« Lorsque j’ai repris le travail, je saignais encore ! », s’exclame Hind, assistante au sein d’une agence de communication. « Mon fils est né le 8 octobre, j’ai repris le travail le 27 novembre… il n’avait pas encore deux mois, et je devais déjà me séparer de lui. C’est violent, pour l’enfant comme pour la mère », s’indigne-t-elle. Pourtant, le projet de loi relatif à la prolongation du congé de maternité a été élaboré, il y a deux ans. « Nous avons commencé à préparer le texte en 2017 », note Malika Ouerghi, directrice des affaires familiales au sein du ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance. Et c’est en mars 2018, que le ministère annonce avoir finalisé le nouveau texte : ce dernier permet à la mère de bénéficier d’un congé prénatal d’un mois et d’un congé postnatal de trois mois, outre le congé parental, de quatre mois maximum. Par ailleurs, ce projet de loi proposait un congé de paternité de 15 jours, contre 2 actuellement. Mais ça, c’était en 2018.
Depuis, le projet a revu ses ambitions à la baisse : le congé de paternité sera désormais de 3 jours et le congé de maternité sera de trois mois, au lieu de quatre prévus initialement. « La nouvelle version, approuvée par le conseil des ministres le 8 mars dernier, n’est que le début d’un processus », souligne Malika Ouerghi. « Il faudra par la suite se caler sur les normes internationales, et pour cela nous aurons besoin de la société civile ». En effet, la convention 183 de l’Organisation Internationale du Travail prévoit un congé de maternité de 14 semaines, mais conseille une durée de 18 semaines. « Viendra le jour où nous appliquerons les recommandations de l’OIT. En attendant, la grande avancée du nouveau texte est l’égalité entre les mères : nous ne faisons plus de différences entres les parents qui travaillent dans le public et ceux qui travaillent dans le privé », se réjouit la directrice des affaires familiales.
Objections du patronat
Du côté du patronat, c’est l’incompréhension. « Qui va payer ces congés allongés ? », s’inquiète Sami Silini, directeur central des affaires sociales de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA). « L’Etat n’a pas l’argent et les entreprises ont suffisamment de charges ». L’UTICA, qui a participé aux premières réunions de la commission nationale mise en place pour l’élaboration du projet de loi sur le congé de maternité et de paternité, a émis de nombreuses réserves. « Vous vous rendez compte ? La commission a proposé 15 jours pour le père ! », s’étonne Sami Slini. Et de poursuivre : « Pourquoi 15 jours ? Pour aller au café ? Nous ne sommes pas la Finlande, il n’y a pas en Tunisie un père qui va s’occuper de son enfant pendant 15 jours, c’est comme ça, c’est notre mentalité. C’est une bonne chose que cette proposition ait été retiré ». Il regrette cependant que la commission n’ait pas pris en compte les difficultés économiques du pays : « on ne peut pas proposer une loi sans définir son impact économique et préciser qui va supporter cette charge ».
De son côté, Malika Ouerghi se veut rassurante : « une fois que le projet sera voté à l’Assemblée, nous définirons ensemble les modalités… L’UTICA a émis des réserves sur la première version du projet que nous avons pris en compte. Nous continuerons à être à l’écoute des différents partenaires, tout en assurant la protection des mères, des enfants et de la famille en générale ». Si le projet de loi n’est toujours pas enregistré à l’Assemblée, malgré son adoption au conseil des ministres, il y a un an, serait-ce à cause de l’UTICA ? « Nous n’avons pas le pouvoir de bloquer quoi que ce soit ! », rétorque Sami Slini. De son côté, Malika Ouerghi a fait un rappel en novembre 2019 auprès de la présidence du gouvernement et compte relancer dans les jours qui viennent le nouveau gouvernement. En attendant, les mères s’impatientent.
Des mères épuisées
Lorsque Hind a repris le travail, ce fut la douche froide. « J’avais tout organisé en amont mais la réalité fut très difficile à accepter. Je pleurais en permanence. Mon fils me manquait. La société est tout de même cruelle : injonction à faire des enfants, injonction à reprendre le travail le plus vite possible, injonction à assumer les charges domestiques », enrage-t-elle. « Ma seule consolation : mon fils était gardé par ma belle-mère. Mais toutes les femmes n’ont pas cette chance. Et si j’avais dû le mettre à la crèche, j’aurai fini par démissionner. C’est inhumain d’imposer à un bébé de deux mois le rythme d’un adulte ». Même colère pour Sarah, qui a quitté son travail au cours de sa deuxième grossesse. « J’étais traumatisée par l’expérience avec mon premier enfant », se souvient-elle. « Je me suis sentie complètement dépassée : entre l’allaitement, les nuits blanches, l’angoisse légitime d’être une nouvelle mère… je devais en plus de cela préparer mon retour au travail. C’est beaucoup trop ! ». Sur les réseaux sociaux, de nombreuses femmes regrettent une reprise précoce et attendent avec impatience le vote sur l’allongement du congé de maternité. Si aucune action n’a été pour l’instant décidée, plusieurs mères s’interrogent : « que pouvons-nous faire ? », « existe-t-il une association qui défend les intérêts des mères ? », « et si on faisait une pétition ? », « il faudrait organiser des actions coup de poing ! », « où sont les féministes sur ces questions ? ». Autant de questions qui montrent combien il s’agit d’une problématique sociale qui dit beaucoup de notre société.
Inégalités et discriminations
La Ligue des Electrices Tunisiennes a présenté, fin 2018, une étude sur le congé de maternité et de paternité qui témoigne justement des inégalités entre les sexes, mais aussi entre les mères. Tout en se réjouissant des « évolutions positives », l’association dénonce la vision patriarcale de notre société et les politiques familiales qui contribuent à accroitre les injustices que subissent les mères. En effet, la loi actuelle ne protège pas les femmes enceintes d’un éventuel licenciement dû à une grossesse. Elle n’offre pas non plus les mêmes droits aux mères salariées de la fonction publique et aux mères salariées du privé. Elle exclue les mères célibataires puisqu’elles ne sont pas concernées par le congé de maternité. Et enfin, elle ne permet pas l’égalité hommes-femmes et l’équilibre vie privée-vie professionnelle. Sans éloigner les femmes du marché du travail, un prolongement du congé de maternité et de paternité, serait un levier pour favoriser l’égalité entre les sexes.
Aujourd’hui mère au foyer, Sarah s’inquiète pour son avenir professionnel : « avec 45 minutes de transports entre mon domicile et mon travail, des horaires très contraignants, c’était impossible de retourner travailler deux mois après mon accouchement. J’ai donc été obligé de démissionner et je ne sais pas si je vais pouvoir trouver facilement un autre emploi quand ma fille aura 6 mois ou un an », confie la jeune mère de famille. « Non seulement je m’éloigne du monde du travail mais en plus je me retrouve dépendante financièrement de mon mari », continue-t-elle, amère. Il n’existe pas de statistiques qui fassent le lien entre la rupture d’un contrat de travail et la naissance d’un enfant, mais force est de constater que de nombreuses femmes se retrouvent à jongler entre vie privée et professionnelle dans un contexte d’inégalités entre parents et de sexisme généralisé. Pour Hind, si le nouveau texte de loi doit de toute urgence être voté, « il faudra continuer à militer pour davantage de droits afin que les mères cessent d’être pénalisées ».
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