Si l’initiative peut apparaître louable dans son principe en permettant aux Tunisiens de l’étranger de se sentir partie prenante du devenir du pays et faire ainsi preuve de solidarité active, elle n’en pas moins complexe à mettre en œuvre tant en termes de préconditions de faisabilité que de résultats performatifs (montant souscrit, nombre de demandeurs, profondeur sociologique). En l’occurrence, les pouvoirs publics, par l’entremise du gouverneur, ont bien conscience qu’il ne s’agit pas d’un emprunt banal sur le marché international des capitaux. L’enjeu est certes de prime abord financier, mais c’est en réalité une opération aux multiples implications différées (étendue et solidité des liens de la diaspora avec le pays dans de multiple domaines : technologique, économique, savoir faires).
Esquissons quelques éléments de réponse à cette initiative méritoire mais qui va de facto se heurter à des difficultés de tous ordres (compréhension, acceptabilité, implication) tant la diaspora est diverse et éparpillée.
Apport des TRE malgré l’absence de stratégie publique !
Rappelons d’emblée que les TRE ont déjà une contribution substantielle au développement économique du pays. Les transferts de devises oscillent selon les sources entre 1.5 et 2 Mds US$. Rapporté au nombre de Tunisiens séjournant à l’étranger comparativement à la population résidente, le montant de ces transferts se situe dans la moyenne des pays du voisinage. Notons aussi que dans la dernière période, elle constitue la première source d’entrée nette de devises loin devant le tourisme et les exportations de phosphates. Un apport économique net auquel il faudrait rajouter les achats épisodiques mais récurrents de biens et services locaux : les services des compagnies de transport dont ils estiment par ailleurs être mal traités. Mais aussi la consommation de services mobiles et de dépenses liées aux vacances… On le voit, un montant agrégé qui pourrait osciller entre 10 et 12% du PIB. Mais hélas il n’y pas de données fiables !
Rompre avec le cercle vicieux par l’adoption d’une stratégie
Passons rapidement sur la conjoncture actuelle où manifestement l’instabilité politique, les déboires économiques et financiers du pays et les troubles sociaux sont peu favorables au lancement d’une telle opération. Un manque de confiance généralisé. Les autorités devront de toute évidence attendre une meilleure fenêtre d’opportunité. Ce qui nous intéresse ici ce sont des considérations plus générales d’ordre stratégique et des dispositions à mettre en œuvre à partir d’un constat de départ : la méconnaissance totale de la part des autorités comme des institutions de sa diaspora. Un constat qui n’a rien de péremptoire si l’on observe ce qu’ont effectivement réalisé les huit gouvernements qui se sont succédé depuis sept ans. Un secrétariat d’Etat à l’immigration et aux Tunisiens de l’étranger dont on se demande bien ce qu’il peut faire (une page FB qui n’a pas été actualisée depuis 2014 et 10 lignes dans le rapport d’activité du ministère des affaires sociales). Que dire de l’Office des Tunisiens à l’Etranger (OTE) toujours aussi peu visible et actif…mais sans oublier quelques « mesurettes » tel le 2e FCR ou un bureau des douanes dédié aux immigrés. On est tout de même loin du compte. Pas une seule étude d’envergure permettant de mieux cerner cette population à l’étranger : ses revenus, ses modes de vie, ses niveaux d’éducation et ses statuts socioprofessionnels, ses aspirations, ses besoins. Pas l’ombre du début d’une réponse. Autant dire que les pouvoirs publics évoluent en aveugle et au gré des circonstances !
Ce qui manque donc et de manière flagrante à la différence d’autres pays du continent africain, d’Amérique latine voire aussi d’Asie, c’est une stratégie globale réfléchie, articulée sur des données fiables et déclinée en plans d’action ciblés et pluriannuels. Autrement dit, ce que nous appelons une stratégie 360°. Cette stratégie qui reste à construire, permettrait de couvrir des champs totalement ignorés ou pour le moins mésestimés aujourd’hui. Une logique à 360° qui devrait identifier et répertorier l’éventail de compétences, de savoir-faire, des réseaux d’appartenance et d’influence. Nombreux sont en effet les résident(es) qui désirent s’engager à des fonctions diverses : qui dans un projet agricole ou industriel avec des proches restés au pays, qui dans l’enseignement, la formation ou la recherche, qui comme apporteur d’affaires du fait de sa position. Les pouvoirs publics et leurs administrations gagneraient à s’affranchir des préjugés et des idées préconçues, cesser de ne considérer cette communauté comme une manne financière, et s’en souvenir quand les choses deviennent difficiles et tournent mal. Cette méconnaissance de la communauté que l’on ne peut même plus qualifiée d’« immigrée » constitue un réel manque à gagner ou plus exactement un vivier de potentialités inexploitées qui ne demandent qu’à se déployer.
L’émission d’un emprunt obligataire, un pari très risqué !
Tenter d’émettre dans ces circonstances un emprunt obligataire relève de la gageure, d’un risque d’échec ravageur ! Les autorités ignorent, tout des prérequis, car « l’affaire » ne se réduit pas à une simple campagne marketing suivi d’une bonne procédure technique (avis favorable des autorités de marché, prix d’émission, coupon, rendement, durée, modalité de remboursement). Seuls quelques pays en développement ont réussi à surmonter les obstacles qui sont avant tout psychosociologiques: intensité de la relation avec le pays, confiance dans les institutions. Les pouvoirs en place pas plus que les structures d’interface (OTE, API, FIPA) n’ont jamais pris connaissance des expériences de rapprochement Etat-Diaspora conduites avec de succès divers par des pays en développement. De facto le ministère des Finances, comme la BCT, ignore le fait que cette diaspora a considérablement changé avec le temps (3e génération) et qu’elle ne saurait se réduire à cette vague estivale qui rentre au pays. Cette communauté certes concentré à près de 80% en Europe n’en est pas moins présente dans 65 pays. Elle recèle toute la diversité des catégories socioprofessionnelles que l’on trouve dans ces pays d’adoption. L’image d’Epinal de l’ouvrier automobile ou du BTP, du petit employé, ou du Jerbien du coin est désuète. Désormais il faudra aussi compter sur les réseaux d’influence d’entrepreneurs aguerris, de très hauts cadres de la finance et des technologies les plus en pointe (TIC, économie verte, énergies renouvelables). En créant une sorte de LinkedIn tunisien, les autorités seraient pour ainsi dire médusées et stupéfaites tant par la qualité que par la multiplicité des élites intellectuelles et technophiles résidantes dans ces 65 pays. Une vraie mine d’or ! Nombre d’entre-elles, une fois identifiées et sollicitées pourraient accompagner des opérations complexes voire drainer dans leur sillage des investisseurs. Il est grand temps de s’occuper de ce réservoir de ressources inexploitées ! Mais la réciproque est tout aussi vraie : Cette communauté attend aussi que l’on prenne soin d’elle.
Et si la Tunisian Foreign Bank (TFB) était rachetée par la diaspora ?
S’agissant d’aspects plus financiers, cette communauté ne trouve aujourd’hui aucun produit d’épargne attrayant et compétitif comparativement à ce qu’elle trouve dans les lieux de sa résidence. Que dire d’une présence culturelle, artistique en direction de ces populations, un vide sidéral ! Si la présence de l’Etat se réduit à des services consulaires, la société civile locale ou à l’étranger s’est emparée de ces enjeux. En témoigne la multiplication des associations bi voire tri-nationales ou plus. Une profusion d’actions voit le jour à l’instar de Paris-plage ou des villages d’été, comme celles moins visibles et discrètes d’acheminement de matériel médical, industriel et agricole.
Pour conclure, il apparait plus que jamais indispensable que l’Etat et son administration prennent conscience de la vitalité de la diaspora (près de 200.000 cadres supérieurs, et plus de 5.000 cadres dirigeants) et substitue à leur immobilisme dommageable, une stratégie 360° constituées d’actions pertinentes. Ainsi et à titre illustratif, pourquoi ne pas envisager en lieu et place d’un emprunt obligataire classique, l’émission de bons convertibles en vue du sauvetage et du redéploiement de la TFB. Une banque tunisienne pour les Tunisiens de l’étranger (seule banque à détenir une licence de banque de détail). Une initiative qui aurait une résonnance et un retentissement considérable !
*Article co-écrit avec Samir Bouzidi, expert international en mobilisation des diasporas africaines et fondateur de la start-up Allobledi, spécialisée dans l’engagement des Tunisiens de l’étranger.
Si cet emprunt n’est pas intéressant pour les tunisiens de l’étranger alors ils ne le prescriront pas.
Sous prétexte que la connaissance des tunisiens de l’étranger n’est pas suffisante, voudriez-vous qu’on abandonne l’idée ? Sachez par ailleurs que les pages facebook des organismes ne sont pas révélatrices et il faut vour le site-web. Si je comprends bien votre raisonnement, vu qu’on n’a pas fait grand chose piur les tunisiens de l’étranger on n’a pas à leur proposer cet emprunt ? Ce projet a au moins le mérite d’exister mais comme le dicton le dit, lorsqu’on veut tuer son chien on l’accuse de la rage.
On a décidément l’impression que pour exister, il faut trouver quelque chose à dire pour ne pas dire critiquer coûte que coûte ? Est-ce votre devise : “je critique donc je suis” ?
Malgré les inconvénients de cette idée, au moins il y a des gens qui proposent des choses. Lorsqu’on ne propose rien on stagne.
Ça me rappelle un peu les critiques de cinéma qui ne font pas de films.