Par Zein Abdelkefi,
De la fin d’un système
A l’« actif » des dictatures, le développement des pays : Amérique latine, Asie du Sud Est…
La Tunisie, sous l’impulsion de Bourguiba et de Ben Ali, connaît, elle aussi, une certaine prospérité. Cette richesse relative permet d’asseoir une légitimité en terme de paix sociale au regard des classes moyennes naissantes et à l’égard des pays occidentaux dont on tente d’attirer les capitaux étrangers.
Le modèle économique tunisien s’est, comme dans de nombreux pays dits en voie de développement, spécialisé dans les secteurs à faible valeur ajoutée mais à forte intensité de travail, l’argument étant qu’une main d’œuvre bon marché attire les capitaux étrangers, et plus il y a d’entreprises étrangères, moins il devrait y avoir de chômage.
Si les secteurs importants de notre économie sont le textile, le tourisme (de masse) ou encore les centres d’appel, nous comprenons parfaitement l’objectif d’emploi de cette stratégie économique : il faut faire travailler un maximum de population (quelle que soit la condition ?).
L’autoritarisme a ainsi imposé un dictat économique qui a revêtu l’habit de la paix sociale de manière à ce qu’il n’y ait aucune contestation possible qui entrave ce modèle : interdiction des grèves, un syndicat à la solde du pouvoir…
Il semble que ce modèle économique mis en place par le système dictatorial soit entrain d’imploser. Les travailleurs de presque tous les secteurs ont en effet saisi la première occasion de liberté pour réclamer plus de justice. Ils ne veulent plus être une main d’œuvre servile.
Et tant mieux. Car ce volontarisme a contribué, malgré toutes les tentatives populistes (ou pas) de « réparations sociales », à un accroissement d’inégalités criantes, gangréné par la corruption généralisée dans laquelle l’ensemble de la société devait se soumettre aux rapaces.
Il ne faut pas oublier que la contrepartie sociale, plus communément appelée la carotte, était principalement basée sur la facilitation de l’accès aux prêts bancaires pour permettre au peuple de se livrer aux joies de la consommation de masse. De ce fait, et dans des mesures très différentes, le peuple tunisien et ceux qui l’ont spolié partagent le même « vice » de vivre au dessus de ses moyens et à crédit.
Si le système dont on hérite n’est plus viable pour les raisons que nous avons mentionnées, nous sommes en droit de nous demander ce que nous voulons pour notre pays. Car il ne faut surtout pas oublier que la révolution est aussi le produit des inégalités entre intérieur pauvre et littoral riche. Mettre fin à cette dichotomie doit être le cœur de tout projet politique.
La justice politique, la justice sociale et la justice économique ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. Elles se génèrent et se combinent. Cette consubstantialité doit être le moteur de cette révolution.
Evidemment, il est urgent que la justice devienne le centre de notre système avec pour corollaires, la transparence et l’éradication de la corruption, à tous les niveaux. Que l’argent public soit sous surveillance de tous est la source de la confiance entre peuple et Etat. Sans cela, aucune démocratie ne sera viable.
Il est intéressant de se pencher sur le système anglo-saxon de lutte pour la transparence et contre la corruption et de s’en inspirer. L’exemple du Canada est idéal : les salaires des fonctionnaires à partir d’un certain niveau de responsabilité dans la hiérarchie administrative, de même que tous les appels d’offre au dessus d’un certain montant sont accessibles à tous les citoyens, notamment sur internet.
De l’ouverture ou de la fermeture ?
Avant d’élaborer toute forme de réflexion globale, il est utile de nous demander si nous souhaitons une Tunisie en dehors du système économique mondial ? Une simple constatation de l’état actuel du pays nous permet de répondre par la négative.
D’une part, l’ouverture de la Tunisie n’est pas qu’économique, l’influence libérale est inscrite dans les arcanes de la société, notamment grâce au statut de la femme. D’autre part, le commerce est un pivot fondamental de la société. Pour caricaturer, le Tunisien, tel son ancêtre le Phénicien, est commerçant. De plus, avec une population d’environ 12 millions d’habitants, l’étroitesse du marché intérieur ne permet pas d’obtenir les économies d’échelle nécessaires à l’autosuffisance. Produire et vendre pour 10 millions de personnes restera toujours plus cher que produire et vendre pour 100 millions de personnes.
La Tunisie est et doit continuer à être à sa mesure, actrice de la mondialisation, tout en se protégeant des effets indésirables de celle-ci.
Or notre modèle de fabrique pour l’Europe semble se briser. Débarrassée de l’autoritarisme paternaliste qui l’emprisonnait dans un rapport au capital défavorable au travail, la main d’œuvre sera désormais considérée plus chère et moins attrayante pour les capitaux étrangers. L’effet positif du degré de qualification du travailleur tunisien ne parait plus pouvoir contrebalancer ce qu’ils considèrent être les coûts du travail. Il est donc nécessaire de proposer soit des remèdes, soit des alternatives.
Des remèdes et des alternatives
Une solution serait un accord entre syndicats, patronat et Etat où tous conviendraient globalement d’un faible niveau global des salaires de manière à sauvegarder l’argument d’attractivité pour les capitaux, en contrepartie de nouvelles ou de meilleures prestations sociales. Ce qui signifie réajuster socialement le secteur économique. On ne change rien, on maintient tout, mais on compense. Ce serait donc une réponse de solidarité sociale face à ce qu’on peut qualifier de crise économique. Or cette crise n’est pas conjoncturelle, mais bel et bien structurelle. Avons-nous les moyens d’une telle politique sociale qui implique une bureaucratie encore plus imposante que ce qu’elle n’est déjà ? Il suffit de remarquer les difficultés permanentes de la France par rapport aux lourdes politiques publiques qu’elle a mises en place pour se rendre compte que ce n’est ni une tâche aisée, ni sans risque ; puisqu’il s’agit de se projeter dans le long terme, le renversement actuel de la pyramide des âges nous trace clairement la perspective du vieillissement de la population, et nous indique ainsi les déséquilibres liés à des systèmes de solidarité par répartition.
Il s’avère par conséquent que ce type de remède ne peut soigner le système ; ou du moins, nous ne pouvons pas nous reposer exclusivement dessus. Nous ne devons pas nous figer dans une attitude prophylactique. Il nous incombe de définir des alternatives.
Du contrat social (c’est la faute à qui ?)
Investir dans le secteur pharmaceutique, développer des technopoles compétitives, encourager le tourisme culturel, mettre en place des programmes énergétiques ambitieux… Cela ressemble aux éditoriaux de la Presse d’avant le 14 janvier. Les idées existent, avec la double contrainte que l’impulsion doit être donnée par l’Etat et qu’il faille agir sur des secteurs et dans des domaines en fonction des surcoûts liés aux importations de matières premières.
MAIS !
Aucune alternative ne peut s’appliquer si elle est parachutée. Elle doit forcément s’inscrire dans le cadre d’un contrat social.
Le contrat social actuel se fonde sur l’éducation. Cet héritage nous a permis de pallier de manière efficace la pauvreté des ressources du pays en misant sur son capital humain. Aujourd’hui, Il est évident en comparant la situation de la Tunisie avec celle de ses voisins, qu’il ne peut y avoir de développement global sans une politique publique de long terme qui mise sur le développement humain. Or il semble que cet atout se soit progressivement vidé de sa substance par des années de kleptocratie : l’excellence, tout comme le mérite qui assure l’égalité des citoyens, ne peuvent plus avoir de sens lorsque la triche, le vol et la corruption sont exercés de manière ostentatoire à la tête de l’Etat et qu’ils s’appliquent à l’ensemble de la société.
L’éducation est devenue une institution creuse de gestion des flux de population : le but étant de retarder au maximum l’entrée des jeunes sur le marché du travail. Nous assistons à la prolifération d’écoles supérieures privées aux diplômes non reconnus par l’Etat, tandis que ceux délivrés par l’Etat ne sont que des coquilles vides du fait de la médiocrité de l’enseignement supérieur prodigué dans des facs poubelles ; avec au final, des classes d’âge qui ne maitrisent pas l’essentiel, ni l’arabe ni le français (bonjour la dimension identitaire), qui multiplient les formations en pensant se sur-qualifier pour espérer décrocher un travail. Quand de l’autre côté, le marché du travail ne leur propose au mieux, que des emplois dans des centres d’appel, nous ne pouvons que comprendre le désespoir de la jeunesse.
Il nous faut absolument défendre nos services publics qui représentent sans aucun doute la source du rayonnement de la Tunisie. Ainsi, la médecine publique, tout comme la médecine privée, complétée par une sécurité sociale efficace et solidaire, nous est enviée. Nous avons les quelques meilleurs médecins du monde et les patients viennent de Libye et d’Algérie pour se faire soigner, car leur système de santé est défectueux, comme ils viennent d’Europe parce qu’ils y retrouvent les mêmes normes de qualité, mais comparativement beaucoup moins cher.
Pourtant, ce phénomène d’attraction existe aussi dans le secteur de l’éducation, il suffit de penser à ces communautés subsahariennes, entre autres camerounaise, qui viennent étudier en Tunisie du fait de l’insuffisance des infrastructures dans leurs pays, ou à ces Occidentaux qui viennent étudier l’arabe mais aussi d’autres langues, pour des raisons tout autant culturelles que financières. La capacité d’attirer des étudiants étrangers est un atout énorme qu’il faut non seulement renforcer, mais aussi ériger en exigence, car ces étudiants deviennent par la suite les meilleurs ambassadeurs de notre pays.
Pourquoi se focaliser sur le système éducatif ? Parce que pour sortir de l’impasse d’un modèle économique à faible valeur ajoutée et se spécialiser dans ceux à forte valeur ajoutée, seuls secteurs capables de développer réellement l’économie et la société, il nous faut rétablir un modèle de connaissances, de savoirs et de cultures, plus que performant.
Il est triste de signaler qu’au classement 2010 des meilleures universités au monde, réalisé annuellement par l’Université de Shanghai, la première université tunisienne, l’Université de Sousse, n’atteint que la 6719e place. Nous utilisons cette information à titre indicatif sans entrer dans la critique des critères de classement. C’est dire le niveau de rattrapage qu’il faut nous imposer….
Il est donc urgent de remettre à niveau tout le système éducatif, en reconsolidant, revalorisant, le baccalauréat, véritable clé de voute de notre société.
De la participation
Toute action qui s’inscrit dans le long terme implique que le politique associe l’ensemble des parties prenantes dans un cadre institutionnel particulier. Il ne faut pas que le régime des élections et des changements successifs des représentations entrave cette démarche. Pour cela, une assemblée générale de l’éducation avec toutes les instances et acteurs du secteur doit être mise en place pour décider des orientations, assurer l’exécution des décisions, et gérer le suivi et la surveillance de toute action. Car il faut du temps, du souffle et un processus de participation, de concertation et d’incitation efficace pour réussir la greffe de l’intégration du monde du savoir au monde du travail, symbiose qui permettra in fine de développer les départements de recherche et de développement, moteurs de valorisation économique.
Se dessine ainsi une philosophie politique qui considère comme nécessaire de faire participer au processus décisionnel tous les acteurs concernés et ainsi fonder dans le consensus toute action, la rendant légitime et pérenne.
Certains pourraient objecter que le temps nécessaire à l’aboutissement des négociations à cause des blocages qui ne manqueront pas de se produire est un sérieux problème. Cette vision insinue qu’il y aurait nécessairement une antinomie des positions où les intérêts particuliers seraient exclusivement contradictoires, au mépris de l’intérêt général. C’est une vision pessimiste à laquelle nous pouvons répondre que pour pareil cas, l’Etat, forcément partie prenante dans les négociations, se doit d’assurer son rôle d’arbitrage.
A contrario, l’exemplarité des comités de défense des quartiers lors des troubles post 14 janvier doit être sublimée et devenir une action politique de premier ordre pour une démocratie locale et participative, transcender l’expérience de l’autodéfense à travers la construction d’un vivre ensemble. Que les municipalités deviennent les caisses de résonnance permanente de cette solidarité source de la vitalité démocratique inédite, que le citoyen ne se sente plus abstraitement et absurdement dirigé, mais qu’il s’implique dans les décisions relatives aux répartitions des budgets, plans d’aménagement qui définissent son entité géographique et l’identité de son quartier dans la manière de bâtir ou de détruire, culture, heures de ramassage des ordures… etc.
La viabilité de la démocratie participative n’est plus à démontrer puisqu’il suffit de s’intéresser aux réussites du modèle brésilien.
Pour conclure, n’oublions pas que la réduction des inégalités par le développement des zones, régions, banlieues pauvres et abandonnées, revendication politique, économique et sociale majeure de notre révolution, prend par définition du temps, ne peut être instantanée. Employer des diplômés chômeurs sans l’existence de postes réels sous la pression de la rue est une stratégie qui vise à parer aux urgences mais qui est tout simplement contreproductive.
En permettant aux citoyens d’être concrètement partie prenante dans le procès politique, de manière démocratique dans le vrai sens du terme, nous pouvons espérer dépasser les frustrations économiques actuelles pour construire un avenir meilleur.
Publié initialement sur EchGolt.com
MA ahla ERROUKOUB ala ETHAWRA says
l’armee’ TN
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les BANDIDOS de Min. de l’Interieure
ON GELE’ LA REVOLUTION
WA NAKOUHA TOUNES
SAYEB SALEH