Voilà un film à l’écoute de son cœur qui bat, c’est-à-dire qui n’a pas plus de problème pour raconter une histoire que pour savoir où mettre sa caméra. Leila’s Blues d’Ismaël et Fateme Ahmadi fait transpirer à l’écran l’instantané d’un triangle familial. D’une belle facture, le film suit Leila, mère d’un jeune autiste, qui tombe enceinte et décide d’avorter sans aviser son mari, peu présent. La subtilité de la dramaturgie est du côté d’une justesse qui prend le temps d’organiser sa mise en scène au profit d’une vibrante épure, plus encline à ouvrir des portes qu’à les fermer.
À l’abri du moindre faux pas, Leila’s Blues possède un corps classiquement narratif pour se mettre à hauteur de son sujet, venant au chevet d’un drame conjugal. Aimanté d’un côté par l’autisme de son fils, et la quasi-absence de son mari de l’autre, le drame se taille dans le silence de Leila. Ballottée par les remous, elle rejoint sa chambre dans la clinique et se prépare pour l’opération. Mais c’est la fugue de son fils, que rien ne semble préparer ni anticiper, qui la fait sortir de l’inertie. Et c’est en appelant son mari à la rescousse que tout éclate sans bris de verre. Ménageant par à-coups cette tension, Leila’s Blues fait signe sans donner l’air de s’y approcher vers une scène finale où rien ne sera tout à fait résolu, offrant ainsi à la mère d’ouvrir les vannes du récit.
Comme tombé des poches d’un cinéma intimiste, Leila’s Blues livre ainsi une partition réussie des points des vues qui ne polarisent qu’en apparence le film. Il arrive à ses images la même chose qu’aux personnages qu’elles abritent, rattrapant dans l’air les regards fuyants de leurs visages contrits. La bienvenue absence de champ contre-champ rend assez bien la solitude qui irrigue le point de vue de la mère. Quant au point de vue du fils, c’est son intelligence aux échecs qui l’amorce en lui faisant adopter une distance inattendue, que vont aménager des plans subjectifs tirés de sa tablette. Avec ce point de vue tronqué mais bien raccord, le procédé s’avère payant.
S’il est possible qu’à cette cuisson-là le scénario prenne le pas sur son écriture visuelle, l’autre option aurait été d’étoffer l’espace de la fiction avec plus d’aspérités et de foncer avec volontarisme dans le drame psychologique. Mais les choix de mise en scène, en misant plutôt sur la retenue dans l’approche des corps filmés, attestent d’une belle volonté de laisser le film respirer par moments en dehors de sa conduite programmatique, et de ménager par là au spectateur une place plus généreuse.
On peut voir d’autres choses dans Leila’s Blues, notamment l’alliage d’une frontalité des situations et d’une pudeur dans l’accentuation des réactions. Cet alliage se fait sentir dans le jeu des deux protagonistes. Jeu tout en retenue chez le fils mutique et impassible, et en effusions ponctuelles chez la mère, contrariée par des vents contraires. La caméra sait à chaque fois restituer une part d’obscurité autour d’eux. Mais bien que le film tient bon la barre, parce qu’il n’impressionne pas plus que cela, peut-on lui pardonner le casting raté du père et quelques dialogues un peu trop contrôlés ? Rien que pour sa touchante sensibilité, on sait gré à Leila’s Blues d’exister.
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