Est puni d’emprisonnement pendant six ans, celui qui fait subir sans violences, l’acte sexuel à un enfant de sexe féminin âgé de moins de quinze ans accomplis.
La peine est de cinq ans d’emprisonnement si l’âge de la victime est supérieur à quinze ans et inférieur à vingt ans accomplis.
La tentative est punissable.
Le mariage du coupable avec la victime dans les deux cas prévus par le présent article arrête les poursuites ou les effets de la condamnation. Article 227 bis du code pénal tunisien.1
Le texte que vous venez de lire est l’autorisation légale pour un violeur d’épouser sa victime afin d’échapper à toute poursuite judiciaire.
En lisant attentivement cet article de loi, et avec quelques connaissances de la législation tunisienne, l’absurdité, l’archaïsme et le tragique de ce texte deviennent évidents. Approchons la question point par point.
Le texte ne mentionne pas expressément la notion juridique de viol ou d’agression sexuelle.
Le terme ‘viol’ ou celui d’ ‘agression sexuelle’ ne sont jamais mentionnés. La notion de viol est présente dans l’article précédent du code, l’article 227, sans pour autant être définie. En tant que juriste, je peux vous assurer qu’il n’est pas évident de qualifier une situation de crime donné si le législateur lui-même ne s’est pas donné la peine de définir ledit crime. Le terme ainsi utilisé à l’article 227 est une coquille vide. Tout et rien peut donc être entendu comme étant un viol ou une agression sexuelle, dans bien des cas, le rien est retenu.
La notion de consentement légalement valable n’est pas exprimée.
En réalité, la notion du consentement est non-existante dans le texte. Le fait que la victime ne soit pas consentante ne semble pas d’importance pour le législateur tunisien.
L’article 227 bis instaure une discrimination à l’encontre des femmes.
L’article 227 bis s’applique uniquement aux femmes. A priori pourtant, tant les femmes que les hommes peuvent subir viol et/ou agressions sexuelles. Ce texte de loi rédigé pour punir un crime qui n’est ni nommé ni qualifié, à l’encontre des seules femmes, donne une idée sur l’opinion que portait alors le législateur sur le sexe féminin, sexe faible, opérant une discrimination flagrante entre citoyens basée sur le genre. En lisant l’article suivant dans le code, l’article 228, la discrimination portée par l’article 227 bis devient criante. L’article 228 porte sur les agressions sexuelles – cette fois-ci le crime est nommé, qualifié – et n’opère aucune discrimination basée sur le sexe. Par ailleurs, la définition de l’âge correspond à la majorité légale en Tunisie, le texte distinguant ainsi l’agression sexuelle sur mineur de l’agression sexuelle sur majeur. Quelle est alors l’utilité de l’article 227 bis, qui traite d’un crime non qualifié, est discriminatoire, incomplet et confus, à côté de l’article 228, qui lui énonce clairement le crime et est d’application générale ? La seule réponse qui vient à l’esprit est le fait d’opérer une discrimination à l’encontre des femmes.
Les paliers d’âge ne font pas de sens dans le code pénal pris dans sa globalité.
Les paliers d’âges sont surprenants. Tout d’abord, le texte distingue entre les victimes féminines de moins de 15 ans et les victimes féminines entre 15 et 20 ans. Ensuite, le texte ne prend aucunement en compte l’âge de la majorité légale en Tunisie, 18 ans.
D’où vient cette incongruité ?
Il s’agit d’un héritage du droit français. Jusqu’en 2006 en France, la nubilité était atteinte à l’âge de 15 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons. Le législateur français, dans un souci d’égalité des sexes, a finalement modifié cette situation par une loi du 5 avril 2006, passant l’âge de nubilité à 18 ans pour les hommes et les femmes. Le même amendement a été opéré par le législateur tunisien par une loi du 14 mai 2007; la nubilité passant de 15 ans pour les filles et 17 ans pour les garçons à 18 ans pour les deux.
Une autre notion doit être abordée afin de bien comprendre le problème, celle de la majorité sexuelle légale. En France, l’ancien âge de nubilité coïncidait avec la majorité sexuelle. Alors que l’âge de nubilité a été élevé à 18 ans pour les deux sexes, la majorité sexuelle, elle, a été maintenue à 15 ans pour les deux sexes. En France, le Conseil Constitutionnel a éclairci la notion de majorité sexuelle en 2012, donnant la définition suivante :
L’âge à partir duquel un mineur peut valablement consentir à des relations sexuelles avec une personne majeure à condition que cette dernière ne soit pas en position d’autorité à l’égard du mineur. Conseil Constitutionnel de la République Française, Décision n° 2011-222 QPC du 17 février 2012.
Le législateur tunisien a été moins fin dans son approche de la question. Bien que l’âge de nubilité ait été fixé en concordance avec la majorité légale, 18 ans, la majorité sexuelle pour les femmes a quant à elle été revue à la hausse, la fixant, à travers l’article 227 bis, à 20 ans.
Le système juridique tunisien nous offre ainsi un sublime exemple d’absurdité juridique. Une femme mariée ayant entre 18 ans et 20 ans, n’a – selon le législateur tunisien – donc pas atteint sa majorité sexuelle. Messieurs, pour consommer la noce en toute légalité, il faudra repasser dans deux ans.
Comment tout cela amène-t-il au fait qu’un violeur puisse épouser sa victime pour éviter toute poursuite ?
Ainsi que précédemment abordé, l’article 227 bis du code pénal ne se réfère pas expressément au viol ni à l’agression sexuelle. Il faut comprendre qu’en droit, la sémantique est primordiale. La notion de consentement à l’acte sexuel n’est pas exprimée non plus. Lorsqu’il y a mariage d’un homme et d’une femme, après que ces derniers aient eu une ou des relations sexuelles, dans une situation normale, le premier implique que la ou les secondes étaient consentie(s). Mais le texte de l’article 227 bis ne parle pas de consentement. Il est question de « faire subir sans violences, l’acte sexuel (…)». Ceci implique qu’il y ait une personne qui inflige et une seconde qui subit. En d’autre mots, la seconde personne est une victime – or il n’existe pas de victime consentante. Aux yeux du législateur tunisien, si mariage il y a, alors l’acte sexuel n’était pas infligé mais bien consenti. C’est ainsi qu’une ‘brillante’ législation a donné lieux à ce dernier alinéa, édictant qu’en cas de mariage toute poursuite est arrêtée et toute condamnation prend fin. Si l’acte sexuel n’était pas consenti dès le départ, pourquoi diable la victime-fiancée donnerait-elle son consentement au mariage ? Le fait est que ce cas de figure arrive dans la grande majorité des cas à de jeunes filles ayant plus de 15 ans, mais pas encore 18 ans – n’ayant donc pas encore atteint la majorité légale et pour qui le consentement au mariage dépend des parents.
Les parents se retrouvant avec une fille impure – comprenez qui n’est plus vierge – souhaiteront couvrir cette honte en mariant la fille à son bourreau. Un autre argument souvent entendu en abordant ce sujet, est que personne ne voudra plus l’épouser, puisqu’elle n’est plus vierge. Il devient ainsi préférable pour la fille et pour toute sa famille que les deux protagonistes se marient. C’est une situation gagnant-gagnant, la fille est mariée, l’honneur de la famille est sauf, et la prison est échappée. Ouf ! Il était moins une.
Si cela est d’une quelconque pertinence, l’article 227 bis du code pénal tunisien se trouve sous le Livre II, Titre II, Chapitre 1er, Section III- attentats aux mœurs, Sous-Section II – attentats à la pudeur. Heureusement que le législateur tunisien est là pour distinguer des crimes pudiques des crimes impudiques.
À Sousse, ce samedi 6 décembre, une conférence-débat suivie d’une manifestation contre l’article 227 bis a été organisée par Amnesty International en collaboration avec l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD). Lors de la démonstration, hommes et femmes de tous âges et de tous horizons sociaux, religieux et séculiers confondus sont venus apporter leur soutien à cette cause, demandant l’abrogation de l’article 227 bis. Certaines personnes rencontrées était moins enthousiastes, et soutenaient plutôt l’infâme tradition de ‘couvrir la honte’.
Je me suis approchée d’un homme qui clamait haut et fort que c’était mieux comme ça, que comme ça, l’homme au moins couvrait la honte de la fille, et lui ai demandé : « Et si c’était votre fille ?» Une question simple, mais qu’il l’a profondément troublé. Il m’a regardé agape, « dawa5tni » (tu m’as assommé).
La honte n’est pas sur la victime. Elle ne doit jamais l’être. La honte est sur l’auteur du crime, le coupable. La honte est sur le violeur. Comme l’a dit Hayet Jazzar, avocate et membre de l’ATFD, « la honte doit changer de camp ».
Amnesty International mène actuellement une campagne pour « arrêter d’excuser les violences sexuelles », visant directement l’article 227 bis du code pénal tunisien et son équivalent en Algérie, l’article 326 du code pénal algérien2. Au Maroc la législation a changé suite à la triste tragédie connue par Amina El Filali en 2012. Amina, 16 ans, s’était suicidée après avoir été mariée à l’homme qui l’avait violé.
Il est temps de mettre fin à cette violence sexuelle sous couvert de la loi.
Notes
- Code Pénal de la République Tunisienne, version en ligne, www.e-justice.tn, 2013.
- Art. 326 Code pénal algérien, alinéa 2 : « Lorsqu’une mineure ainsi enlevée ou détournée a épousé son ravisseur, celui-ci ne peut être poursuivi que sur la plainte des personnes ayant qualité pour demander l’annulation du mariage et ne peut être condamné qu’après que cette annulation a été prononcée. » Code Pénal Algérien, Journal Officiel de la République Algérienne Démocratique et Populaire.
- ‘Le suicide qui bouleverse la société marocaine’, Isabelle Mandraud, Le Monde, 24.03.2012.
merci à l’auteure de cet article qui remet les pendules à l’heure et révèle toutes les aberrations de la loi tunisienne…
Aberrations de la loi tunisienne d’origine francaise, merci Bourguiba. Abberations qui trouvent leurs origines dans le soucis de nos grands libérateurs bourguibistes et benalistes de copier coute que coute la France sans interroger les applications pratiques dans la culture tunisienne.
Tous ces détails sur les carences de la loi, ne peuvent servir qu’a innocenter les violeurset à encouragerle laxisme des jugeset destribunaux, et à satisfaires les directives politiques decalmer lesesprits. Aquand une révision radicale et claire de la législation, qui aboutit à punir sévèrement tout violeur. Car lalégislation actuelle est troppermissive, voir trestolérance vis à vis des violeurs. cettelégislation relèveen fait d’un modèle de société super libérale, qui ne peut mener à plus ou moinslong terme qu’à une dictature.
@ Bechir: Cette legislation ne peut pas mener à une dictature, elle est issue de 2 dictatures consécutives dans notre pays. Dictatures qui ont decrété que le peuple tunisien n’était pas mûre pour la démocratie, mais devait néanmoins suivre un modèle importé d’Europe – de gré ou de force – pour son salut.
Merci Mariem de pointer ces vides et ces contradictions d’un code qui devrait être le plus complet et le plus limpide possible. En cela, il est, hélas ! à l’image de quelques articles, véritables bombes à retardement, de notre nouvelle constitution.
Voici un bref résumé de ce que dit, en la matière, la législation et la jurisprudence sunnites. Cela pourra aider à contextualiser et à mieux apprécier les errements du législateur tunisien, et, accessoirement, rafraichir la mémoire un peu obscurcie de certains qui pointent le nez pour dénigrer le droit positif.
1- La sodomie entre hommes est punie de mort (lapidation). Les jurisconsultes invoquent à cet effet la sourate Al-Mâ’ida, V, 33.
” إنما جزاء الذين يحاربون الله ورسوله ويسعون في الأرض فسادا أن يقتّلوا أو يصلّبوا أو تقطّع أيديهم وأرجلهم من خلاف أو يُنفوا من الأرض ذلك لهم خزي في الدنيا ولهم في الآخرة عذاب عظيم ”
« La rétribution de ceux qui font la guerre à Dieu, à son messager et se livrent, par inclination et ardeur, à semer le désordre sur terre, sera spécifiquement et sans indulgence, de les tuer, de les crucifier, de leur trancher une main et le pied opposés, ou de les bannir de la contrée. Cela leur sera opprobre dans l’Ici-bas et, dans l’Au-delà, ils auront un tourment immense. »***
Il est à noter que ce verset concerne des brigands et des pillards musulmans, comme le rapportent, avec des divergences sur l’identité de ces criminel, tous les commentateurs : Le Prophète avait ordonné de mettre à la torture, jusqu’à ce que mort s’ensuive, des hommes de la tribu de ‘Ukl ou de ‘Urayna ou d’autres personnes qui avaient pillé des chameaux lui appartenant et tué le chamelier qui les gardait. Fakhr ‘Ad-Dîn ‘Ar-Râziyy, par ex., Mafâtîh… dit :
“…هذه الآية نزلت في قطاع الطريق من المسلمين وهذا قول أكثر الفقهاء…”
Les sodomites sont donc assimilés à ceux qui sèment le trouble en Terre d’islam : assassins, apostats, coupeurs de route…, et doivent à ce titre être mis à mort. La punition est exprimée plus explicitement dans le célèbre hadith fixant la peine de « l’agent » et du « patient », fâ’il et maf’ûl bi-hi,
“من وجدتموه يعمل عمل قوم لوط فاقتلوا الفاعل والمفعول به”
« Si vous trouvez des gens qui commettent les œuvres des contribules de Lût [Loth], tuez l’actif et le passif ». Cf. Abû Dâwûd, At-Tirmidhiyy, Ahmad, ‘Ibn Mâja…
La jurisprudence spécifie encore davantage en précisant qu’en l’absence de consentement, seul l’actif est puni de mort.
2- Pour le viol commis par un homme sur une femme, on distingue deux cas d’espèce :
– L’agresseur est marié et il doit être mis à mort.
– L’agresseur ne l’est pas, auquel cas il reçoit cent coups de fouets (la littérature que cela pouvait causer la mort du supplicié) à quoi s’ajoute le bannissement d’une année ; et il doit en outre verser une « dote », mahr, à l’agressée.
3- Concernant les viols commis par des femmes sur d’autres femmes ou par des femmes sur des hommes, rien n’est mentionné ; ni dans le coran ni dans le hadith.
En conséquence de quoi la jurisprudence est muette.
Ce même vide est à signaler, d’ailleurs, en matière d’homosexualité féminine, « as-suhâq ». Tous les jurisconsultes s’accordent à dire qu’il ne relève pas du « zinâ’ », adultère -et plus généralement rapport sexuel illicite : le juge doit ici apprécier les faits et leurs circonstances et appliquer une peine de son cru, dite de ta’zîr, admonestation.
Certains affirment que la peine peut aller jusqu’à la bastonnade.
***Les traductions françaises et anglaises consultées -une dizaine- ne rendent pas l’intensif des verbes qattala, sallaba, qatta’a. Il est vrai que quelques rares lecteurs lisent ces verbes à la forme nue. Ces traductions ne rendent pas, non plus, le connecteur « ‘innamâ », spécifiant de manière exclusive la nature de la punition.
Par ailleurs, les commentateurs et les écoles juridiques ne sont pas unanimes sur l’interprétation de l’alternative introduite par « ‘aw » ; certains y voient une coordination. Le choix retenu se réfère à l’avis majoritaire des Sunnites.