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[ Quelles que soient ses origines, ses formes et ses couleurs, je Condamne Fermement tout acte terroriste, ayant pour but ultime de transformer le rêve tunisien en un cauchemar chaotique ]

1-1) Si par pensée, on entend l’acte qui pose, dans leurs diverses relations possibles, un sujet et un objet, une histoire critique de la pensée révolutionnaire serait une analyse des conditions dans lesquelles seraient fixées certaines relations de pouvoir intersubjectives, de sujet à objet, dans la mesure où celles-ci sont constitutives d’un savoir possible. Il s’agit pour cet objet d’étude de déterminer son mode de fonctionnement ; car celui-ci n’est évidemment pas le même selon que la connaissance dont il s’agit a la forme de l’exégèse titubante du mouvement Ennahda, d’une observation d’un front populaire sans horizon programmatique ni analyse théorique et des vraies bases d’un dialogue national – qui n’a rien de national [1] sauf le nom [2], De Saussure nous a tous appris que le rapport signifiant /signifié est arbitraire dès l’origine.

Il faut examiner à quelles conditions la révolution peut devenir un objet pour une connaissance possible, comment elle a été problématisée comme objet à connaitre, à quel procédé de découpage elle a pu être soumise, la part d’elle-même qui a été considérée comme pertinente ?

Cette objectivation et cette subjectivation ne sont pas indépendantes l’une de l’autre ; c’est par leur développement mutuel et leur lien réciproque que naissent ce qu’on pourrait appeler des « jeux de vérité » : c’est-à-dire non pas la découverte des choses vraies, mais les règles selon lesquelles, à propos de certaines choses, ce qu’un sujet peut dire relève de la question du vrai et du faux.

En somme, l’histoire critique de notre révolution n’est ni une histoire des acquisitions ni une histoire des occultations de la vérité ; c’est l’histoire de l’émergence des jeux de vérité : c’est l’histoire des « véridictions » entendues comme les formes selon lesquelles s’articulent sur un domaine de choses, des discours susceptibles d’être dits vrais ou faux.

Quelles ont été les conditions de cette émergence de la révolution, le prix dont elle a été payée, ses effets sur le réel et la manière dont, liant un certain type d’objet à certaines modalités du sujet, elle a constitué, pour un temps, une aire et des individus donnés, l’a priori historique d’une expérience possible ?

Ce questionnement peut être tenu pour une « Archéologie du savoir », nous répond Michel Foucault, et je le nomme tout simplement le dé-voilement archéologique d’une révolution.

1-2) notre révolution a incarné l’essence de l’héroïsme existentiel en matière de la vie politique comme vie héroïque, au début du printemps arabe. Les jeunes tunisiens étaient là, aux coins des rues, sur les places publiques, à la porte des temples à abattre les idoles du despotisme, en train d’interpeller les gens pour leur dire, pas simplement et seulement que le changement est possible, mais que la Révolution est une vérité bien réelle et qu’il faut en croire leurs yeux, que la protestation est universelle contre la confiscation par Ben Ali de leur Humanité. Mais aux jeunes, on reproche leur ignorance et leur exaltation [3], on place, on déplace et on replace les snipers pour les chasser et déraciner avec eux tout espoir de libération, de (re)humanisation. Là où les interdits sont jetés à bas, Là où les jeunes affrontaient l’armature du dictateur avec courage et présentaient la voie courte vers la dignité nationale et la vertu, là où la déconstruction du régime est poussée jusqu’à la terre vierge [4] ,jusqu’à l’état pur, là où les jeunes d’Ezzohour de Thdamen de zahrouni et Mallassin accomplirent le geste que la nature elle-même nous indique; le geste raisonnable de dignité morale, qui consiste à pratiquer communément une séparation qui subjectivise et anéantit la pratique de trente ans de peur , ce geste ne dépendait que de leur souffrance et leur conscience. La dite classe des technocrates et des résistants de la dernière heure les révolutionnaires après-coup, a posteriori, observent de leurs fenêtres et interdisent à leurs enfants et à leurs proches de prendre parti pour la révolution.

1-3) « Derrière chaque caverne une autre qui s’ouvre, plus profonde encore, et au dessous de chaque surface un monde souterrain plus vaste, plus étranger, (…) et sous tous les fonds, sous toutes les fondations, un tréfonds plus profond encore » [5].

Le premier tréfonds, le plus énigmatique c’est la réalité du départ du dictateur [6], la réalité des snipers, et les événements tragique de Rouhia dont les responsables demeurent à ce jour inconnus. Ainsi on commence un feuilleton de camouflages et de non-dits. La machine des chiens de garde [7] a repris son souffle, et l’ancien/nouveau [8] régime se réorganise et une vérité se dévoile; les coups de marteaux des jeunes n’allaient pas aussi profondément pour déterrer les « idoles » du tyran, tant qu’il y a dans ce monde plus des idoles que des réalités.

Dans le déluge de feu et de sang de la révolution, le volcan a craché seulement la tête du Dragon, mais sa force ne lui permettait pas de recracher les pions. De la religiosité sans religion, du messianisme sans messianicité [9], le discours destructif de l’anti-révolution aujourd’hui n’est pas une soustraction, elle est une stratégie de discours, qui déplace les attributions que les pions se sont réservées sur l’échiquier et les redistribue selon un autre parergon, un autre effet de cadre. Mais ils ignorent avec une mauvaise foi punique que : « Seule la justice est indéconstructible, elle qui ne se réduit à aucune loi ni à aucun Droit, et c’est d’ailleurs elle qui permet toute déconstruction. » [10]

Cet espace zéro, ou plutôt ce degré zéro de l’anti-révolution, est impossible à penser, il est l’impossible absolu, matrice et séparation de tout ce qui en dérive, parce que son mode de fonctionnement, de mouvement est insaisissable, indéterminé. L’anti-révolution n’a pas de lieu autre que le coup de dés qui le jette dans un nouvel espace à chaque moment. « Endosse bravement son péché pour que celui-ci s’avère impossible, insociable, intolérable ; il fait éclater l’injustice, dans l’espoir que l’injustice s’annulera elle-même par l’homéopathie de la surenchère et de l’esclandre. » [11]

1-4) La révolution en-soi n’est ni un chaos ni un mal radical, mais un espacement objectif ni bon ni mauvais, parce qu’il fournit l’espace entre- deux, entre n’importe lequel des deux ou plus de deux. C’est une troisième chose, qui tente de préserver une sorte de neutralité radicale, qu’il tende en permanence à devenir, c’est le lieu des processus poly-dimensionnels d’origine. Elle travaille comme un principe de pureté, de mixité indépassable, comme une loi de purification non négociable à l’intérieur de toutes les représentations, toutes les oppositions paradigmatiques qui seraient négociables, médiatisables ou dialectisables.

Il faut bien qu’elle y ait un point d’impact, c’est ce prisme qui transforme, forme et déforme ce qui est entrevu de fondement réel dans son impureté et sa complexité. Mais ce n’est pas pour autant un composite sensible ou empirique participant de plusieurs essences simples. C’est plutôt le milieu antérieur dans lequel se produisent la différenciation en général, l’opposition entre l’eidos originale et ses copies altérées.

La question de la politique apparait, dans le début de la révolution, entre autres questions (la dignité, la pauvreté, le chômage…). Ce n’est donc pas, la question centrale, ni principale. C’est une question subordonnée deux fois, à la question de la liberté d’une part, puis, d’autre part à la question de l’essence de l’Etat ou de – si on préfère- « l’être-en- communauté ». Dans cette assignation d’un « propre » impropre, nous pouvons reconnaitre une forme bien spécifique d’exclusion de l’impur [12].

À suivre

Notes

-1- Où est le peuple dans ce dialogue ? : «Pour moi, (…) Le recours au peuple par la voie de référendum, chaque foi qu’il s’agirait de son destin ou des ses institutions, (…) c’étaient les bases de la démocratie” Charles De Gaulle. Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, éd. Pocket, 2006.

-2- Le titre d’un livre de Jacques Derrida, sauf le nom, réédition, Galilée, 2006.

-3- Esbssi au début de la révolution : « ce n’est pas une révolution mais seulement l’enthousiasme des jeunes »

-4- Expression de Michel Onfray avec modification.

-5- Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, p.304

-6- La Majorité du peuple ignore les circonstances de la fuite du dictateur.

-7- Paul Nizan, Les chiens de garde, Paris, éd, Agone, 2012.

-8- Mars 2011 : “Le tribunal de 1ère instance de Tunis a décidé de dissoudre le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) et de liquider ses biens et ses fonds”.

-9- Jacques Derrida, Spectres de Marx, éd. Galilée, 1993 : « la messianicité est « tout, sauf utopique. Elle se réfère dans chaque ici et maintenant, à la venue d’un événement éminemment réel et concret. Rien de plus “réaliste” et “immédiat” que cette appréhension messianique » p, 248. 

-10- Alain Badiou, Le petit panthéon portatif, Paris, éd. La fabrique, 2008, p.123.

-11- Vladimir Jankélévitch, L’ironie, Champs-Flammarion, 1999, p, 105.

-12- Voir, Naceur Khemiri, Problématiques de l’image, éd. Anrt, 2013, p, 416.


Bibliographie

Alain Badiou, Le petit panthéon portatif, Paris, éd. La fabrique, 2008.
Charles De Gaulle, Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, éd. Pocket, 2006.
Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969.
Jacques Derrida, Sauf le nom, réédition, Galilée, 2006. Spectres de Marx, éd. Galilée, 1993.
Vladimir Jankélévitch, L’ironie, Champs-Flammarion, 1999.
Naceur Khemiri, Problématiques de l’image. Inesthétique des arts de l’Islam, éd. Arnt, 2013.
Paul Nizan, Les chiens de garde, Paris, éd, Agone, 2012.
Michel Onfray, Cynismes, Paris, éd. Grasset, 1997.