Six mois après la chute de Ben Ali, par un ordre datant du 28 Juin 2011, l’Etat a confisqué, le 28 juin 2011, cette société de production, devenant ainsi propriétaire de la part de Belhassen Trabelsi, soit 51% du capital de Cactus Prod. La confiscation n’a cependant pas concerné la part du capital appartenant à Sami Fehri, bien que ce dernier ait été poursuivi en justice dès le 25 avril 2011 (date de l’ouverture de l’instruction). Toutefois, ses avoirs ont été gelés et il a fait l’objet d’une interidction de quitter le territoire tunisien. Ensuite, un mandat de dépôt, a été émis contre Sami Fehri. Ce dernier a été détenu d’août 2012 jusqu’au 11 septembre 2013.
De producteur exclusif de l’ERTT à producteur exclusif d’El Hiwar Ettounsi
Dans les années qui ont suivi le 14 janvier 2011, Sami Fehri a poursuivi ses activités au sein de Cactus Prod, notamment à travers la production de nombreux programmes pour la chaine Ettounissia, sans licence de diffusion er dont le logo appartenait à Souheil, frère de Sami Fehri. Après un contentieux judiciaire avec Slim Riahi qui a procédé à l’acquisition des fréquences de diffusion d’Ettounissia en avril 2013, les choses se sont corsées, la chaine ayant été empêchée de diffuser ses programmes en juillet 2013. C’est qu’Ettounissia a décidé de faire migrer ses programmes vers une autre chaîne privée, El Hiwar Ettounsi.
En à peine une année, la propriété de la chaine El Hiwar Ettounsi est passée à la famille de Sami Fehri. D’après les déclarations de Tahar Ben Hassine, l’ancien directeur et principal actionnaire de la chaine, début septembre 2014, la femme de Sami Fehri et sa sœur en possédaient 45%. Peu après, il a déclaré que la famille de Fehri a acheté toutes les parts de la chaine et qu’elle a le « dernier mot au sein de la chaine ». La relation entre Cactus et la chaine « Ettounseya – Al Hiwar al Tounsi » a de quoi susciter l’attention, puisqu’il semblerait que la chaine de la famille de Fehri soit l’unique cliente de la Cactus, qui lui produit des émissions comme « Klem El Ness », « Yawmiat Mouaten », « El Haqq Maak », « Andi Ma Nqolek », « Labes », « Li Man Yajraou Faqat », « Dari Deco », « L’émission 7/24 », « Ma Lam Youqal ». Toutes ces émissions ont été produites pour la chaine appartenant à des proches de Fehri par une entreprise dont le capital est détenu en majorité par l’Etat (51%), sachant que Sami Fehri qui contrôle 49% de Cactus est toujours sous le coup de poursuites judiciaires dans ce dossier et à ce titre, devrait être sous le coup d’une gelée de ses avoirs. Dans ce contexte, la question du conflit d’intérêt se pose d’elle-même, sans compter la question du rôle du représentant de l’Etat dans cette affaire, l’administratrice judiciaire Ilhem Soufi Torjman qui a été nommée le 2 juillet 2011.
L’administratrice judiciaire et sa relation suspecte avec Cactus
Ilhem Soufi Torjman, l’administratrice judiciaire de Cactus, s’est distinguée par sa capacité à rester à la tête de l’entreprise malgré les demandes répétées appelant à sa révocation, que ce soit de la part du chargé des contentieux d’Etat, ou de celle de syndicats (Syndicat National des Journalistes Tunisiens et Syndicat général des Médias relevant de l’UGTT). En novembre 2014, sous pression des syndicats professionnels, le gouvernement de Mehdi Jomaa a demandé la révocation de Torjman. Il a justifié sa demande à l’époque par la nécessité de confier la tâche à un nouvel administrateur afin de « suspendre l’accord entre les studios Cactus confisqués par l’Etat et la chaine El Hiwar Ettounsi durant la campagne de l’élection présidentielle ». Cependant, ces demandes sont restées lettres mortes, puisque la chamùbre 16 du tribunal administratif de Tunis a rejeté la révocation d’Ilhem Soufi Torjman fin décembre. Il s’agit de la 17ème requête du chargé des contentieux d’Etat visant à changer d’administratrice judiciaire.
Au moment où ses conflits avec les syndicats et le chargé des contentieux de l’Etat se multipliaient, Ilhem Soufi Torjman a bénéficié du soutien de Sami Fehri et de son avocat Abdelaziz Essid. Ce dernier a d’ailleurs déclaré que Torjman « a réussi dans sa mission, puisqu’elle a sauvé la société et l’a placé à la tête des entreprises médiatiques ». Face à cet enthousiasme, il y a lieu de se poser des questions sur la relation forgée par Ilhem Soufi entre la chaine « Ettounissia-El Hiwar Ettounsi » et Cactus Prod. Une partie de cette relation suspecte est dévoilée à travers la demande qu’a présenté Ilhem Soufi Torjman le 1er juillet 2013 à la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA), et ce pour obtenir une licence sous le titre « Règlement du statut exceptionnel de la chaine Ettounissia. Cette demande a été refusée par la HAICA pour diverses raisons parmi lesquelles, la situation juridique de cette entreprise confisquée et son statut de société à responsabilité limitée. De fait, la licence de diffusion est réservée aux sociétés anonymes, d’après le cahier des charges des chaînes de télévision privées.
Ce qui est frappant dans cette demande est le fait qu’Ilhem Soufi Torjman a profité de ses fonctions d’administratrice judiciaire (gérant les biens confisqués par l’Etat) pour défendre les intérêts de la chaine de Sami Fehri, en demandant à obtenir une licence de diffusion alors même qu’il fait l’objet de litiges judiciaires avec l’Etat, et que son partenaire, Belhassen Trabelsi, a causé des pertes à l’ERTT de l’ordre de plusieurs millions de dinars. Au cours de la demande susmentionnée, Ilhem Torjman a indiqué qu’« il n’y a d’autre solution pour la chaine que d’obtenir la licence de diffusion télévisée », ajoutant que la chaine Ettounissia est confrontée à la concurrence considérable d’autres chaines télévisées comme Nessma, Hannibal ou la Télévision Tunisienne. Le plus frappant dans la demande de l’administratrice judiciaire est sa défense des intérêts d’Ettounissia au détriment de ceux de la télévision publique, alors même qu’elle a été mandatée pour défendre les biens publics.
La relation étroite entre l’administratrice judiciaire et Sami Fehri s’est manifestée de manière tangible dans le caractère exclusif des contrats signés entre Cactus au profit d’El Hiwar Ettounsi . Ces contrats ont été maintenus secrets malgré des demandes répétées de les divulguer. A ce titre, une lettre de l’ancienne ministre des Finances, Lamia Zribi adressée à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) le 6 avril 2017 dans laquelle elle annonce « la nomination par le juge surveillant la procédure de trois experts chargés de vérifier les finances et la comptabilité de la société Cactus Prod, afin d’examiner la justesse et l’intégrité des comptes et des opérations financières de la société, ainsi que de vérifier la nature des bénéficiaires des contrats de Cactus Prod avec des sociétés de production audiovisuelle ». Bien que nous n’ayons pas eu accès au rapport des experts, le caractère exclusif de la collaboration de Cactus avec la chaine El Hiwar Ettounsi est prouvé par le volume de programmes produits pour cette dernière. Cependant, l’administratrice judiciaire de Cactus – comme semble le montrer sa demande de licence de diffusion télévisée – a tenté de détourner les autres chaines de télévision de contracter avec Cactus, en particulier l’ERTT qui aurait pourtant pu être la première bénéficiaire des productions de Cactus puisque la majorité du capital de cette société est détenu par l’Etat.
D’autres entreprises de la famille Fehri s’en mêlent
Entre-temps, Cactus Prod a contracté d’autres sociétés de production, parmi lesquelles Not Found Prod, une société de production audiovisuelle fondée en 2011 en Tunisie et en 2013 en Algérie. Ce contrat a donné lieu à l’émission « Eftah Qalbek » dont le premier numéro a été diffusé en novembre 2016 sur la chaine privée algérienne Chourouk TV. Cette émission qui calque l’émission tunisienne « Andi Ma Nqollek » a été filmée dans les studios de Cactus, sous la supervision de Salma Fehri, la sœur de Sami Fehri.
Les génériques des émissions d’El Hiwar Ettounsi font état de co-productions Cactus Prod et d’autres sociétés proches de Sami Fehri, parmi lesquelles Eight Prod qui a produit avec Cactus la version 2017 de l’émission Dlilek Mlak. Cette société est dirigée par Hassan Ben Ibrahim, avec une participation au capital de la sœur de Salma, sœur de Sami Fehri ainsi que de la femme de ce dernier, Asma Ben Jemia Fehri. Il faut ajouter à cela la collaboration de Cactus avec Samouraï Prod, une autre société ayant participé à la production de la troisième saison du feuilleton Maktoub. D’après les informations qui nous sont parvenues d’anciens collaborateurs de cette entreprise, qui serait à présent fermée, les principaux contributeurs de son capital sont Hassan Ben Brahim, et les présentateurs Naoufel Ouertani et Alaa Chebbi. Cette société aurait également participé avec Cactus à la production de l’émission Roufiat al Jalsa lors de sa première saison en 2011. Cette émission aurait été co-produite avec une autre société de production, Rainbow Holding Company.
L’exclusivité du contrat avec la chaine El Hiwar Ettounsi et le recours à d’autres sociétés de production dans l’orbite de Cactus, présentent clairement l’image d’une société arrimée aux intérêts de Sami Fehri et de sa famille malgré sa confiscation par l’Etat tunisien. Cependant, cette fois-ci, cela ne se fait pas sur le dos de l’ERTT mais plutôt par le biais du système de confiscation des biens représenté par l’administratrice judiciaire qui a permis ce monopole et a facilité la coopération avec des sociétés de productions liées à la chaine El Hiwar Ettounsi et Sami Fehri. Le dossier Cactus Prod constitue un cas d’école de la nouvelle corruption qui prévaut dans la gestion des biens confisqués, constat soutenu par le trentième rapport de la Cour des Comptes qui a pointé du doigt de nombreuses irrégularités financières dans la gestion des biens confisqués.
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