Introduction
Nul doute que la participation de la femme dans la vie publique en général et politique en particulier est un des signes de son émancipation et sa participation à édifier une société où elle assure son plein rôle.
Dans le présent article, nous nous proposons d’analyser la participation de la femme dans la vie publique dans la circonscription électorale de Kairouan, à travers l’analyse des données recueillies à partir des procès verbaux de cette circonscription.
La circonscription de Kairouan comprend 517 bureaux de vote. Les données concernant un seul bureau de vote n’ont pas été intégrées, car le procès-verbal le concernant n’était pas accessible. Les procès-verbaux du vote sont accessibles au site de l’ISIE.
1 Le sexe des quatre membres des bureaux de vote (à partir de leurs prénoms). Certains bureaux comprenaient moins de quatre membres et d’autres comprenaient plus. Nous nous sommes limités aux quatre membres, vu que le nombre de membres admis par l’ISIE est de quatre (la norme dans la majorité des bureaux de vote). Le sexe du président du bureau est traité à part, alors que les trois autres membres ont été regroupés ensemble. Nous avons traité le cas du président du bureau de vote, car ce dernier assume la responsabilité du bon déroulement du vote et est chargé de la rédaction des procès verbaux.2 Le sexe des représentants des listes candidates a été également saisi. Leur nombre par bureau de vote est variable et peut aller jusqu’à sept représentants par bureau.
Deux conditions sont nécessaires pour que les représentants des listes soient intégrés : ils faut qu’ils aient signé le procès-verbal du bureau de vote où ils étaient présents, et il faut que l’identité de la liste qu’ils représentent soit précisée. Sur certains procès-verbaux cette identité n’a pas été indiquée. Ils n’ont donc pas été intégrés dans l’analyse, car ils ne peuvent être attribués à aucune des listes candidates.
Les représentants des listes indépendantes (déterminées à partir d’une liste sur le site de l’ISIE) n’ont pas été intégrés dans l’analyse, car peu d’entre-elles avaient des représentants et ne peuvent pas être considérées comme témoignant d’une activité politique.
Le raisonnement qui suivra porte uniquement sur les représentants des partis politiques et des coalitions. Nous ne savons pas si les coalitions sont formées d’une association de partis ou de partis politiques et de personnes indépendantes.
Etonnant est le fait que certaines listes indépendantes présentaient un nombre de représentants supérieur à celui de nombreux partis politiques ou de coalitions. Il faut ajouter à cela que certains partis politiques n’avaient aucun représentant dans les bureaux de vote, ce qui dénote de l’intérêt qu’ils portent aux résultats et entache leur crédibilité… Dix listes indépendantes avaient 103 représentants dans les bureaux de vote.
Dans la région, 61 listes candidates ont été retenues pour concourir aux législatives. Parmi elles, figurent 8 coalitions et 32 partis.
Les données ont été saisies par sexe et délégation, ainsi que pour l’ensemble du gouvernorat.
Résultats
Les données saisies concernent 1995 membres de bureaux de vote et 1797 représentants de partis politiques et de coalition. Concernant ces derniers, ils représentent cinq coalitions et 19 partis politiques.
1. Participation aux partis et coalitions politiques
Les représentants des formations politiques se répartissent entre 182 représentants de coalitions et 1615 personnes appartenant à des partis politiques. Rien qu’à partir de ce chiffre, on déduit déjà que les coalitions ne se sont pas suffisamment mobilisées pour recueillir suffisamment de représentants pour être présentes dans l’ensemble des bureaux de vote, ou qu’elles ne sont pas arrivées à engager suffisamment de personnes pour y être présentes. Nous pensons que ces structures sont encore fragiles et peu présentes pour pouvoir mobiliser ! Encore plus, une seule coalition est présente dans l’ensemble du gouvernorat, alors que les quatre autres ne le sont pas ; deux coalitions ne sont présentes que dans deux délégations (sur onze), une dans une seule délégation et la dernière dans dix délégations.
a. Participation aux coalitions politiques
Le nombre de représentants par coalition varie d’une seule personne à 113 individus pour la coalition ayant emporté un siège au parlement (Front Populaire).
Le graphique suivant montre la participation des Hommes et des Femmes dans la représentation des coalitions aux bureaux de vote.
Figure 1. Taux de participation des Hommes (en orange) et des Femmes (en gris) dans la représentation des coalitions aux bureaux de vote.
Cette figure montre clairement que seulement les femmes constituent uniquement le dixième des représentants des coalitions politiques. Nous sommes bien loin de la parité à laquelle sont soumises ces formations pour participer aux élections.
La structure des représentants du Front Populaire (qui présente le plus de représentants parmi les coalitions) est la suivante :
Figure 2. Taux de participation des Hommes (en orange) et des Femmes (en gris) dans la représentation du Front Populaire aux bureaux de vote.
On note une légère amélioration de la représentation des femmes dans cette formation de gauche, mais on est loin du compte, car ces dernières ne constituent que 13 % de ses représentants… Le déséquilibre entre les deux sexes est bien plus prononcé chez une autre coalition où les femmes ne représentent même pas 2 % de ses représentants !
b. Participation aux partis politiques
Concernant les partis politiques, le nombre de représentants varie de un (deux partis politiques) à 615 représentants (Nidaa Tunisie), le parti majoritaire au parlement actuel. Pour rendre les données plus lisibles, nous regroupons les partis ayant moins de cinquante représentants ensemble et traitons les autres partis politiques à part, pour ne pas risquer de fausser les résultats.
Les partis politiques ayant moins de 50 représentants sont au nombre de 14 partis politiques. Le maximum de représentants dans ces partis est égal à 47. Ensemble, ils sont représentés par 134 personnes. La répartition par sexe des représentants de ces formations politiques est la suivante :
Figure 3. Taux de participation des Hommes (en orange) et des Femmes (en gris) dans la représentation de 14 partis politiques ayant moins de 50 représentants aux bureaux de vote.
Pour l’ensemble de ces partis, on note un doublement de la participation des femmes par rapport aux coalitions, mais elles n’atteignent pas encore le quart des participants !
Concernant les cinq derniers partis politiques ayant suffisamment de représentants dans les bureaux de vote, le nombre de ces derniers varie de 69 à 615 comme indiqué précédemment. Le tableau suivant résume le nombre de représentants pour chacun de ces partis :
- Tableau 1.
Nombre de représentants dans les bureaux de vote des cinq partis politiques ayant le plus de représentants.
Parti politique | Al Joumhouri | Afek Tunisie | UPL | Nahdha | Nidaa Tunisie |
---|---|---|---|---|---|
Nombre de représentants | 58 | 66 | 228 | 525 | 615 |
Afek Tunisie : Parti politique émergent, formé surtout de cadres
UPL : Union Patriotique Libre, parti politique constitué par un homme d’affaires engagé en politique
Nahdha : Parti islamiste, seconde force politique du pays
Nidaa Tunisie : Parti majoritaire au parlement et duquel est issu le président actuel de la Tunisie.
Seuls sont présents dans l’ensemble du gouvernorat les deux principaux partis politiques. Les trois autres sont absents d’une (UPL) à quatre délégations (“Al Joumhouri”).
Pour mieux visualiser la participation de la femme à la vie politique, nous traitons chacun de ces partis politiques à part, car leur regroupement masquerait les disparités qui pourraient exister entre eux. Les figures suivantes présentent la participation féminine dans la représentation de chacun de ces cinq partis.
Figure 8. Taux de participation des Hommes (en orange) et des Femmes (en gris) dans la représentation du parti “Nidaa Tunisie” aux bureaux de vote.
Dans ces cinq partis politiques, le taux de participation des femmes varie entre 6 et 26 %. Il est le plus faible dans le parti islamiste et le plus élevé chez le parti républicain (“Al Joumhouri”). Dans les autres formations, il ne dépasse pas le cinquième des hommes.
Nous allons voir les taux de participation des femmes dans chacune des délégations du gouvernorat et nous nous arrêterons sur les faits les plus intéressants à signaler. Dans ce cas, nous nous limiterons aux partis représentés dans l’ensemble des délégations, c’est-à-dire les deux grandes formations politiques uniquement. En effet, le nombre de représentants par délégation pour les trois autres partis est faible pour révéler une information solide.
Pour le parti islamiste, le taux de participation des femmes est nul dans une délégation (El Hajeb) et atteint son maximum (23,08 %) dans la délégation de Nasrallah. Quand à Nidaa Tunisie, le taux de participation minimal est enregistré à Cherarda (2,78 %), et le maximal à Kairouan Nord (30,86 %).
Le taux de participation des femmes comme représentante de chacun des deux grands partis politiques dans chacune des délégations du gouvernorat est illustré par les figures suivantes :
Figure 9. Taux de participation des Femmes, par délégation dans la représentation du parti “Nahdha”.
On note une nette hétérogénéité spatiale dans la présence féminine dans la représentation du parti islamiste, et que leur taux de participation est inférieur à 10 % dans dix délégations parmi les onze que compte le gouvernorat.
Figure 10. Taux de participation des Femmes, par délégation dans la représentation du parti “Nidaa Tunisie”.
Le précédent constat est le même que dans le parti majoritaire, mais les taux inférieurs à 10 % sont enregistrés uniquement dans trois délégations. Il n’y a pas de parallélisme entre les représentations des deux partis dans les délégations, ce qui prouve que la faible participation n’est pas liée à un refus social de la participation féminine à la vie publique dans des partis politiques.
En conclusion, dans tous les cas de figure, le taux de représentation féminin des partis politiques n’atteint jamais le tiers de ses représentants. Cela est-il lié au faut que les femmes dédaignent l’action politique, ou que cette dernière est considérée dans les différentes formations politiques comme une activité exclusivement masculine ? Sont-elles consciemment marginalisées par leurs partis, dirigés exclusivement ou en majorité par des hommes ?
2. Participation aux élections
Nous avons sciemment séparé la participation des femmes des formations politiques du processus électoral, car l’engagement dans les élections constitue un acte civique, et nombreuses sont les personnes qui s’engagent dans les élections ne cherchent pas à s’engager dans des partis politiques et sont supposées garder la même distance avec toutes les listes candidates, garant de leur neutralité.
Comme précisé plus haut, le nombre de personnes concernées par cette étude est de 1995 membres de bureaux de vote dont 513 présidents de bureau de vote.
Concernant les présidents des bureaux de vote, le graphique suivant présente le taux de participation des femmes et des hommes dans ce poste de responsabilité.
Figure 11. Taux de participation des Hommes (en orange) et des Femmes (en gris) dans la présidence des bureaux de vote.
Comme montré par la figure, les femmes représentent 28 % des présidents des bureaux de vote. Ce taux est bien supérieur à leur présence dans les partis politiques. Sa valeur minimale (0 %) est enregistrée dans la délégation de Cherarda, et sa valeur maximale (70 %) est notée dans celle d’El Ala.
La figure suivante présente le taux de participation des femmes parmi les membres des bureaux de vote.
Figure 12. Taux de participation des Hommes (en orange) et des Femmes (en gris) dans les membres des bureaux de vote.
On note une nette amélioration dans le taux de participation des femmes parmi les membres des bureaux de vote. Dans ce cas, la participation des femmes atteint 44 % des membres. Le taux minimal est enregistré dans la délégation de Cherarda (30,86 %), le maximal (60,53 %), dans celle de Haffouz. Notons qu’à Cherarda, on note des taux faibles de participation des femmes dans le processus électoral. En plus de Haffouz, on enregistre un taux de participation des femmes supérieur à 50 % (Chebika, El Ala et Oueslatia).
Pour l’ensemble des membres des bureaux de vote (les présidents compris), la figure suivante illustre le taux de participation des femmes.
Figure 13. Taux de participation des Hommes (en orange) et des Femmes (en gris) dans les membres des bureaux de vote.
Deux membres sur cinq des bureaux de vote sont femmes. Il y a en effet une nette amélioration de la participation des femmes à la vie publique.
Conclusion
Le meilleur taux de participation des femmes dans le processus électoral, en s’engageant comme membres des bureaux de vote, pourrait s’expliquer par les raisons suivantes :
1 Le niveau d’instruction est une des exigences dans l’engagement des membres des bureaux de vote, critère absent chez les représentants des partis politiques (certaines personnes ne savent pas écrire, et seraient probablement chargées uniquement de relever le nombre de voix obtenues par la liste qu’ils représentent !). Les femmes instruites s’engagent donc plus facilement que les autres,
2 Cette participation est perçue comme un engagement civique dans le processus de transition démocratique que vit la Tunisie.
Les femmes instruites seraient bien mieux représentées dans les formations politiques si une chance leur est accordée.
Nous ne disposons pas des données relatives à l’âge des membres des bureaux de vote et de ceux des représentants des listes candidates, car ce critère nous aurait permis de saisir le niveau d’engagement des jeunes dans le processus électoral.
Les formations politiques sont amenées à s’ouvrir sur les compétences féminines pour qu’elles puissent accéder plus facilement à des postes de responsabilité.
Il y a lieu d’ajouter que le rôle des représentants des listes candidates ne devrait pas se limiter à relever le nombre de voix que leurs listes ont obtenu, mais que leur présence est une garantie de la transparence des élections. Des critères plus stricts devraient être adoptés quant à leur adoption, et ils devraient être formés pour assurer ce genre de mission. La transition démocratique est un processus au cours duquel les qualifications des différents intervenants devrait s’améliorer au fil du temps, garant d’une évolution positive de notre société et barrant la route à toute velléité de retour à des pratiques honnies.
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