et Tunezine.com ont réalisé en 2004 un numéro commun sur le 20 mars, il était clair à la lecture de l’essentiel des participations que la date du 20 mars n’avait pas plus d’importance que les 364 autres jours, seul le terme “indépendance” avait offert à chacun l’opportunité de s’exprimer sur sa vision de l’indépendance. Bref, nous aurions pu fêter le 20 mars, un 1er avril que cela n’aurait rien changé.
Fêter l’indépendance de la Tunisie, ou marquer le coup sur cette date, est-ce bien raisonnable quand on sait l’état de soumission de la population au pouvoir policier, et l’état de soumission de l’état tunisien aux exigences et intérêts économiques étrangers ?
En proposant ce texte aux administrateurs du site nawaat.org, nous voulons marquer le fait que nous devons savoir oeuvrer dans le même sens tout en respectant notre propre indépendance les uns des autres, et en oubliant les procès d’intention au profit des procès, vrais ceux là, qui se déroulent quotidiennement en Tunisie aux mépris de la séparation des pouvoirs.
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