Transformer un site voué à l’abandon en un projet de développement durable intégré, c’est ce qu’a réalisé, en une décennie, le Groupement de Développement Agricole (GDA) de Sidi Amor. Récit d’une expérience pionnière.
La transition écologique existe. C’est dans les hauteurs de Djebel Sidi Amor, à une quinzaine de kilomètres de Tunis, que nous l’avons trouvé. Le temps semble suspendu. Il y a dix ans, cet endroit n’était qu’un terrain délaissé et menacé, « où il n’y avait pas un arbre ». Aujourd’hui, le lieu est d’une beauté mystérieuse, tant par son authenticité que par la tranquillité qu’il dégage.
Mais pour en arriver là, il aura fallu aux porteurs du projet une sacrée résistance, de l’audace, du courage, et une belle énergie collective. Il est peut-être là, le secret de Sidi Amor : le sens du bien commun. Car une fois le site réhabilité, l’équipe a lancé plusieurs chantiers qui ne furent en réalité qu’un prétexte pour redonner vie à de nombreux savoir-faire : la céramique, l’agroforesterie, la vannerie, l’apiculture, la ferronnerie, la distillation des huiles essentielles, ou encore l’écoconstruction. Ces chantiers-formations ont aussi pour objectifs de stimuler l’autonomie des jeunes, de susciter des vocations dans les métiers traditionnels et de sensibiliser à la protection de l’environnement.
Promouvoir l’écoconstruction
Car à Sidi Amor, les constructions ne se font qu’avec des matériaux locaux et naturels tels que la terre (adobe, briques de terre compressées, pisé), la paille, la pierre locale maçonnée, taillée ou polie. « Nous expérimentons des alternatives aux matériaux de constructions modernes, comme le béton armé », explique Ahmed Hermassi, Secrétaire Général du GDA de Sidi Amor. « Nous n’inventons rien, nous ne faisons que réhabiliter des savoir-faire ancestraux », dit-il humblement. La parcelle a vu défiler de nombreux artisans, venus du monde entier. « Beaucoup d’experts nationaux et internationaux ont participé à la réalisation de ce qu’est aujourd’hui Sidi Amor. Au dernier workshop que nous avons organisé, il y avait Jacky Jeannet, un architecte qui a 25 ans d’expérience dans la construction en pisé ! Il nous a énormément appris ». Le pisé est un procédé de construction de murs en terre crue, compactée dans un coffrage en couches successives à l’aide d’un pilon. Généralement, la terre utilisée est extraite dans l’environnement immédiat de la construction. Autres techniques développées à Sidi Amor : les briques de terre compressées. En effet, le site dispose d’une briqueterie qui assure la fabrication de ces briques.
Aujourd’hui, le site dispose de trois bâtiments écologiques : une maison en bottes de paille, une maison en briques de terre crue et une maison en parpaings en poudre de gypse. Tout cela réalisé à l’occasion de chantiers participatifs qui ont réuni des professionnels (ingénieurs, architectes), mais aussi des étudiants et des jeunes scouts.
A travers ces chantiers nous avons voulu sensibiliser les participants aux nouvelles formes d’habitat, développer les énergies renouvelables, montrer que la construction et la finition peuvent se faire avec des matériaux récupérés, etc.
Si le résultat est époustouflant, Ahmed rappelle qu’il a fallu beaucoup de patience pour voir le bout du tunnel : « Si vous saviez le nombre de construction/déconstruction avant d’en arriver là. A partir du moment où nous sommes dans une logique d’expérimentation, il faut accepter les échecs. C’est ce qui nous permet aujourd’hui de pousser encore plus loin nos projets ».
Le projet Haidara
Plus loin. Ils y sont déjà avec le projet « Haidara » dont l’objectif est de construire, pour une famille démunie, une maison bioclimatique selon les standards de l’écoconstruction. « Nous voulons que cette maison soit un modèle de maison écologique à la portée de tous », note Ahmed. En effet, le GDA de Sidi Amor milite pour que chaque famille puisse avoir accès à un habitat digne, sain, et qui prenne en considération les besoins des familles. Par exemple, la famille bénéficiaire compte quatre personnes, dont une à mobilité réduite. Par conséquent, la maison sera aménagée de façon à faciliter le quotidien de la jeune fille handicapée. « Nous espérons que ce type d’habitat servira de modèle aux communautés voisines et qu’elles s’en inspireront », développe Ahmed.
L’idée est aussi de mettre au service d’une famille, toute l’expérience qu’ils ont accumulée dans le domaine de l’écoconstruction : « C’est l’occasion pour nous de consolider les différents acquis et résultats que nous avons collectés tout au long de ces nombreuses années de travail ».
Redonner vie aux métiers traditionnels
La modernisation des techniques et des matériaux de construction a aujourd’hui mis au banc les métiers traditionnels, tels que la céramique, la charpenterie ou encore la mosaïque.
« Ce sont des métiers aujourd’hui complètement dévalorisés, alors même qu’il y a une nécessité à réhabiliter ses savoir-faire car partout chacun d’entre nous peut constater les dégâts causés par les modes de construction à l’œuvre en Tunisie », affirme Ahmed.
Loin de toute nostalgie ou passéisme, le GDA de Sidi Amor cherche à faire revivre des techniques de constructions multiséculaires qui répondent aux besoins actuels en valorisant les ressources naturelles et en redonnant vie aux métiers traditionnels. Par métiers traditionnels, il ne faut pas entendre métiers anciens, au sens où ces métiers utiliseraient des techniques du passé, mais métier comme un art vivant qui a été transmis de génération en génération. C’est précisément cette transmission, par le truchement d’une initiation d’homme à homme, qui constitue le caractère authentique et fiable de ces métiers. Force est de constater qu’aujourd’hui, ce processus de transmission est à la fois orphelin d’espaces, mais aussi de personnes susceptibles de recevoir cet enseignement.
Face à ce désintérêt croissant, l’équipe souhaite donner un nouveau souffle aux métiers traditionnels. Récemment, le GDA de Sidi Amor a ouvert un atelier de céramique dont l’objectif est de soutenir la création d’emploi dans le secteur de l’artisanat, mais aussi, et surtout d’initier les jeunes tunisiens à un métier qui « a fait preuve au fil des siècles, d’une fabuleuse créativité technique et stylistique ». En effet, la céramique est une composante culturelle majeure de la civilisation arabo-musulmane. « Nous souhaitons que cet atelier soit une force d’innovation, car un des grands problèmes de la céramique, mais aussi de la poterie, c’est qu’il y a une stagnation de la créativité des artisans qui se contentent de reproduire des modèles », regrette Ahmed. Ainsi, cet atelier ambitionne de former des jeunes à l’art de la céramique en tant qu’activité de production, mais surtout, en tant que vocation créatrice et artistique où ils pourront échanger, exposer, expérimenter et apprendre.
- Internet
- sidi-amor.org
NB Le site de Sidi Amor est un lieu privé, par conséquent il ne peut être visité que sur rendez-vous et pour des raisons professionnelles.
Merci pour les belles photos
Bravo
Super reportage ! Dommage que le lieu soit fermé au public, car beaucoup de personnes pourraient s’inspirer de cet endroit et créer à leur tour des oasis comme celles-ci dans d’autres régions.
La transition écologique existe. C’est dans les hauteurs de Djebel Sidi Amor, à une quinzaine de kilomètres de Tunis, que nous l’avons trouvée ( à la fin ée )