En matière de cinéma de poche, Nour est de ces courts-métrages qui revendiquent un droit et une liberté. Le droit de se chercher un chemin et la liberté de tomber à plat. Lançant une adolescente et son petit frère sur le trajet d’un rendez-vous, Rim Nakhli glisse des étincelles de vie dans un trousseau de perceptions. C’est une fiction qui, dans la logique de Ranim, son premier court réalisé en 2018, rechigne suffisamment à nous dire de quoi il en retourne pour s’offrir avant tout comme une échappée urbaine. Mais de là à dire que ce deuxième court-métrage lorgne vers l’efficacité d’un détour, il n’y a qu’un pas. C’est peut-être ce pas que Rim Nakhli peine en réalité à franchir.
On craint que le film ne fasse se lever un catalogue d’images lessivées sur l’adolescence au cinéma. Le contour de l’ensemble, à vrai dire, n’y renonce pas tout à fait. Il y a les enfants, Adam et Nour, mais il y a aussi la ville qui se découpe d’entrée sur un plan d’ensemble. Si la cinéaste alterne les points de vue des protagonistes en leur laissant du champ, la focalisation rappelle chaque fois une évidence : leur bulle couve une part d’enchantement en hors-champ de laquelle se tient à distance l’univers des adultes. En héros projetés en avant, l’adolescente sèche le cours et, avec son frère, va à la rencontre d’un père longtemps absent. Avec de tels ingrédients, on se dit que Nour exécute son programme sur un mode mineur, trimballant le temps étiré en moins d’une journée où tout semble s’échapper. Sous la sublimation plastique de sa forme itinérante, et avec un minimum de dialogues, le film avance sur les tapis roulants d’une narration elliptique. Mais pour investir la déambulation d’un rapport de frustration et de satisfaction, le scénario glisse vers une échappée à l’extrémité de la ville, et cadre serré toute une palette d’émotions.
En effet, si Nour avance sans distiller trop d’informations sur son duo de personnages, il fait plier sa conduite au profit d’un rythme de circulation d’un espace à un autre de la ville, entre ses pleins et ses déliés. En les faisant courir dans ses jambes, la traversée éveille chez les deux un espace de complicité. Voici Tunis filmé à hauteur d’enfant et d’adolescent, peint sous les couleurs de l’école buissonnière, glissant vers un temps qui, par moments, ramène la mémoire du spectateur à la logique du film de rue. Entre trajet en bus et en train, rencontres et haltes touillant le loisir de découvrir la ville, la caméra perd le duo un moment dans le vacarme au milieu de la foule, tout en dressant une compilation de sons, de voix et de corps. Si elle n’est pas parcimonieuse en mouvements, la mise en scène apporte du soin à ses cadres pour coller aux points de vue et figurer dans le ventre mou du tableau. Sur ce plan, le film ne s’en sort pas mal, plus sensible qu’il est aux temps faibles qu’aux temps forts. À mesure qu’il avance, Nour s’abandonne au temps de la perception pour se teinter d’une couleur mélancolique à laquelle le récit est disponible.
Néanmoins, l’ensemble serait sans problème si la déambulation au rendez-vous de la narration n’était pas aussi traînante. En angle mort, ce temps supposé fort donne prétexte à l’aventure à taille d’adolescents dans un mouvement de balancier entre échappée et attente. Si la traversée urbaine aura servi de jeu d’échelles au duo, le film laisse l’impression qu’il manque d’une juste évaluation de ses atouts. Certes, la réalisatrice dote les deux points de vue d’une touchante photosensibilité. Mais au lieu de négocier en creux leur relation un tant soit peu hors psychologie, elle n’en dilue pas moins le jeu dans une raideur qui ne profite pas à son horizon d’attente. Certes, le film est un touchant rendez-vous manqué avec le père. Mais il l’est surtout avec le spectateur. Malgré les prises d’élans dans sa manière de dire les choses sans les dire, Rim Nakhli aurait gagné à resserrer les boulons du scénario pour mieux explorer le potentiel de son récit.
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