Augmentation du prix de l’essence, saturation des transports publics, engorgement routier, pollution : les raisons sont nombreuses pour développer en Tunisie des moyens de transports alternatifs. Covoiturage ou vélo, de plus en plus de citoyens s’y mettent.
Il fait en moyenne 8 km de vélo par jour. Pour aller au travail, rencontrer des clients, ou retrouver ses amis, Sofiane ne jure plus que par son deux-roues. « Lorsque j’ai commencé à travailler, je partageais la voiture avec mon père, c’était très contraignant. Puis, j’ai décidé de me mettre au vélo : je ne me suis jamais senti aussi libre. Pour moi, vélo rime avec liberté », s’enthousiasme ce jeune consultant en marketing. Il est d’ailleurs fier d’avoir converti au vélo trois voisins. Même son de cloche chez Sana, étudiante en droit : « Avant, je faisais tout à pied. Mais depuis que je vais à la fac, ce n’est plus possible. Au départ, je prenais le bus, mais c’était un vrai casse-tête, alors j’ai ressorti un vieux vélo qui appartenait à mon frère aîné », raconte-t-elle. « Depuis la rentrée [octobre 2015], je fais tous mes déplacements en vélo, c’est devenu une vraie passion ». Adel Beznine, président de l’association Vélorution, est lui aussi un passionné : « je suis la preuve vivante qu’on peut faire du vélo à Tunis, ça fait 10 ans que j’en fais quotidiennement ».
Si aujourd’hui l’association n’est plus très active, elle a organisé entre 2011 et 2013 plusieurs évènements : des ateliers en partenariat avec l’association Fabrika pour apprendre à réparer soi-même son vélo, des balades à vélo au centre-ville pour sensibiliser les citoyens à ce mode de transport pratique et écologique, mais aussi la distribution de 300 vélos à des écoliers dans dix gouvernorats. En effet, à la rentrée 2013, 300 élèves ont reçu un vélo afin de faciliter les déplacements scolaires et ont bénéficié d’initiations au code de la route et à l’usage du vélo. Ce projet a permis de sensibiliser de nombreux enfants à la culture cycliste, tout en apportant des solutions concrètes à des enfants qui doivent parfois parcourir de longues distances à pieds pour aller à l’école.
Si troquer le volant pour le guidon est une évidence pour Sofiane, Sana et Adel, beaucoup de citoyens préfèrent ne pas prendre de risque : dans les rues congestionnées de Tunis, les dangers de la circulation ne sont un secret pour personne. « Il faut faire très attention, mais ne pas avoir peur », prévient Sofiane. Tout en poursuivant : « Les cyclistes subissent au quotidien coups de klaxons et insultes, mais il faut s’imposer. D’ailleurs, en fonction de la manière dont je suis habillé, les réactions sont différentes ! ». Pour Adel Beznine, « il ne faut pas attendre qu’il y ait des pistes cyclables pour faire du vélo, mais si nous atteignons la masse critique, nous pourrons renverser la tendance actuelle et des voies urbaines nous seront réservées ». En Tunisie, il existe une seule piste cyclable : elle se trouve à Djerba. Ainsi, de plus en plus de manifestations sont organisées pour promouvoir la bicyclette, tels que « M’saken à vélo » ou « Tour cycliste du Nord de la Tunisie ». Mais la solution n’est pas que dans le vélo : d’autres alternatives existent.
Raisonner l’utilisation de la voiture
Après des années de motorisation de masse, la Tunisie se retrouve dans une situation très critique. Le nombre de voitures ne cesse d’augmenter (les derniers chiffres datent de 2008 et étaient d’une voiture pour cinq ménages contre une sur dix en 1984, selon l’Institut National de Statistiques) et les tunisiens roulent beaucoup : 22 000 km par an, selon une étude de l’Agence Nationale pour la Maîtrise de l’Énergie. Si la voiture est souvent associée à l’idée de liberté de déplacement, il convient aussi de prendre conscience de toutes ses nuisances : pollution atmosphérique, stress, manque d’exercice physique, dégradation du paysage urbain, diminution des relations avec le voisinage. C’est ainsi que dans de nombreux pays s’est développé le concept de covoiturage. Le principe est simple : il s’agit de mettre en relation des personnes effectuant seules tout ou une partie d’un trajet identique, afin qu’elles voyagent désormais à plusieurs. Les trajets peuvent être de différentes natures, réguliers ou irréguliers : domicile-travail, domicile-université, domicile-gare, mais aussi trajets longues distances.
Le covoiturage diminue le nombre de voitures en circulation pour un même déplacement. Pour les utilisateurs, les principaux atouts sont souvent le partage des frais de déplacement liés à la voiture et la convivialité du trajet effectué à plusieurs. Économique donc, mais aussi sociale, puisque le co-voiturage favorise les échanges entre citoyens car le partage d’un véhicule restaure une communication entre passagers qui n’existe pas dans les transports en commun. C’est aussi et surtout un moyen de réduire son empreinte écologique. En effet, la mutualisation de la voiture permet de diminuer les gaz à effet de serre. Anis récupère depuis plusieurs années deux collègues qui habitent son quartier : « On n’a jamais utilisé entre nous le terme de co-voiturage, mais oui, c’est ce qu’on fait au final, et ça nous a semblé naturel : pourquoi utiliser plusieurs véhicules quand on peut en utiliser un seul ? ». Sans formalise, ils décident souvent la veille qui passe récupérer qui. « Il faut que ça tourne pour ne pas qu’on utilise toujours la même voiture », explique-t-il. Afin d’organiser ce qui se fait déjà spontanément dans des universités ou des entreprises.
Mohamed Wael Soltani a lancé en février 2015 « Karhbetna », une plateforme de co-voiturage.L’objectif de cette initiative est de proposer à des passagers se déplaçant en Tunisie et ayant le même trajet de partager les frais d’essence et de péage tout en ayant une attitude éco-responsable. « L’idée de créer cette plateforme m’est venue un jour de grève alors que je devais me rendre à un entretien d’embauche », raconte le jeune entrepreneur. « C’était la galère, il n’y avait ni taxis, ni bus, ni métro, mais les gens se sont spontanément organisés et ont mis en place un système de co-voiturage, il m’a paru évidement à ce moment-là qu’il fallait instituer ce système », poursuit-il. Aujourd’hui il y a plus de 700 inscrits sur la plateforme et une cinquantaine de trajets sont organisés quotidiennement. « Ce qui fonctionne le mieux, ce sont les longs trajets. Des personnes qui travaillent à Tunis par exemple et qui rentrent tous les week-ends à Sousse », précise Mohamed Wael Soltani. Aussi, ils ont été partenaires de plusieurs évènements pour organiser le co-voiturage entre les participants. Si on ne peut pas encore parler de phénomène, l’idée séduit. « Le concept est nouveau, il y a donc un grand travail de communication à faire pour expliquer ce qu’est le co-voiturage et rassurer les passagers sur les questions de sécurité », indique le fondateur de Karhbetna.
Le choix du mode de transport utilisé témoigne de notre rapport à l’espace, de nos relations aux autres, et plus généralement de nos modes de vies. « S’il s’agit encore d’initiatives isolées, il est grand temps qu’en Tunisie nous sortions de cette vision binaire des déplacements : voiture individuelle ou transports en commun/taxis », affirme Sana. Et elle a un rêve : « que la bicyclette devienne reine dans nos villes ».
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