Inutile de chercher dans L’Oiseau Bleu la glu mélo qui rendrait ce court intéressant. C’est moins l’histoire d’une attente interminable que la fresque d’un corps social, le temps d’une soirée arrosée dans un restaurant dans la banlieue de Tunis. Avec cette courte fiction, pliée selon la règle des trois, Rafik Omrani et Suba Sivakumaran tendent presque toutes les verges pour se faire battre. Pas plus que le scénario, la mise en scène ne trouve pas ici sa parade. On n’en voit pas plus la fin que les moyens.
Sur le fond, il y a dans L’Oiseau Bleu un matériau plus ou moins riche, mais pas vraiment de sujet. En l’état, on croirait le film délesté de colonne vertébrale, l’ensemble n’ayant d’autre cohérence que le prétexte d’un décor propice à la fiction sociale, un bouillonnant restau en bord de mer et dont on ne sortira qu’au lever du soleil. Histoires d’amour, asthénie généralisée et adversité y font se côtoyer Imène, la propriétaire cancéreuse et son fidèle bras droit Moudir ; Férid, un playboy portraituré en ange déchu ; Tarek l’intellectuel et Saber, le percussionniste désemparé. Pesant lourd de bout en bout, il faut dire que, dans cette fresque, tout ou presque peine à trouver sa substance.
Il y a évidemment de bonnes raisons à cela. Le scénario n’aurait rien pour surprendre, s’il n’y avait le coup de fil qu’attend le percussionniste pour lui annoncer les résultats du loto. Dans l’intervalle, on aura assisté à une fête bien arrosée où les zones d’ombre autour de chaque personnage ne sont pas si faciles à soulever. Entre anecdotes de table, danses, argent et alcool, la musique se repaît d’une bonne dose de chagrin chevillée aux coups du sort, à mesure qu’un chassé-croisé s’y tisse vaguement entre les personnages. Il y a certes une tentative de mâtiner cette ambiance d’un potentiel cinégénique, mais à qui voudrait y retrouver la jouissance promise de l’instant ou fuir la laideur du monde, il manquera l’essentiel : la caméra frôle ces présences sans rendre l’atmosphère sensible. L’Oiseau Bleu peine à mimer la bonne petite santé d’un mélodrame.
Le problème est que Rafik Omrani et Suba Sivakumaran non seulement mettent plus qu’il ne faut d’eau dans leur vin, mais diluent l’immersion dans une mollesse flagrante. Mauvais conducteur de fiction, les chansons fonctionnent ici comme des transitions en lesquels on verrait moins des articulations qu’une manière de tout enchaîner sans rien peser de la confondante naïveté des personnages, basculant d’un registre à l’autre. Et si la mise en scène formule quelque chose, ce serait proportionnellement inverse à la frugalité de la caméra qui, loin de mettre à l’épreuve les corps, donne l’impression d’un lâchage du mou. Résultat : les images du film tombent des yeux.
Il ne faut donc pas trop s’en étonner. Rafik Omrani et Suba Sivakumaran accumulent à plaisir les poncifs : histoire faussement compliquée, personnages trop pantins pour vraiment capter l’attention, acteurs mis entre guillemets plutôt qu’en situation. Plombé par une ambiance sonore qui peine à installer un univers, L’Oiseau Bleu participe de cette pénible impression que le format court sert le plus souvent à tartiner la déconfiture d’une histoire à l’étroit, avec cette croyance qu’à coups de chansons folkloriques le récit fera parler des refrains à sa place, que l’attente fera le suspens et que le huit-clos dispensera de la mise en scène. À l’image de son ambiance, le film fait du bruit pour rien.
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