Dans le seul but de responsabiliser l’Etat face à son rôle de maintien de l’égalité et la dignité entre citoyens, Nawaat rapporte une énième histoire de jeune fille sans domicile fixe, exposée à la violence et à la délinquance et au bout du désespoir.
« Je suis née dans la rue. Dix-neuf ans après, je me retrouve à nouveau dans la rue ». C’est ainsi que Rania a commencé à raconter son histoire. Son apparence masculine et ses traits de visage épais ne changent rien à sa condition de jeune femme fragile dès la naissance. Sans famille, Rania a vécu dans des centres d’intégration de la jeunesse et de l’enfance à Borj El Amri, à Zahrouni et à Cité El Khadra.
J’ai été adoptée par une famille ordinaire et je menais une vie normale malgré les mauvaises langues qui me rappelaient ma situation particulière. À l’âge de 11 ans, le beau-frère de ma mère adoptive m’a violée. Sous le choc et face à l’absence de tout soutien, j’ai fugué et je me suis retrouvée dans la rue. Après quelques mois d’errance, j’ai fait une tentative de suicide. Mon séjour à l’hôpital a fini par la décision du délégué de l’enfance de m’intégrer dans le centre de Zahrouni, raconte Rania.
Des années de souffrance et d’exclusion ont suivi cet épisode de sa vie. « J’ai combattu la dépression et la violence qui m’entouraient par le théâtre. J’ai joué dans plusieurs pièces de théâtre avec des vrais metteurs en scène. Mais mon bonheur n’a pas duré car on m’a mutée vers un autre centre loin de Tunis (Borj El Amri). Le directeur m’a interdit de me rendre à Tunis pour poursuivre mes répétitions de théâtre. Quelques mois après, le même directeur décide de me virer carrément de son établissement parce que j’ai atteint l’âge de la majorité. Je venais d’avoir 18 ans ».
Même si Rania a dépassé l’âge légal qui puisse lui permettre d’être prise en charge par les structures du Ministère des Affaires Sociales, elle demeure encore une citoyenne sans soutien, sans domicile ni éducation.
Mon rêve est de finir mes études et de rattraper les années perdues entre les tentatives de suicide et la pauvreté, confirme la jeune femme avec chagrin.
Durant le fameux sit-in du Bardo (Juillet – Août 2013), la jeune fille a eu l’occasion de faire la connaissance de plusieurs militants et acteurs politiques importants. « C’est en fait à travers une des élues de l’Assemblée Nationale Constituante que j’ai réussi à avoir une bourse pour un logement fixe et pour mes études. Un simple téléphone a réglé tous mes problèmes. Le Ministère des Affaires Sociales s’est engagé à me verser une somme de 250 dinars par mois jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat », poursuit Rania.
Toutefois, l’accord a pris fin après les élections législatives (Octobre 2014). « Incapable de payer mon loyer et de continuer mes études, je me suis rendue au Ministère des Affaires Sociales mais sans résultat. Ils m’ont dit que je n’ai plus droit ni à une bourse ni à quelconque forme de soutien de l’Etat. Tout ce que je demande, c’est de trouver un logement », explique Rania. Actuellement, Rania est logée dans un hôtel au centre-ville de Tunis que l’association « Beyti » offre, provisoirement aux femmes sans domicile fixe.
La situation précaire de Rania ou encore de Nouha (qui vient de donner naissance à un bébé) et de Saber (un jeune Sdf avec un handicap mental) ne sont pas une exception. Même si nous n’avons pas encore une étude nationale sur les personnes qui vivent dans la rue, plusieurs estiment une croissance de ce phénomène dans les grandes villes voire même dans les régions. Ce phénomène risque de fragiliser encore plus la stabilité sociale et économique du pays.
« Les droits fondamentaux d’une vie décente ne concernent certainement pas les sans familles et les sans-abris comme moi. C’est ce que la vie m’a appris », conclut Rania, certaine de la fatalité de son destin.
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