Natif de Bizerte, le blogueur tunisien Sami Ben Gharbia est un farouche défenseur de la liberté d’expression qui a préféré quitter son pays plutôt que de se taire. Après un long périple qui l’a mené du Tchad en Iran en passant par l’Arabie Saoudite, il vit aujourd’hui aux Pays-Bas qui lui a accordé l’asile politique. Son blog, “Fikra” (idée en arabe), est censuré en Tunisie depuis 2003 avec la complicité des logiciels fabriqués par Cisco Systems et Nice Systems, précise-t-il. Quand il ne blogue pas, Ben Gharbia occupe le poste d’Advocacy Directorpour Global Voices, une organisation mondiale de blogueurs dont le but est de mettre en avant des sujets souvent ignorés par les médias traditionnels. Rencontre avec un homme qui ne pouvait se résoudre au « braiement».
APN : Pourquoi bloguez-vous ?
Sami BenGharbia : Ma première expérience de blogging remonte à 2002. Mais c’est en 2003 que j’ai lancé mon site/blog personnel. Auparavant, j’étais actif sur les sites et forums dissidents comme sur TuneZine.com et reveiltunisien.org où je publiait mes textes et prenait part au débat politique qui s’y déroulait.
En fait, la raison pour laquelle j’ai crée mon propre site était de publier mon e-livre Borj Erroumi XL, Voyage dans un monde hostile , mis en ligne le 31 octobre 2003 et qui raconte l’histoire de ma fuite de la Tunisie et mes voyages à travers la Libye, le Niger, le Tchad, l’Arabie Saoudite, la Syrie, l’Iran pour arriver enfin aux Pays-Bas où j’ai demandé l’asile politique.
J’ai toujours cru à la vielle formule arabe définissant l’être humain en tant qu’ «un animal qui parle » (al-insâno hayawânon nâtiq). Djalâl al-Dîn Rûmî, l’un des grands poète mystique musulman disait dans son Livre du Dedans (fîhî mâ fîhî), que « La parole est la mesure de l’homme ». Dans son Dîwan, Le poète arabe par excellence, al-Motanabbî avait dit que : « La maigreur de mon corps suffit à attester que je suis un homme qui, s’il ne vous parlait pas, demeurerait invisible à vos yeux.» Pour moi, dérober la parole à l’être humain équivaut à le priver de sa pensée, c’est-à-dire de sa quintessence. Toute entrave à la liberté d’expression, quelle soit une entrave d’ordre politique ou religieux ou social tend à transformer l’homme en animal ; à rabattre sa valeur. Avec la censure, la parole devient braiement, l’homme se transforme en âne et la société en écurie. D’où mon attachement à la liberté d’expression sur Internet, et sur les blogs en particuliers, qui a permis à l’individu de reconquérir sa citoyenneté pour aborder des sujets tabous et concurrencer parfois, bousculer, les médias traditionnels.
Quelle différence voyez-vous entre un blogueur et un journaliste ?
Un journaliste vend ses textes à des médias et vit de son activité et de ses écrits qui portent sur l’actualité. Il rapporte une information ou exprime son opinion. Mais souvent, il est tenu de respecter une ligne éditoriale, plus ou moins imposée. Chose qui le différencie du blogueur qui est, à la fois, l’auteur, l’éditeur et, de plus, le propriétaire du support sur lequel il publie ses écrits. Et, dans ce sens, on n’est pas obligé d’être journaliste pour respecter un code de déontologie et de conduite. On voit chaque jour des centaines de journalistes qui racontent n’importe quoi. Une revue de la presse quotidienne tunisienne, où la langue de bois a atteint des sommets, suffit pour s’en convaincre. Par contre, un grand nombre de blogueurs crédibles honorent le blogging et le journalisme citoyen. Je me souviens des propos du grand journaliste égyptien, Mohamed Hassanein Heikal, sur Aljazeera, lorsque il a déclaré que sa confiance dans le blog égyptien Baheyya , qu’il lisait tous les matins, est plus grande que sa confiance dans les journalistes du pays.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Je suis de plus en plus intéressé par les sujets qui se rapportent à la liberté d’expression en ligne et par l’utilisation des nouvelles technologies d’information et les outils web 2.0 (les sites de partage de videos comme Youtube, Google Maps, Flikr, Facebook, Twitter, etc.) pour la défense d’une cause juste allant de la promotion du respect des droits de l’homme et des libertés jusqu’à la défense de l’environnement. Regardez comment les blogueurs égyptiens utilisent le Web pour combattre la torture ou comment les activistes tunisiens ou marocains utilisent la vidéo et les outils Web 2.0 pour dénoncer l’injustice et la corruption est un vrai plaisir. Quand la créativité et l’engagement citoyen des activistes se rejoignent, les adeptes du statu quo et de la répression perdent la bataille de l’information.
Exercez-vous une autocensure sur vos écrits ?
Ça arrive très rarement; lorsque je sens que ce que je vais dire peut causer plus de tort que de bien à la cause ou à l’idée que je défend, j’opte souvent pour des formules et des expressions moins “agressives”. Ceci dit, souvent je choisis la provocation qui est capable de susciter un débat où une réaction que je trouve intéressante.
Quel fut votre post le plus populaire ?
Selon les statistiques de mon blog, c’est le post “Que cherchent les Maghrébins sur Google?” qui semble attirer le plus de visiteurs. L’article en question étudie les tendances du cyber-comportement au Maghreb et en Tunisie en particulier en se basant sur Google Trends .L’autre sujet qui n’a jamais cessé d’intéresser journalistes et chercheurs du Web Social c’est “La carte des prisons Tunisiennes”. Il s’agit d’un travail de mushup (une technique de mixage d’applications composites et de services exposés sur le web pour en former un nouveau service) qui dresse une liste approximative des prisons tunisiennes installées sur une carte Google avec des témoignages vidéo et audio de prisonniers politiques en Tunisie.
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