La HAICA a adressé, jeudi dernier, un avertissement à la chaîne El Hiwar Ettounsi pour « atteinte à la dignité humaine de certaines catégories sociales ». La réaction du régulateur vient, entre autres, suite à deux dérapages de l’animateur de « Dlilek Mlak ». Pourtant, ces bourdes ne sont pas des cas isolés. Le concept de l’émission, de par le dispositif qu’il déploie, est naturellement stigmatisant. Faire le show, n’y est-il pas, à la fois, la fin et le moyen ?
Deux numéros de « Dlilek Mlak » sont à l’origine de cet avertissement. Celui du 30 septembre où Sami Fahri lance au candidat du jour : « Je sais que les omdas travaillent comme des indics », sachant que son interlocuteur est un ancien omda limogé. Le deuxième numéro épinglé par la HAICA est celui du 15 septembre. Selon le régulateur, l’animateur « a embarrassé un des participants à l’émission en lui posant plusieurs questions sur sa petite taille ». Mais le choix des candidats à ce jeu télévisé ne repose-t-il pas fondamentalement sur leur aspect physique, sur les clichés colportés sur leurs régions ou sur leurs métiers ?
La faute au concept
La première phase de la production de « Dlilek Mlak » consiste à organiser un casting. 24 candidats issus de 24 gouvernorats y sont sélectionnés pour participer au jeu. Un surnom est attribué à chacun. On se retrouve donc avec un candidat de petite taille ironiquement appelé Michael Jordan, un ancien omda baptisé El Omda, un jeune homme trapu dénommé Sumo… etc. Les participants deviennent des personnages. Après la représentation régionale, le background du personnage vient constituer une autre attraction de l’émission. Et ce sont les fiches remplies lors du casting qui permettent à l’animateur de poser aux candidats des questions durant le jeu. Autrement, « Dlilek Mlak » serait réduite à un jeu de hasard classique, sans discussions annexes. La stigmatisation est donc un fondement conceptuel de l’émission. Et même si l’animateur ne s’y conformerait pas, le dispositif de l’émission le ramènerait à le faire. Il cannibalise même les candidats.
Sonia Toumia, la personne est le personnage
« Dlilek Mlak » n’a jamais connu une aussi bonne cliente que celle de son numéro du 14 octobre. De ses souvenirs d’enfance dans les prairies au numéro de la chambre d’hôtel de sa nuit de noces, elle déballe tout. « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation », écrivait Guy Debord dans La Société du Spectacle (1964). Tant pis si, au passage, la constitution est réduite à la liberté de porter un débardeur, Cheikh Imam présenté comme une idole de la jeunesse islamiste et la charia évoqué comme garante des libertés.
Attitude faussement candide, références confuses et étalage de sa vie privée, Sonia Toumia est en roue libre. Elle va jusqu’à sommer une jeune du public de venir embrasser l’animateur. « Il est comme ton père », soutient-elle sur un ton perfide. L’ancienne députée n’a pas besoin qu’on lui attribue le nom d’un personnage. Elle en est un. Elle assure le show jusqu’à ravir la vedette à Sami Fehri confortablement installé dans son émission depuis 2005. Après avoir abusé de son « droit à prendre son temps », l’animateur s’agace et sort son carton rouge. Il la somme de répondre vite car elle a dépassé le temps réservé au tournage. Elle s’est mise à dos non seulement les autres candidats mais également le public présent dans le studio et les cadreurs de l’émission, tous soudainement lassés d’une interminable séance de tournage. Le dispositif de l’émission n’a jamais aussi bien fonctionné. L’audimat de ce jeu télévisé n’a jamais été aussi bien servi.
Une autre scène de Dlilek Mlak, dans son numéro du 13 octobre, nous renvoie à l’ouvrage de Debord : La rencontre entre Sami Fehri et un gagnant par sms qui s’avère être un fonctionnaire récemment retraité de la direction générale du contentieux de l’Etat qui poursuit le patron de Cactus Prod pour malversation et trafic d’influence. La mise en scène est manifeste. Sami Fehri simule un effet de surprise et se plait à jouer la comédie. Les deux hommes alternent les éclats de rire. Applaudissements du public. L’œuvre de Debord rappelle que : « le spectacle se soumet les hommes vivants dans la mesure où l’économie les a totalement soumis. Il n’est rien que l’économie se développant pour elle-même. Il est le reflet fidèle de la production des choses, et l’objectivation infidèle des producteurs ».
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