Après une longue attente, nous y voilà. Le 6 mai 2018, le peuple a annoncé le passage à la décentralisation, à travers son acte souverain, le vote. Certes peu de participation, 35 à 36%. A l’ère de ces nouvelles communes, nous serons devant des défis locaux à première vue. Nous le savons tous que la chose communale ne sera pas qu’embellissement, assainissement et propreté urbaine. Les questions du progrès, et des projets autrement s’imposeront, vu la demande locale, et en vue de la demande locale. Une grande partie des citoyennes et citoyens sont convaincu-es et conscient-es de ce qu’on pourra édifier à travers ce passage à la décentralisation. Mais la classe politique après la gifle du 6 mai dernier, forte abstention et forte sollicitation des listes indépendantes, a-t-elle posé les bonnes questions ? Comment mener à bien ces nouvelles constructions locales ?
La classe politique après la gifle du 6 mai
La classe politique tunisienne, on dirait qu’elle ne pourra pas se concentrer sur des projets sérieux, et les mener au bout avec force et sérénité. Pour exister et faire parler d’elle, cette classe politique a besoin de fabriquer des piqures aux uns et aux autres comme pour garder un état de stimulation! Les tiraillements ont toujours plombé la vie politique depuis la fuite du dictateur. Aujourd’hui autour de l’Accord de Carthage 2, la réalité est : moi je ne t’aime pas, moi non plus. Et il est vrai, que nous-mêmes, citoyennes et citoyens, participons à cette mauvaise animation, vaguement ou avec plus d’implication, tout dépend de chacun-e de nous. Les marges de la liberté d’expression sont toujours ouvertes, jusqu’à maintenant, et personne n’a osé siffler la fin de la recréation. Il y a qui ont espéré et essayé, qui espèrent toujours mettre fin à cette nouvelle ère de liberté, mais la révolution est encore là, certains de ses acquis. Certes, aujourd’hui la construction démocratique en Tunisie, n’est pas encore synonyme d’une meilleure gouvernance du pays. Il existe plusieurs agendas qui animent les appareils politiques, autres qu’une bonne gouvernance, une meilleure distribution des richesses…etc. Et cela rend difficile le travail d’un gouvernement, tout gouvernement. Soyons optimistes, ne gâchant pas le ramadan ! Peu importe, la Tunisie saura s’en sortir, notamment grâce à la décentralisation, mais elle trainera des séquelles et des difficultés cumulées à cause d’un centralisme durant six décennies, et à cause de la réalité politique depuis la révolution.
Les élections municipales du 6 mai ont annoncé la fin de l’ère du tout central. Et nous nous dirigeons au fur et à mesure vers d’autres manières de gérer le local, gouvernance ouverte, démocratie participative, nouvelles modalités et dispositifs pour la participation citoyenne. Des villes projets, des villes qui innovent, des villes où le vivre ensemble fera davantage cause commune. C’est le choix des Tunisiennes et Tunisiens. La réussite va dépendre de tout le monde. L’échec va être le résultat de la négligence des nouvelles opportunités en meilleure gouvernance qui s’ouvrent aux citoyens, aux habitant-es de la commune, la commune nouvelle, via ce nouveau code des collectivités durement gagné, et via les ouvertures (les vides) qu’il a laissé aux citoyennes et citoyens pour apporter le meilleur d’eux/elles, collectivement.
La décentralisation, une opportunité de recréer
Avec la décentralisation, nous sommes devant une refondation de la gouvernance locale. Nous ne sommes pas uniquement devant une innovation en gestion et en rapports. La refondation est totale, malgré certaines contraintes législatives, et qui seront amenées à être balayées par le temps. Nous sommes entré-es dans une ère nouvelle au niveau de la gouvernance locale, la gouvernance ouverte, ce qui va produire et exiger des nouveaux rapports des élu-es avec les habitant-es et les usager-es de la commune, des nouveaux rapports de l’administration avec les habitants et les usager-es de la ville, ce qui impliquera naturellement des nouveaux rapports habitant-es/élu-es, et habitant-es/administration locale. Par usager-es de la ville, on pourra entendre, les touristes, le travailleurs et les salariés des entreprises qui n’habitent pas la même commune. Et là, les budgets participatifs pourront trouver la possibilité d’être réfléchis à travers le regard de l’autre, qui n’est pas l’habitant. C’est une déclinaison progressiste de la démocratie locale. Somme toute, le nouveau ou la nouvelle élu-e local-e, doit s’y intéresser, et leur accorder de la place, dans la proposition et la votation. Ce qu’on pourra appeler les rapports du projet à l’’humain, le projet local, propre à chaque commune, en matière de niveau d’implication de chacun-e, des besoins affichés et même d’idées. Par conséquent, les aires d’implication vont se multiplier et encore, la logique d’appropriation constructive de son quartier évoluera. Aujourd’hui, trois semaines après les élections, les choses (pourparlers, négociations entre les listes) avancent tout doucement. Le Tunisien et la Tunisienne attendent cette entrée de la décentralisation et il ne faut pas qu’il y ait quelque chose qui vienne perturber ce processus.
Après le 13 juin, date d’annonce des résultats définitifs, des majorités vont se constituer. Les outils, mécanismes, dispositifs et espaces de la démocratie participative et de la gouvernance ouverte seront mis en place dans chaque commune, et chaque localité communale avancera à sa propre vitesse. D’ici la fin de l’année et après le vote du prochain budget de l’État et des nouveaux budgets locaux, les choses vont devenir plus claires pour les nouvelles majorités municipales et plus palpables aux citoyens. A mon sens, dès le mois de juin, période de la passation du pouvoir, chaque commune doit établir un état des lieux de ces financements, ce qui est engagé, ce qui reste…etc. Le volet du personnel communal sera un grand dossier pour chaque nouvelle majorité mais aussi le volet des délégations du service public, à des intervenants extérieurs, lui aussi fera grand débat. Les volets des marchés publics, et de la commande publique vont prendre beaucoup d’énergie aux nouvelles équipes aux commandes de la ville. Chaque nouvelle majorité doit voir clair et mettre tout sur table, informer la population, se préserver des retombées de l’ancienne gestion. Les nouvelles majorités vont découvrir des aires noires, des canaux de gestions, peu compréhensibles, pour ne pas dire des éléments justifiant des suspicions de corruption. Les nouvelles équipes prendront surement des décisions, pour rectifier les tirs, engager autrement ce qui reste du budget. Certaines ne vont pas hésiter, d’autres seront plus contraintes à finir l’année sur les agendas tracés par l’ancienne équipe qui occupait la mairie. Certaines nouvelles majorités seront peut-être des majorités faibles, fautes de rassembler et de construire de larges alliances. Du coup, elles vont hésiter sur certains volets de l’action communale, sur certains dossiers. Ça ne sera pas de la tarte avec l’héritage de 60 années de gestion centralisée. Mais les nouveaux élu-es pourraient s’en sortir. Et l’intelligence locale risque de surprendre tout le monde en matière d’innovation. Cette période d’instauration des nouvelles majorités, va demander plus d’efficacité post-électorale de la part des listes et des partis. Le niveau de l’efficacité à ce stade sera déterminant pour la suite (efficacité dans les négociations entre les listes, dans la constitution des majorités stables et autour d’un projet commun et rassembleur…). Constituer des majorités larges et solides ne sera pas chose facile dans toutes les communes, sauf quelques-unes peut-être. De toute manière, l’important va être la suite. Et la suite, c’est tout un mandat.
Eh bien, on attendra pour voir, observer comment va se décliner cette passation de pouvoir et le passage à la décentralisation. Créant les possibles alors ! Ce premier pas vers la décentralisation nécessite le meilleur accompagnement des nouvelles communes. Le niveau d’intérêt qui leur est accordé par le pouvoir central, le gouvernement actuel ou un autre, avec ou sans Chahed, sera révélé lors de la préparation du budget de 2019.
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