La commission des Droits et libertés continue son travail malgré les absences répétitives, selon le groupe OpenGovTn , de quelques uns comme Jalel Farhat (Aridha), Haythem BelKacem (CPR) ou Selma Sarsout (Nahdha). Après avoir rédigé un brouillon des propositions soumises par les députés, une nouvelle mouture a été publiée par Selma Mabrouk Saada (Député du parti Takatol – Membre du groupe Opengov).
Composition de la Commission des Droits et Libertés
Parmi les 17 groupes chargés de l’écriture de la deuxième Constitution tunisienne depuis celle de 1959, se trouve la commission des Droits et Libertés composée de vingt deux membres.
9 membres d’Ennahdha : Farida Laabidi (Présidente), Ahmed Smiii, Ali Fares, Selma Sarsout, Mahmoud Kouia, Mounira Amri, Nejib Mourad, Monia Ibrahim, Mohamed Sghair
2 membres ex-PDM : Salma Baccar (Vice-Présidente) et Ahmed Brahim
1 membre Al Jomhouri : Iyad Dahmani
1 membre Mouvement du Peuple : Mourad Amdouni
3 membre du CPR : Haithem Belkacem, Hasnaa Marsit et Mohamed Jerbi (ces deux derniers ont quitté le CPR pour intégrer le parti Wafa de A.Ayadi)
2 membres Takatol : Selma Mabrouk, Mohamed Allouch,
2 membres Aridha : Ibrahim Kassat et Jalel Farhat,
Nourreddine Mrabti (Union Patriote Libre), Ibrahim Hamdi (Parti de la nation culturelle et unioniste).
Avancée des travaux de la commission des Droits et Libertés
Après un premier brouillon qui a été beaucoup critiqué, entre autres par la LTDH, la dernière version (encore incomplète) datant de ce mois de juillet est composée de vingt articles. Une nette évolution a été perçue dans la dernière mouture.
Dans l’article 2 on parle déjà de l’imprescriptibilité du crime de la torture. L’intégrité du corps et de la dignité humaine serait garantie par l’Etat. Le député Sadok Chourou, -qui a marqué l’ANC par son appel à l’amputation des jambes, des bras et à l’empalement des manifestants -ainsi que certains fanatiques de la torture halal seraient peut-être contre.
Les autres droits et libertés concernant le travail syndical, l’éducation, la fondation de partis politiques, d’associations ou autres miment l’ancienne Constitution. La juriste Ines Harrath dira que
à première vue, il y a énormément d’articles inchangés. Pas de véritable effort de réflexion et de création. Un flou savamment entretenu concernant les points conflictuels.
En effet, l’article 1 traitant de “la sacralité de la vie humaine, sauf exceptions définies par la loi” maintient une ambiguïté (bien qu’il y ait trois versions proposées par les députés) quant à la question de l’abolition de la peine de mort et le droit à l’IVG (Interruption Volontaire de la Grossesse).
Au sujet de la peine de mort, on a contacté le juge Sami Abderrahmen. Voici sa réponse
L’article premier signifie que la campagne d’Amnesty a fait long feu et c’était prévisible. J’ai assisté à certaines des activités de la coalition sur le thème de la peine capitale. Je n’ai pas vu de stratégie claire de lobbying sur ce thème. Je me rappelle, j’ai entendu Khalil Zammiti le sociologue dire qu’on ne peut pas abolir la peine capitale parce qu’elle constitue “un trait culturel” de notre société. On peut citer des dizaines de traits culturels qui ont changé ou disparu.
La voie est encore longue, je crois qu’elle ne se fera pas dans le cadre de la constituante mais dans le cadre de l’accès de la Tunisie au deuxième protocole additionnel facultatif du pacte international sur les droits civiques et politiques.
Les arguments pour l’abolition sont connus, ils sont synthétisés et regroupés par Amnesty, moi j’ajoute un autre argument personnel : les citoyens ne peuvent dans leur rapport à l’Etat donner à celui-ci le droit de les tuer. Cet argument milite en faveur de l’insertion de l’abolition dans le texte de la constitution même car l’abolition inaugure un nouveau rapport qualitatif entre le citoyen et l’Etat.
Il est intéressant de voir ce débat s’installer. Plus de 140 pays et 16 États américains dans le monde ont aboli la peine de mort. Serait-il aussi bientôt le cas de la République tunisienne d’être le 141 pays pour son abolition ou est-ce que la peine de mort serait, comble de l’aberration, un “trait culturel” comme le dit le sociologue tunisien Khalil Zammiti ?
Quant à la question de l’IVG, M.Abderrahmen pose plusieurs interrogations qui devront être tranchées par les députés de l’ANC…
Un embryon est-il sujet de droit ? A-t-il des droits et donc le droit à la vie ? Est-ce une personne ou une potentialité ? On peut s’attendre à ce que les interprétations de certains iront dans le sens que l’avortement est une atteinte au droit à la vie et auront tendance à l’interdire à la lumière de la constitution. Cette question devrait être précisée.
Un débat difficile pourrait et devrait avoir lieu : Ce qu’est la vie ? Ce qu’est l’être humain ? L’être humain aura-il une définition biologique ou spirituelle ? c’est-à-dire sera-t-il protégé dès la conception (comme dans la déclaration américaine des droits de l’Homme) ou sera-t-il protégé uniquement en tant qu’être doué de raison et de conscience ? (position de Européens)
La commission des Droits et Libertés plus répressive que libertaire ?
Pour la majorité des articles déjà écrits au sein de la commission mais qui n’ont pas encore été approuvés dans une séance plénière, on remarque que pour chaque texte garantissant tel droit ou telle liberté, une série de restrictions circoncisent l’article.
Selon l’avocat et leader du mouvement Doustourna (Notre Constitution) Jawher Ben Mbarek, l’esprit de ce texte est plus restrictif que libertaire alors que normalement, c’est le principe de la liberté qui devrait prévaloir et être la base, notamment après une ère liberticide qui a étouffé le peuple tunisien et ce pendant des décennies. Certes, certaines restrictions sont acceptables voire nécessaires mais elles doivent être inscrites dans la Constitution selon les critères de l’exégèse législative.
Dans une interview avec le juriste, ce dernier nous expliquera ces critères considérés comme une règle d’or dans le Droit Constitutionnel et qui devraient être pris en considération par nos députés.
Ces critères se résument en deux principes : le principe de la nécessité et le principe de la proportionnalité. Il n’est pas nécessaire de garantir une liberté et de la faire suivre par une série de restrictions extrêmes.
Il suffirait d’inclure dans un seul article que la liberté est la base et qu’on peut la restreindre dans le cadre de ces deux principes que tout juriste connait, à savoir les principes de la nécessite et de la proportionnalité.
Cela veut dire qu’on ne peut délimiter un droit ou une liberté que si cela se présente comme une nécessité afin de garantir également la liberté d’autrui, et ce en proportionnalité avec les dangers qui peuvent en émaner. Ainsi, on ne peut constitutionnaliser des limites disproportionnées voire exagérées par rapport à l’impact/danger de telle ou telle liberté. D’où, l’importance de recours à ses principes fondamentaux que tout homme de loi reconnaît.
Nos libertés dépendront forcément de cette commission des Droits et Libertés. Cet après midi, la question des libertés d’expression et de presse sera discutée à l’ANC. Les versions de la rédaction de la commission évoluent progressivement. Selon la député Selma Mbrouk Saada, la mouture finale serait votée en séance plénière probablement au mois de septembre. Cependant, voir un député comme Ibrahim Kassas à la télé qui se promène avec une arme blanche et qui menace de tuer un homme (à prendre bien sur dans le contexte) pourrait rendre perplexe plus d’un sur le résultat d’une telle constitution. Ce même député fait partie de la commission des Droits et Libertés…
Ainsi, les Tunisiens découvrent le sens de la démocratie et l’importance d’un vote. Assumer ses choix et leurs impacts serait indéniablement le meilleur exercice pour les prochaines élections. Le rôle de la société civile et du positionnement des partis politiques quant aux questions délicates sera décisif pour arracher des “acquis” qu’on n’a jamais discutés au vrai sens du terme. La construction de la démocratie en Tunisie dans cette période de transition dépendra non pas de ceux qui veulent imposer la dictature mais surtout de ceux qui travaillent pour l’établissement d’un Etat de droit.
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