En langue arabe « Balladia » signifie « petit pays »… L’expression affirme le sens de la gouvernance locale, pour la gestion d’un territoire déterminé, avec des aptitudes, des responsabilités et un accord pour un projet commun. Tous les pays du monde savent l’importance d’un Bourg-Maester, maître de ville ou de village, soucieux du bien-être de ses gens. Il ne pourrait en être autrement pour un pays volontaire et progressiste.
La responsabilité collective oblige à une permanence des pouvoirs locaux, des aptitudes de fonction et de gestion publique et un projet démocratiquement adopté.
Continuité et permanence des pouvoirs
Au-delà des hommes qui remplissent un mandat politique, il y a la continuité de l’État. Un cœur d’émotion de la révolution tunisienne est la dépersonnalisation de la fonction politique, pour l’inscrire dans la durée et la responsabilité locale, sous le regard de l’État et d’une Cour constitutionnelle.
L’appareil d’Etat a défini des structures d’autorité, de pouvoirs constitutionnellement établies, avec des compétences et des complémentarités entre régions, gouvernorats et municipalités. La loi fondamentale impose un rapport de pouvoir défini par les fonctions de l’Etat.
La municipalité est le pouvoir local, de défense de l’intérêt collectif. Elle détient une compétence, pleine et responsable, qui ne saurait se nier au nom de pouvoirs annexes, venant de la République, de la région ou du gouvernorat. Un plan d’aménagement a défini les fonctions du territoire avec de strictes affectations pour les sols, urbains ou ruraux, constructibles ou pas, espaces protégés ou zones naturelles, patrimoine historique ou lieux écologiques. Quelconque modification d’usage de l’espace passerait obligatoirement par une modification de la Loi fondamentale. Les atteintes à ce principe poseraient de graves préjudices à l’avenir de nation, avec des risques sur les ressources vitales (réserves d’eau, fertilité des sols, diversité biologiques, production agricole, détériorations écologiques, goulots d’étranglement économiques, misère sociale…)
Le maire, assisté d’un conseil municipal, détient une autorité légitime, avec un pouvoir de surveillance et d’exécution, une obligation de continuité et de durée déterminée. Il gère une fonction légitime, indélébile, permanente, quel que soit le contexte, et le mode de nomination, même si la mission est dite provisoire. La fonction ne pourrait se défaire de ses obligations, ni se justifier de quelconque raison, pour suspendre sa mission de surveillance et d’exécution. Le pouvoir de la municipalité reste déterminant. En aucun cas, une vacance de pouvoir ne puisse justifier des constructions et occupations du sol, destructions d’arbres et de végétation, aménagement de projets illicites et incohérents, ni même définis et non-approuvés. La dialectique révolutionnaire n’autorise pas, de suspendre les responsabilités de l’autorité locale, ou de tout pouvoir public.
Nous sommes, malheureusement, loin de cet idéal optimum. Des mots magiques ont été exploités pour nier les pouvoirs d’intérêt collectif, en se justifiant aisément de renversement politique et d’idéal démocratique, ou de crainte, de dénonciation populaire et d’illégitime autorité, ou encore de rivalités avec les autorités régionales et d’oppositions politiciennes montées en épingle. Les municipalités ont nié leurs obligations collectives, de surveillance, de contrôle et d’exécution. La rupture des pouvoirs est un acte très grave, assimilé à un abandon du collectif, qui menace d’anarchie et s’assimile à une trahison.
L’absence d’autorité municipale a nié les obligations collectives et laissé faire les abus les plus inacceptables. Ce n’est pas moins qu’un abandon du collectif et du devoir d’État, signifié d’incompétence et de fainéantise. Les défaillances de pouvoirs de surveillance, d’exécution et de contrôle ont causé des destructions irrémédiables pour les zones écologiques, les ressources agricoles, les paysages naturels, la vie de la faune. Les atteintes ont été portées contre la production agricole, la biodiversité écologique, la beauté des paysages, les ressources économiques, la mobilité, la pollution, le bien-être etc. Ceux qui ont laissé faire ces abus sur leur territoire local sans même les énoncer, devraient rendre compte d’une responsabilité devant une haute cour de justice, ou d’une Cour constitutionnelle.
Aptitudes de fonction et compétences de gestion
L’essentiel est dans la compétence de fonction, la formation en gestion publique, le respect des institutions, la définition du cadre de fonction et de collaboration. Les conditions électorales ne doivent pas négliger les conditions électives ! Les candidats doivent posséder les aptitudes et les compétences de gestion publique, l’enracinement et la vocation. Une connaissance descriptive de leur mission et une formation seraient mises à disposition pour établir le cadre d’autorité et d’action, d’accord et de contrôle, d’observation et surveillance, d’intervention et d’exécution. Les responsables de municipalités peuvent encore gagner une formation pour éclairer leurs objectifs et mission. L’ouverture de la gouvernance locale à l’arbitrage électoral doit considérer l’actuel contexte social de la Tunisie, mettant en balance l’intention démocratique et l’intérêt de gestion publique, les ambitions et les aptitudes des candidats, les coûts de l’engagement électoral et l’arbitrage de nomination, les risques de stigmatisation idéologique et la dépendance à l’égard des partis politiques devenus si puissants. Par ailleurs, la légitimité des urnes ne ferait-elle pas craindre de servir les illégaux indisciplinés et contraindre l’ordre légal? La fonction est obligée. L’intérêt pragmatique oblige à des nominations rationnelles, en dehors de la légitimité démocratique, et … souveraine. Ce point de vue est justifié par l’économie, l’urgence et la rationalité. Les chefs de municipalité doivent disposer d’une compétence pour répondre à une fonction collective, avec une mission, un salaire, une échéance contractuelle, en attendant une électorale.
La gestion des intérêts collectifs nécessite des compétences acquises dans le cadre de formations spécialisées, que les cadres tunisiens de 50 ans d’éducation n’ont pas acquis à ce jour. Il n’y a pas en Tunisie un niveau d’études universitaire de maîtrise pour préparer les cadres supérieurs à la gestion publique. Le spectre bourguibien avait contribué au compactage de ces volontés. Les études de « sciences politiques » ont été réservées à un 3ème cycle d’étude universitaire, ou de préparation à l’École Nationale de l’Administration. Les cadres publics sont généralement issus de sciences juridiques et économiques, et se sont rodés à la fonction par la nomination et l’expérience pratique. Or, les études juridiques préparent à agir dans un cadre de lois. Les économiques gèrent des ressources. La gestion collective ne se résout pas aux seules questions de droit et d’argent, mais à toutes les considérations du bien-être humain. Les sciences sociales et humaines sont un autre pilier de la formation universitaire, qui prépare au mieux, à la charge des responsabilités collectives. La formation des « sciences po » apporte la connaissance multidisciplinaire, d’une science de synthèse, basée sur les apports approfondis du Droit, de l’Économie, de la Sociologie, de l’Histoire, de la Géographie, de la Philosophie (voir La Revue Pnyx, “La politique et la Science” 1991 – Bruxelles, réédition Tunis – 2016).
Les principes de gestion d’entreprise et de gestion publique divergent absolument. Les affaires économiques (commerciales, industrielles…) gèrent des intérêts d’argent, pour transformer des ressources en produits finis, à distribuer, et à vendre sur un marché économique, avec un critère de rentabilité financière. Les intérêts publics sont autres que financiers, malgré l’impérative nécessité de naviguer avec l’outil financier, avec une fiscalité, des recettes et une redistribution. Outre les obligations de gestion comptable (de comptes ou d’agrégats), les méthodologies et pratiques (commerciales et publiques) ne peuvent se confondre. Les affaires publiques gèrent des activités humaines, projetées dans l’intérêt collectif, selon, des autorités, un plan de mission et des projets clairement définis. La gestion municipale se préoccupe du bien-être des gens. Elle régit au sein d’un territoire, les fonctions humaines pour le travail, l’habitat, la formation, le soin collectif, les loisirs … La bonne gestion est une alchimie de considérations, pour la satisfaction collective, qui consiste à identifier les besoins (de consommation, énergie, formation, loisirs, culture…), prévoir les risques (population, réseaux eau-gaz-électricité-communication, assainissement, éclairage public…), coordonner les espaces (publics, administratifs, écologiques…), planifier (équipements nécessaires, investissements, financements, budgets, taxes…).
Dans les affaires économiques, les gérants sont désignés par l’assemblée des propriétaires. Dans les affaires publiques, ils sont « nommés » ou « élus », par le pouvoir exécutif, ou par le processus électoral. Les fonctionnaires publics bénéficient d’un salaire d’État, qui leur permet de se consacrer à autrui, pour le service collectif. « Servir autrui » est une vocation pour laquelle « serment » a été prêté ! Il ne devrait pas y avoir de confusion entre missions d’intérêt public et rentabilité personnelle. Cette confusion fut le point d’échec de l’ère Ben Ali. Les privilégiés d’une caste politique ont exploité l’appareil d’Etat pour un enrichissement personnel. Ces pratiques ont rendu la clique très impopulaire! La révolution tunisienne aspire à une nouvelle équipe de gestionnaires publics, compétents et honnêtes, soucieux du bien-être collectif, démocratiquement élus, sur la base d’un projet approuvé et adopté.
Gestion du projet social
Le projet municipal n’est pas porté pas une perpétuelle idée de refaire le monde. Il est porté par une responsabilité de gestion collective, pour le bien-être collectif et satisfaire les besoins d’une population. La gouvernance agît dans le cadre d’un projet social, en concertation avec l’esprit critique de toutes les considérations, pour contribuer aux décisions les plus justes et les mieux saines.
Le projet vise à satisfaire le bien-être social. Il répond aux besoins humains de Sécurité (paix, alimentation, logement, santé, production), de bien-être (éducation, jeunesse, hygiène, culture, soin social, pauvreté, personnes âgées…), de qualité de vie (justice, travail, liberté, loisirs, espaces loisirs/parcs, nature…). Il met en relation les ressources et les productions, en cohérence avec le progrès et l’optimisation des moyens, le développement local et national. Le projet social a son corollaire de projection spatiale, de coordination des activités et des besoins, des lieux et de l’évolution.
La gouvernance locale concerne une gestion des activités et des besoins, des infrastructures et équipements collectifs, approvisionnement en eau et énergies, transports et communications, stockage et distribution, élimination de déchets et assainissement des eaux usées, dépenses et ressources… Ces responsabilités sont définies sous les responsabilités d’échevins municipaux, ou de conseillers au maire.
La municipalité se préoccupe de respecter la rationalisation de l’espace, des activités, des conditions de l’habitat et de la coordination des équipements. Une bonne coordination du plan urbain est source de progrès. S’il ne l’est pas, il est source de mal-développement. Cet aménagement de l’espace est un indicateur du niveau de développement pour un pays. S’il est rationnel, harmonieux, équilibré… il justifiera un optimum de gestion, contribuera à des économies budgétaires, économie d’échelle, croissance économique, et niveau de bien-être. S’il n’est pas rationnel, sont conséquents gabegie, dépendances, crises sociales, psychiques… Une mauvaise planification provoque des surcoûts et des goulots d’étranglements. Des ambitions démesurées risquent des faillites financières, un déclin collectif, ou un endettement de municipalités. La gestion urbaine a évolué vers un objectif de planification et rationalisation de l’espace, soucieuse de bon fonctionnement des services et de prestige de la ville, de magnificence de ses monuments et d’harmonie de son architecture, optimisation de ses constructions et l’attraction de son confort, l’intérêt de son récit et la qualité de sa vie intellectuelle, la richesse de ses activités et leurs satisfactions culturelles ou artistiques…
L’autorité politique tient donc un rôle multidimensionnel, pour répondre aux considérations socioéconomiques des habitants, aménager ces activités dans une organisation rationnelle de l’espace, et assurer un avenir durable sur les divers plans (production, environnement, diversité…).
* Certaines observations et éléments d’analyse inclus dans ce texte sont extraits d’un ouvrage du même auteur intitulé « Outrage aux lotophages » (Bruxelles, 2016).
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