La septième conférence annuelle de l’ « Arab Reporters for Investigative Journalism » (ARIJ) s’est tenue, à Amman, du 5 au 7 décembre derniers, autour du thème de l’indépendance des médias arabes.
Qu’est-ce que ARIJ ?
ARIJ est une Organisation Non Gouvernementale, dédiée à la promotion du journalisme d’investigation dans le monde arabe, qui opère dans 9 pays de la région Mena, à savoir : la Tunisie, la Jordanie, la Syrie, le Liban, l’Egypte, l’Irak, le Bahrein, la Palestine et le Yémen. Créee en 2005 et basée à Amman en Jordanie, ARIJ encourage un journalisme indépendant de qualité, à travers le financement de projets d’investigations dans ces pays, mais aussi à travers la formation et le coaching des journalistes en la matière, que ce soit au niveau de la presse écrite, de la radio, de la télévision ou encore des médias en ligne. Ansi, l’ONG a formé plus de 1200 journalistes et une centaine de professeurs.
ARIJ est née d’un rassemblement de journalistes, éditeurs, militants et professionnels des médias arabes soucieux d’une plus grande qualité de l’information au niveau local. Sensible à cette question, le parlement danois a dégagé des fonds afin de permettre la mise en place de ce programme, et ce, grâce au soutien de l’International Média Support, une ONG basée à Copenhague qui encourage l’émergence de médias locaux de qualité, dans les zones où la liberté d’information est bafouée ou limitée. L’Association danoise de Journalisme d’Investigation a fourni son appui technique à ce projet. Au fil des années, et au regard de son avancée, plusieurs bailleurs de fonds viendront soutenir ARIJ, dont l’Open Society Foundation, l’International Center For Journalism, et le Swedish International Development Cooperation Agency.
La mission de l’ARIJ est de renforcer l’excellence dans le journalisme d’investigation, qui est essentiel dans une société libre, et demeure essentiel pour assurer la transparence, la responsabilisation et une diversité de points de vue et d’opinions fondées sur des faits documentés, de la recherche et du recoupement des sources. Site internet d’ARIJ
Afin d’y parvenir ARIJ s’est fixé les objectifs suivants :
● Assurer la formation de générations de journalistes d’investigation, tout en leur fournissant les ressources nécessaires, afin de crée une communauté de journalistes indépendants.
● Promouvoir les hauts standards professionnels en matière de journalisme.
● Veiller à protéger les journalistes d’investigations dans les pays concernés.
● Mettre en place des plateformes de recherches et de publications.
● Etre un média indépendant afin d’investiguer sur les sujets sensibles au niveau national, loin des pressions gouvernementales.
L’ONG aide, ainsi, à l’éveil, non seulement d’une conscience journalistique indépendante et de qualité, mais aussi et surtout à sensibiliser l’opinion publique, à travers la publication d’articles sur des sujets, souvent, méconnues ou dont le traitement local a été superficiel.
Journalisme d’investigation : Un combat pour l’indépendance
Cette conférence a rassemblé près de 320 journalistes et experts du monde des médias, afin de débattre et d’échanger sur les avancées du journalisme d’investigation, dans le cadre d’un panel composé de 30 workshops.
L’accent a été mis sur l’importance de l’indépendance des journalistes d’investigation et des outils nécessaires à leur travail. Les sessions plénières ont été marquées par la présence de célébrités de l’investigation journalistique, tels que Tim Sebastian et Seymour Hersh, mais aussi par des personnalités politiques de la région, tel que Marwan Muasher.
Durant ces plénières, trois thèmes ont été débattus :
● « La répression de la liberté d’expression dans le monde arabe ». A ce propos, Tim Sebastian a évoqué la répression de la liberté d’expression dans la région, où nombre de restrictions empêchent le développement d’un journalisme digne de ce nom. Par ailleurs, il a appelé les médias à faire preuve d’un plus grand professionnalisme en présentant des faits documentés de violations, quelles qu’elles soient, à leurs auditoires, afin de toucher l’opinion publique, mais aussi d’obliger les décideurs à rendre des comptes. Nombre de journaliste abandonnent leur liberté d’opinion au profit de « ce que les gens veulent entendre », a-t-il ajouté. Au-delà des pressions politiques subies, c’est surtout l’autocensure que Tim Sebastian a pointé, ressortant le danger de cette attitude néfaste pour les générations futures.
● « Les caprices des réformes dans le monde arabe ». Marwan Muasher, ex ministre jordanien des affaires étrangères et des médias, a relevé que la liberté de la presse a fortement déclinée, dans les pays du printemps arabe, citant le dernier rapport de « Freedom House », le Freedom of Press Index, où aucun pays arabe n’est classé parmi les pays soutenant la liberté de la presse totale, et où seuls la Tunisie, le Liban et le Koweit tolérent une liberté de presse partielle.
● La « Rencontre avec Seymour Hersh » a été l’occasion pour les participants de discuter avec le récipiendaire du prix Pulitzer 1970, à propos de l’importance du journalisme d’investigation dans une région sujette à des changements sans précédent. Dans un franc parler qui lui est caractéristique, Hersh a insisté sur l’importance du rôle des médias, principalement ceux affiliés à ARIJ, dans la révélation de la vérité, dans des nations dirigées par des « nigauds », où la corruption et la soif de pouvoir et d’argent l’emportent. Pointant du doigt les journalistes qui s’acoquinent avec les décideurs et qui laissent de côté des sujets, aussi sensibles que les exactions des droits humains les plus élémentaires, ou encore la pauvreté, il exhorte les journalistes d’investigations à être la source du changement.
En outre, les participants avaient le choix entre une trentaine de workshops spécifiques et techniques, notamment la cyber sécurité, les investigations en matière de contrat pétrolier, le storytelling, la recherche et la vérification des sources, le développement des relations entre médias et société civile, les ABC de l’interview politique, l’usage de la camera cachée, l’investigation des archives de l’Union Européenne, la réduction des risques physiques, les bonnes personnes à faire parler, comment crypter et protéger vos données personnelles, l’enquête par hypothèses….
Animés par des spécialistes, ces workshops sont une excellente initiation théorique et pratique pour les journalistes que des travaux ludiques ont confronté à la dure réalité du terrain.
Nombre de journalistes tunisiens ont pris part à cette conférence, à l’instar de nos confrères de la TAP, du Maghreb, de la Wataniya 2 ou encore d’Inkyfada. Egalement des universitaires de l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information.
Par ailleurs, nous avons eu la chance de discuter avec les responsables du bureau exécutif d’ARIJ, afin d’enraciner la tradition de l’investigation dans la sphère médiatique tunisienne. Mes interlocuteurs ont déploré le manque de performance et de profondeur dans les investigations des journalistes tunisiens, en comparaison avec les autres pays arabes, où la situation des journalistes est bien plus précaire. Ils ont, également, évoqué la nécessité d’accentuer les formations et le coaching dans ce domaine en Tunisie, afin qu’émerge une nouvelle génération de passionnés, capable de faire face, avec les meilleurs outils possibles, aux défis d’une investigation saine et démocratique. Le bureau exécutif d’ARIJ a promis d’étudier la possibilité de dispenser, plus fréquemment, ce genre de formation aux étudiants en journalisme et aux journalistes tunisiens.
En attendant que les journalistes se remuent pour que l’investigation en Tunisie devienne une tradition.
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