Guinness-flag-biggest-tunisia

Sous l’égide du ministère du Tourisme, des Tunisiens ont déployé samedi un drapeau de la taille de 19 terrains de football pour battre le record du « plus grand drapeau du monde ». Un évènement « patriote » qui doit aussi promouvoir le tourisme, selon ses organisateurs, mais qui soulève de nouvelles polémiques.

Des centaines de personnes ont assisté à une cérémonie à Ong Jmel, dans le gouvernorat de Nefta, au cours de laquelle des militaires ont salué le drapeau pendant que retentissait l’hymne national. Au programme, DJ, miss Tunisie, attachés de presse de Nidaa Tounes, et surtout jeunesse dorée tunisoise. Même la chanteuse Najet Attia reprenait du service pour cette occasion.

« Le plus grand, le plus majestueux et le plus aimé drapeau au monde a été déployé avec succès aujourd’hui samedi 2 mai » se félicite la page dédiée à l’évènement « Ahna Tounes ». Plus de 12 tonnes de tissu et 10 hectares, « 104.544 mètres carrés, et plus de 7000 Tunisiens qui ont tenu à rendre hommage à l’exploit de la Tunisie jusque tard dans la nuit ». Férus de gigantisme et de superlatifs, les organisateurs ont annoncé en direct que le drapeau est offert à la région de Tozeur, ajoutant qu’un « sanctuaire sera consacré à cette aventure et racontera aux visiteurs du monde entier l’exploit qu’une poignée d’artisans ont réalisé ».

L’initiative doit encore être homologuée par le livre Guinness des records, une certification qui se fera « dans les prochains jours », nous assure-t-on, même si le jury britannique n’a pas pu faire le déplacement, la région sud du pays étant toujours classée en zone à risque. Absence remarquée également de la ministre Salma Elloumi.

Au chapitre des réactions, notons celle de l’activiste présidente de l’ONG Bawsala Amira Yahyaoui qui prend acte, plutôt ironique :

Voilà on a battu le record du plus grand drapeau au monde, plus grand que le drapeau israélien détenteur du record. Maintenant espérons une seule chose, ne pas battre le record du drapeau le plus piétiné au monde…

Une partie de l’audience a en effet été autorisée à marcher sur ledit drapeau national.

L’Allemagne, les Etats-Unis, le Maroc en 2012 puis le Qatar en 2013 avaient en effet réalisé la même idée non originale, mais dont l’exécution s’était faite dans des couleurs parfaitement homogènes, en non à base d’assemblages hétéroclites de rouge.

Le président de la chambre de développement du tourisme désertique Nabil Kasmi a enfin annoncé dans la même journée de samedi que ce drapeau tunisien ne sera finalement pas découpé ni distribué comme annoncé précédemment. Il s’agit d’un désaveu pour la ministre du Tourisme Salma Elloumi Rekik. La femme d’affaires avait en effet promis qu’il serait découpé puis distribué comme couvertures destinées aux plus démunis… « Snobisme et déconnexion par rapport aux réalités sociales du pays », rétorquent ses détracteurs.

Plusieurs voix s’étaient élevées contre cette idée considérée comme une profanation, illégale, passible d’1 an de prison ferme car portant atteinte au drapeau national, certains comme l’ONG Sawaed allant même jusqu’à menacer la ministre de poursuites judiciaires.

Sur Jawhara FM, la ministre s’en est défendu, en évoquant la discipline qui lui aurait été inculquée par son parti politique d’origine : « à Nidaa Tounes, la première chose que l’on nous apprend est la préservation de notre drapeau national », tout en se déchargeant sur « les organisateurs de l’event qui appartiennent au secteur privé ».

Mise à jour :
Le parquet a ouvert une enquête dimanche 3 mai, conformément à l’article 129 du code pénal, pour établir, selon son porte-parole, s’il y a lieu de poursuivre les responsables ou les complices d’atteinte au drapeau national.

Vers toujours plus de collusion entre le privé et le public

En déplacement le 29 avril à Kairouan, la ministre du Tourisme et de l’Artisanat a acheté pour son propre compte, auprès des artisans locaux, la totalité des tapis et margoum exposés au siège du commissariat régional de l’Office nationale de l’artisanat à Kairouan, connu sous le nom “Dar Ettabaâ”, en déboursant huit mille dinars cash.

Quelques jours auparavant, le 24 avril, la même ministre accompagnée de son homologue ministre de la Santé Publique Saïd Aïdi inauguraient en grande pompe et sur tapis rouge la polyclinique Les Jasmins, au cossu Centre Urbain nord de la capitale, un établissement privé qui prend en charge des Tunisiens et des étrangers, se félicite-t-on.

Le même jour, le chef du gouvernement Habib Essid inaugurait via une opération com’ le Salon de la Création Artisanale aux côtés de la présidente du l’UTICA, Chambre patronale où siège le propre frère de la ministre du Tourisme présente également, Hichem Elloumi, premier vice-président de l’UTICA.

En sus de l’ère du buzz, sommes-nous entrés de plain-pied dans l’ère du fameux « PPP », partenariat public-privé qu’Afek Tounes appelle de ses vœux ? Encore soumis au débat national en Occident, le PPP rime toujours en Tunisie avec « familles », un happy few en remplaçant d’autres.