La 22ème Conférence des Parties de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), qui s’est tenue à Marrakech au cours de ce mois, a été qualifiée par de nombreux observateurs avertis comme un échec. En effet, l’ombre de l’élection du président américain Donald Trump a plané sur cet évènement, car ce dernier a annoncé, avant son élection, le retrait des Etats-Unis de la Convention.
La plupart des comptes rendus de la COP 22 dans la presse ont été flatteurs, vantant une organisation réussie et la réalisation des objectifs annoncés avant sa tenue, hormis sur le dossier de l’agriculture, pour lequel les négociations sont reportées à 2017. La couverture médiatique relative à la Tunisie souligne essentiellement les activités officielles, sans la moindre distance critique, et ne tarit pas non plus d’éloges sur la participation de certaines associations présentes.
Ce qu’est la COP
La COP, Conférence des Parties, se tient annuellement pour discuter des avancées en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Elle comprend une « zone bleue », réservée aux Etats et pour laquelle l’accès est limité, une « zone verte », ouverte au public et aux associations, et incluant essentiellement un espace d’exposition réservé aux associations, mais aussi aux entreprises. Les mouvements sociaux disposent d’un espace autogéré, réservé uniquement aux associations, et où ont lieu des ateliers et des expositions, tenues uniquement par des associations.
Dans ce qui suit, il sera surtout question de l’espace autogéré et des activités associatives.
L’espace autogéré a été organisé par la Coalition marocaine pour la justice climatique à la Faculté des sciences et techniques de Marrakech. Il s’est tenu entre le 13 et 18 novembre. Même si les activités ont eu lieu dans cet espace, il a été constaté que nombreuses activités n’ont pas pu se tenir en raison de l’absence de public. Ce n’est pas la première fois que ce genre de constat est fait, mais la présence du public, aussi bien que des associations, a été très timide. D’ailleurs, de nombreux stands réservés aux associations sont demeurés inanimés durant tous les jours où des expositions étaient prévues.
Ces faits ont été imputés au manque de mobilisation de la société civile marocaine pour participer aux activités associatives. D’ailleurs, certains appels au boycott de cette COP ont été lancés pas le Réseau Démocratique pour Accompagner la COP 22 (REDACOP 22), en raison de la présence de la bannière israélienne à Marrakech, mais surtout du rapprochement constaté entre la Coalition marocaine pour la justice climatique et le pouvoir en place, fait contesté par ces derniers, disons-le en passant. Notons que le REDACOP 22 comprend ATTAC CADTM Maroc et de nombreuses autres associations, organisations de droits humains et syndicats. Il y a lieu d’ajouter que de nombreux mouvements sociaux locaux étaient absents de la COP, notamment celui des habitants d’Imider, qui contestent depuis plusieurs années l’accaparement de leurs terres et de leurs eaux par une mine d’argent, ainsi que d’autres mouvements locaux.
Les « alternatives » de la société civile
Il est clair que la ligne de défense des Etats du tiers monde (appelons-les ainsi) est que la « solution » aux changements climatiques consiste à un transfert d’argent de la part des pays du Nord. S’il est vrai que ces derniers sont les plus grands pollueurs de la planète, il est aussi vrai que les pays du Sud s’accrochent à une logique qui, elle aussi, ne tient pas la route, pour au moins les raisons suivantes :
- L’argent ne compense pas les dégâts constatés dans les pays concernés, liés aux changements climatiques (perte des terres à basse altitude, diminution des rendements agricoles, migrations climatiques…) ;
- Les solutions présentées dans les rapports présentés par nombreux pays du Sud à la CCNUCC ne correspondent pas aux attentes des populations, lesquelles n’ont pas concertées sur lesdites solutions avant leur élaboration ;
- La logique de l’économie verte, présentée par de nombreux Etats comme la solution aux changements climatiques est en fait une fausse solution, pour la simple raison qu’elle promeut un modèle de développement agricole (agrobusiness) lui-même accusé d’être une des causes des changements climatiques observés autour de la planète. En effet, de nombreux projets présentés comme « verts » vont dans le sens de l’accaparement des ressources naturelles (eaux, terres, ressources minières) et la marginalisation des communautés les plus vulnérables…
Il est désolant de constater que nombreuses associations se voulant même « alternatives » tiennent la même ligne de discours que nos gouvernements. Ces représentants de la « société civile » appellent aux transferts d’argent pour lutter contre les changements climatiques, et convergent de fait, malgré leurs prétentions contraires, avec les positions tenues par les gouvernements.
En effet, les flux d’argent n’ont jamais cessé d’alimenter nos économies depuis la Conférence de Rio (1992), et il est temps d’évaluer l’expérience et la destinée des fonds attribués avant toute revendication de fonds additionnels. Demander encore de l’argent sans avoir au préalable consulté les populations et présenté des projets compatibles avec la situation du pays nous semble une perte de temps et de moyens additionnels, dont la Tunisie a le plus besoin par les temps qui courent.
Il y a lieu de rappeler que les pays du Nord ont une dette coloniale (ou écologique, pour alléger l’expression) envers leurs anciennes colonies, et qu’ils ont une obligation historique de la réparer. Pour autant, la situation dans les pays du Sud n’est pas toute nette, en raison des choix politiques opérés par leurs élites. Ces dernières sont en effet elles aussi responsables des conséquences de leurs choix néo-libéraux, qui ont pour conséquences d’aggraver les problèmes environnementaux auxquels leurs pays font face, mais à des degrés divers.
Il y a encore beaucoup à dire par rapport aux éléments évoqués plus haut. Restons dans le cadre de la société civile, qui fait face à de nombreux défis, notamment le recentrage de certains de ses intérêts autour de nombreuses thématiques inédites pour elle. Le manque d’engagement des milieux académiques dans la défense des intérêts de la société fait partie des causes qu’on peut évoquer à propos des faiblesses constatées dans le positionnement de la société civile. Il n’en reste pas moins que de nombreux mouvements associatifs autour de la planète ont développé des alternatives louables, défendables et justes. S’en inspirer pour promouvoir des perspectives d’action et de solutions à des problèmes particuliers pourrait aider à faire émerger des solutions appropriées, qui pourraient être mises en pratique et défendues par la société civile.
Il reste à rappeler que cette dernière a pour mission la défense des intérêts de la société face aux abus et aux fausses solutions défendues par les technocrates, en attendant une hypothétique conciliation entre ces derniers et les attentes de la société qui les a produits, et qu’ils sont supposés servir.
Un mot pour la fin, la croyance de plus en plus répandue que le Maroc pourrait constituer un modèle pour la Tunisie. Il est utile de rappeler aux défenseurs de ce modèle qu’au Maroc, les services de l’eau et d’électricité ont été privatisés, et que l’école publique est dans un état désastreux (des moyennes fréquentes de plus de cinquante élèves par classe)…
En Tunisie, nous n’avons qu’à espérer l’émergence de pistes de solution aux différents problèmes environnementaux qui soient réellement durables et socialement justes. Dire qu’un tel positionnement relève d’une gageure est une attitude irresponsable, qui ne tente pas d’innover et qui cherche par tous les moyens à pérenniser une situation indéfendable, remise quotidiennement en question par toutes les formes de contestation que nous vivons, sans arriver encore à amortir les crises et à proposer des solutions appropriées qui émergent de la société et la servent…
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