La STB, banque publique dont le capital a été revalorisé par l’État à 776, 875 millions de dinars en aout 2015, est à un pas de l’abime. L’une de ses filiales, la BFT, est dans la tourmente d’un scandale qui ne cesse de grossir. À deux doigt de la faillite, cette filiale risque en effet d’engloutir son actionnaire majoritaire, la STB, dans son sillage. Grace à des documents inédits, cette enquête montre que la banque publique joue avec le feu depuis de longues années.
L’audit de la honte
Nawaat publie aujourd’hui un extrait de l’audit de la STB réalisé par PriceWaterhouseCooper (PwC) en novembre 2013. Cet extrait est issu du rapport d’évaluation du portefeuille-titres. Il s’agit des conclusions détaillées concernant la BFT. Il convient tout d’abord de s’arrêter sur la déclaration initiale selon laquelle la participation de la STB dans le capital de la BFT serait totalement provisionnée.
En effet, la BFT n’apparaît dans les bilans consolidés de la STB1 qu’à partir de 2012, en s’appuyant sur le bilan de la BFT de 2011. Jusque là, la BFT n’était pas considérée comme une filiale, mais comme une simple participation, valorisée à 0 dinars (voir bilan STB 2011, disponible en ligne). Ce qui a permis à la STB de ne pas comptabiliser dans son bilan le bilan désastreux de la BFT.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que la consolidation évoquée par le rapport d’évaluation de PwC est à prendre avec des pincettes. Nous pouvons, en effet, lire, entre autres réserves, dans le bilan 2012 de la STB établi le 1er Octobre 2012, à la page 118, que les demandes des commissaires aux comptes, Fathi Saidi et Nedra Jlassi Semmar, concernant la question des litiges en cours n’ont jamais obtenu de réponses. Etonnant lorsque l’on sait que les honoraires du cabinet Herbert Smith s’élèvent à plus de 30 millions d’euros et que le litige concernant la BFT dure depuis plus de trente ans.
D’autre part, une observation de l’évolution des capitaux propres de la BFT entre 2007 et 2014 (chiffres publics disponibles sur le site de l’Association Professionnelle Tunisienne des Banques et des Etablissements Financiers), laisse apparaitre un schéma que l’on pourrait qualifier de politique de l’apnée. Une plongée régulière, par paliers, des capitaux propres, qui permet de faire apparaitre la réalité des chiffres de manière douce et mesurée. Cette évolution montre bien que les chiffres sur lesquels se sont basés les commissaires aux comptes de la STB sont faux.
Revenons au rapport d’évaluation. L’auditeur attire donc l’attention de la STB sur deux conséquences qui pourraient s’avérer dangereuse.
La première interrogation de l’auditeur concerne la responsabilité de la STB par rapport à l’insuffisance des actifs de la BFT par rapport à ses passifs. La seconde question de l’auditeur qui est, en vérité la plus importante, concerne les risques encourus par la STB dans le litige qui oppose ABCI Investments à l’État tunisien dans l’affaire BFT.
Ces deux points sont comme des chaines qui, à mesure que la décision du CIRDI se rapprochent, lient de plus en plus inexorablement la STB au sort de la BFT.
Rappelons que dans l’affaire de la BFT, l’un des points les plus importants du verdict rendu par le CIRDI concernera les clés de répartition2 des responsabilités. En tant qu’actionnaire majoritaire (à plus de 78%) de la BFT, la responsabilité de la STB sera évidente. Cela signifie que la banque publique devra payer une grosse partie de la somme nécessaire au renflouement de la BFT dans le cas où sa liquidation ne se produit pas avant.
Mais même dans le cas où la liquidation se produit, la STB serait dans l’obligation légale de combler le passif puisque la BFT est sa filiale. Sauf que le comblement du passif de la BFT, aujourd’hui, représente la presque totalité du capital de la STB. Cela impliquerait qu’une liquidation de la BFT ne pourrait qu’entrainer une faillite de la STB. À moins que l’exécutif ne se décide à outrepasser la loi.
Qui plus est, une note a été publiée récemment. On y lit que le chef du contentieux de l’Etat demande au directeur général des services communs de transmettre la facture des honoraire d’avocats concernant le dossier BFT à la STB. Ce document est une preuve que depuis le début de cette affaire, la STB règle les frais d’honoraires du cabinet Herbert Smith. Cela prouve plusieurs choses, d’une part que les bilans de la STB sont faux, puisque les litiges n’y sont pas mentionnés. D’autre part que la STB va se retrouver de facto considérée comme responsable dans cette affaire, puisqu’elle règle des frais d’avocats concernant l’affaire.
Ainsi, ce rapport d’évaluation nous permet de comprendre deux choses.
D’une part la marge de vérité et d’erreur avec laquelle s’amuse un auditeur de niveau mondial comme PriceWaterhouseCooper lorsqu’il fait l’audit d’une banque publique. Il apparaitrait que devant de tels manquements et de tels zones d’ombre, un auditeur devrait faire un peu plus que d’écrire une slide powerpoint avec deux interrogations. On peut considérer cela comme un véritable manquement compte tenu du fait que la mission d’origine était d’évaluer la santé financière de la STB. Les zones d’ombre du groupe n’ont pas été évaluées à leurs justes mesures. Compte tenu du risque pour le groupe audité, la responsabilité de l’auditeur devra être prise en compte. Cela renvoie une fois de plus aux critiques émises durant la crise financière de 2008 sur le manque de sérieux et de conséquences de ces audits fait pour la forme et sur la réalité de la prise en compte des risques réels dans les audits.
D’autre part, à quel point le risque systémique bancaire est proche de nous. Dans le cas où la STB se retrouve à être considérée comme responsable majeure de la débâcle BFT, ce sera l’une des banques publiques qui sera conduite à un état de quasi-faillite. Sachant que selon les normes bancaires, la STB est déjà censée être capable de faire un provisionnement du risque3 concernant le passif de la BFT, ce qui, on le répète, reviendrait à engager l’équivalent de la totalité de son capital.
Alors que l’ensemble de la classe politique continue de jouer avec l’illusion du pouvoir, il apparaitrait que le système financier national est à deux doigts de s’effondrer. Et cela pour préserver la fortune de ceux qui financent les hommes politiques et leurs partis et qui tirent les ficelles de ce jeu de dupe. Les hommes d’affaires véreux et les apprentis-sorciers de la finance ont-ils un plan B pour le moment où le pays s’effondrera ? Il serait peut-être temps de cesser de scier la branche sur laquelle nous nous trouvons tous.
Notes
1. Lorsqu’un groupe a de nombreuses filiales, la norme comptable veut qu’elles apparaissent dans son bilan annuel. Il s’agit généralement de faire remonter l’actif et le passif des filiales dans les comptes de la mère, afin de donner une image précise de la réalité économique du groupe.
2. L’un des enjeux majeur de la decision du CIRDI concernera les cles de repartition des responsabilités. Il s’agira pour le tribunal d’arbitrage de determiner avec precision les pourcentages de responsabilités de chaque partie prenante pour chacun des points jugés. Ces cles de repartition sont l’un des enjeux actuels de conflits entre la BCT, le Ministère des finances, le ministère des domaines de l’État et la STB.
3. Le provisionnement du risque est l’un des principes comptable de la prudence dans le secteur bancaire. Il s’agit de considérer que certaines opérations sont plus risquées que d’autres et que la banque doit réduire ses actifs et approvisionner ses passifs afin de combler le risque de ses activités. Dans le cas de la STB et de la BFT, la BFT ayant des passifs de plus de 700 millions de dinars, cela signifie que la STB, en tant que mère, doit provisionner les risques de sa filiale. Ce qu’elle ne fait pas et n’a jamais fait.
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