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Je n’aime pas les fêtes nationales. Toutes ces cérémonies auxquelles tout le monde prend part par patriotisme aigu, conformisme compulsif ou simplement par ennui, tout ce tohubohu facebookien provoqué par les éternels fêtards virtuels débordants d’énergie inutile, ce n’est pas ma tasse de thé. Et pourtant, en cette glorieusement banale journée du 13 août, qui me chatouille curieusement les tripes pour émerger de ma léthargie désillusionnée, je commence à m’intéresser à ce qui entoure ma conscience de naufragé intrépide dans l’immensité des abîmes de l’incompréhension.

La journée nationale des femmes, hormis le fait qu’elle fait partie de ces événements qu’on célèbre parce qu’on éprouve le besoin de les célébrer sans trop savoir pourquoi, qu’elle est repêchée une fois par an dans les marécages troubles de l’oubli, qu’elle ne sert plus à grand-chose tant les femmes elles-mêmes ne s’y reconnaissent que par automatisme nostalgique des temps antérieurs, rappelle à ceux qui y sont disposés ce qui a mené à cette journée, incite d’autres encore plus disposés à réfléchir sur les conditions de la femme après une cinquantaine d’années d’indépendance. Car non, la femme tunisienne n’est pas sur un piédestal. Encore faut-il préciser ce que l’on veut dire par cette expression quasi métonymique « femme tunisienne » car, à moins que toute la population féminine tunisienne se réduise à un seul profil archétypal d’un homo-sapiens à forte sécrétion d’œstrogène, aux conditions socio-économiques acceptables et ayant accès à tout ce qui rend supportable l’existence au XXIème siècle, l’utilisation du vocable « femme » au pluriel serait plus judicieuse.

En bon rabat-joie, toujours fidèle à mes réflexions tendancieuses de petit tapageur, je montrerai du doigt la persistance aussi culturelle qu’institutionnelle des vestiges du patriarcat, les bleus sur les corps estampillés au fer rouge d’une misogynie obsessionnelle, la décadence d’une femme qui fait l’aumône dans les ceintures des grandes villes pour nourrir ses gosses chimériques, la fatigue d’une autre qui se lève à 5h du mat sans prendre de petit-déjeuner pour se consacrer à sa corvée quotidienne dans une usine déglinguée à des années-lumière de son gourbis qu’elle maudit chaque soir en rentrant à 20h pour préparer à petit feu le modeste dîner de ses gosses, alors que leur père se bourre la gueule quelque part aux tréfonds de son inconscience alcoolisée, et qui ne rentrera que pour ruer de coups son épouse enlaidie par le temps et usée par un travail fait pour une autre espèce, avant de sombrer dans un sommeil nihiliste, ne servant qu’à régénérer le courroie nécessaire à la corvée de tous les jours. Je ne parlerais pas des hallucinations romanesques qu’une jeune femme peut avoir dans les cercueils itinérants qui nous servent de moyens de transport, et qui arrivent si bien à se fondre dans ce brouhaha de sens qu’elle n’arrive plus à distinguer ce qu’un mâle inconnu malodorant vient de lui chuchoter dans l’oreille en lui frôlant la nuque, ni les différentes caresses tendancieuses portées par les consciences pétrifiées dans une médiocrité faite de refoulement millénaire et de misogynie sacramentelle. Mais n’en déplaise à ma condition de jeune homme qui ne voit que ce qu’il y a de pire, nous avons, en tant que Tunisiens fiers, de quoi nous vanter en ce qui concerne la question de la femme, et ce en dépit de cette décadence qu’on est arrivé à ériger en culte sacré, et qui arrive si merveilleusement à ternir tout ce peu de beauté que l’on a pu réaliser.

Ce 13 août marque l’anniversaire de la naissance d’un petit joyau de la plus haute importance dans notre mémoire progressiste, un élément constitutif de l’identité moderne de ce pays : le code du statut personnel, orchestré par le jeune Etat tunisien post-indépendance dans son entreprise hasardeuse de transformer la société et de changer tout ce qui bouge. Produit d’une certaine intelligence, arrivant si bien à harmoniser la chose et son contraire à dessein, à faire coexister deux temporalités différentes, à subjectiver les textes en leur insufflant le projet politique entrepris, le CSP est de loin l’innovation principale de ceux qui l’ont mis en place au mépris de ceux qui s’y sont opposés à coup de traditionalisme ancré et de conscience figée. 

Les dispositions qui ont partiellement, mais considérablement, affranchi les femmes du joug du patriarcat en 1956 ont été prises depuis… un demi-siècle. En une cinquantaine d’années, il peut se donner les moyens de changer encore plus de choses vers le sens d’un affranchissement plus prononcé des femmes du joug du patriarcat. Ces femmes, reléguées au énième plan, oubliées parmi tant d’autres choses essayant de se frayer un chemin dans les obscurs tunnels de l’oubli creusés par tant d’enjeux dont l’importance se mesure au gré du pouvoir politique, et attendant, non sans amertume, d’apercevoir les lumières de la libération escomptée. 

D’ici là, Bonne journée de la femme !