J’ignore si le remaniement ministériel attendu servira à quelque chose mais, en tous cas, pour certains il n’aura pas été inutile. Nous avions, en effet, des tas d’experts, des spécialistes opérant – impunément hélas – à peu près dans tous les domaines, donnant leurs diagnostics et leurs pronostics, leurs recommandations et leurs conseils. Etres hybrides tenant à la fois du mauvais journaliste et du mauvais politologue, du bavard de café et de l’intellectuel paresseux, de l’ignorant pédant et de l’universitaire qui prépare ses cours en consultant Wikipedia, ces énergumènes narcissiques, souffrant d’un déficit chronique de scrupules et de modestie, sont semblables à une armée de parasites qui auraient colonisé les médias et ce qu’on appelle le « débat public ».
Désormais, nous avons une nouvelle race d’experts : l’expert en Premier ministre. Doté d’un long museau, cet imposteur décérébré et sans doute largement rémunéré, a germé dans la soupe primitive des négociations censées permettre à nos partis de mettre bas un nouveau chef de gouvernement. L’expert en Premier ministre se donne pour tâche de définir le profil d’un bon Premier ministre tel que la Tunisie en aurait besoin aujourd’hui. Il est ce que dans la science criminologique, on appelle un « profileur ». Pour expliquer le sens de ce mot qu’ignorent peut-être ceux qui ne regardent pas les séries policières à la mode, je n’irai pas chercher très loin. N’ayant moi-même que fort peu de scrupules, je ferai ce que font les enseignants dont j’ai parlé plus haut. Voici donc ce que nous en dit Wikipedia : « Le profilage criminel, fondé sur l’analyse comportementale, est une méthode permettant à des enquêteurs de déterminer le profil psychologique d’un criminel ». La spécialité du profileur consiste à réaliser le portrait d’une personne recherchée a posteriori, précise l’encyclopédie en ligne, c’est-à-dire « après que des faits ont été commis ». En cela, le profilage criminel se distingue du profilage politique qui à l’inverse a pour but de réaliser le portrait de la personne recherchée a priori, avant donc que des faits répréhensibles n’aient été commis.
Je ne sais pas si vous saisissez bien de quoi je parle. Pour éclairer votre lanterne, je vais vous donner un exemple, celui du dernier expert en Premier ministre dont j’ai lu la prose dans un de nos médias. Comme je ne veux vexer personne et que j’ai en horreur la polémique, je ne vous dirai ni son nom ni celui du journal électronique qui a jugé bon de le laisser s’exprimer. Ce profileur politique prétend « identifier un homme clé susceptible d’ériger un gouvernement de combat ».
Cet homme clé, selon notre expert, doit se distinguer par une série de qualités éthiques et psychologiques que je vous cite en vrac sans en omettre aucune : moralité, honnêteté, intégrité, compétence, efficacité, persévérance, clairvoyance, sincérité, indépendance et impartialité, intransigeance, transparence, charisme, audace, impartialité ; il doit en outre être consciencieux, incorruptible, responsable, « conducteur et meneur d’homme », entreprenant, « communicateur », « respecté et respectueux, expéditif et catalyseur, proactif et planificateur » (proactif, j’ignore ce que cela veut dire mais c’est sans doute très très important). Une seule caractéristique politique qui dans l’esprit de l’expert en question doit relever plutôt de l’affectif : le patriotisme.
Si vous aspirez à être Premier ministre, il ne vous reste plus qu’à vous regarder dans la glace et à vous demander si vous ressemblez au portrait-robot tracé par notre expert. Si vous en rêvez depuis que vous êtes tout petit, alors je crois que vous feriez mieux d’aller vous suicider tout de suite vu la probabilité infime de posséder toutes ces qualités à la fois. Mais, rassurez-vous, la plupart des experts en Premier ministre sont moins exigeants et vous avez peut-être encore votre chance. Le profil du bon Premier ministre tel qu’il est le plus souvent défini par ces experts est seulement d’être compétent, indépendant des partis, consensuel et intègre.
Ce qui est significatif, cependant, est que tous ces experts s’accordent sur une chose. Il semblerait à les lire ou les entendre que le meilleur des Premier ministres serait celui qui n’aurait pas une once de projets politique dans la tête, un bon administrateur, un bon technocrate, un bureaucrate efficace, un gestionnaire expérimenté, un manager à l’écart des conflits sociaux et politiques ou plus précisément une sorte de directeur des ressources humaines à l’échelle d’une nation, autrement dit un Premier ministre à l’image de l’idéal libéral de l’Etat.
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