La prolifération de la corruption et de l’économie parallèle, sur la période récente, a eu une incidence désastreuse sur la croissance économique mais également sur la perception de notre climat d’affaires par les instances internationales. Entre 2014 et 2016, la Tunisie a dégringolé de la 40ème à la 76ème dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International, se retrouvant bien loin derrière les leaders du continent que sont le Botswana, les Seychelles ou le Rwanda. Conscient de ce contexte, le gouvernement a affiché la lutte contre la corruption, la fraude et l’évasion fiscale comme étant l’une de ses priorités dans l’élaboration de la loi de finances 2017.
Des mesures rognés par le corporatisme
La nouvelle loi de finances prévoit l’obligation de toutes les professions libérales d’inscrire le matricule fiscal sur l’ensemble des documents liés à l’exercice de leurs activités (hormis les ordonnances médicales), sans quoi ces des derniers seront irrecevables vis-à-vis de l’administration. C’est une mesure de traçabilité permettra à l’administration fiscale d’avoir une meilleure connaissance de l’assiette imposable des différentes catégories de revenus mais aussi du type d’opérations faites par les contribuables. En outre, elle va contraindre bon nombre de contribuables à se conformer à la loi.
Elle prévoit également la création d’une Police Fiscale qui sera orientée vers la lutte contre l’évasion fiscale, et disposera de 250 agents chargés d’agir contre les infractions liées à l’économie informelle. Cependant, quand on prend en considération les 35,5% du PIB générés par le secteur informel (microentreprises et entreprises individuelles opérant dans le commerce, l’industrie manufacturière et le bâtiment) et les 2,5% du PIB générés par l’économies illégale (contrebande et importation parallèle), la capacité de couverture de ce nouveau contingent peut paraître dérisoire.
La levée du secret bancaire sera renforcée, mais ne sera pas automatique
La levée du secret bancaire est une procédure en vigueur depuis la loi de finances 2014 (gouvernement Jomaa), elle est toutefois conditionnée par deux éléments ; elle doit concerner un contrôle fiscal approfondi et elle doit être soumise à l’accord d’un juge. Avec la loi de finances 2017, l’administration fiscale pourra désormais accéder aux comptes de ses contribuables sans passer par l’accord du juge. De plus, l’article 37 a été modifié pour élargir le champ du droit d’accès à l’ensemble des organismes bancaires et financiers ainsi qu’aux sociétés d’assurances. Dans le cas d’un contrôle préliminaire ou approfondi, l’administration fiscale peut désormais avoir accès à l’ensemble des numéros et des relevés de comptes, afin de vérifier les dates et les montants des transactions effectuées.
Mais cet accès ne sera pas automatique. L’administration fiscale devra au préalable adresser une demande écrite aux organismes concernés. Le contribuable dispose d’un délai de vingt jours pour communiquer les informations demandées. Ce délai est atypique au regard des standards internationaux en matière de transparence. Celle-ci requiert généralement une levée automatique et totale du secret bancaire pour couper cours à la manipulation. En effet, la non-automaticité de cette procédure peut donner, aux organismes bancaires et financiers concernés, la possibilité d’effectuer des mouvements de fonds à la demande de leurs clients.
Les limites opérationnelles du dispositif
Loin des intentions, l’Etat manque de moyens opérationnels dans sa lutte contre la corruption :
- Le manque de moyens humains (seulement 9000 contrôleurs) ne procure pas à l’administration fiscale la latitude nécessaire pour effectuer un contrôle exhaustif sur plus d’un million de contribuables, ce qui réduit considérablement l’échantillon contrôlé.
- L’absence de formation des agents du fisc sur les nouvelles techniques de lutte contre la corruption, notamment sur les spécificités sectorielles de la corruption (marchés publics, douane, fisc, etc. …), constitue un frein majeur à l’administration fiscale pour se conformer aux standards internationaux.
- L’absence d’un système numérique centralisé qui relie l’administration fiscale à l’ensemble de ses vis-à-vis réduit les capacités informatiques de détection des fraudes.
- Le manque de moyens de traitement et d’analyse des informations recueillies par les agents du fisc limite la capitalisation des données disponibles. Le recoupement des données et la production de statistiques peuvent constituer un outil fondamental pour évaluer de manière efficace la réalité des opérations économiques, elle peut notamment servir à la détermination de la moyenne des prestations dans un secteur d’activité.
- Une déficience dans l’application systématique de l’article 34 de la loi de finances 2014 relatif au plafonnement des transactions en cash à 5.000 DT, qui est un élément quasi-déterminant pour lutter contre l’économie informelle.
- L’absence d’études sur l’économie souterraine empêche l’administration fiscale d’évaluer le phénomène de sous-déclaration du chiffre d’affaires du secteur formel. Une question peu débattue dans l’espace public sous l’effet du lobbying du milieu patronal.
- L’insuffisance du cadre juridique qui continue à ignorer des pratiques aussi répandues que le conflit d’intérêt où le délit d’initié.
- L’absence de moyens de contrôler les contrôleurs.
- L’absence de courage et de volonté politique pour s’attaquer frontalement à la corruption, en appliquant strictement les textes de lois déjà en vigueur, adoptés dans les lois de finances antérieures. Nous y reviendrons.
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