Réagissant à ce rapport, le Président algérien Abdelmajid Teboun a réitéré l’importance accordée par son pays à ce dossier en affirmant que les bonnes relations avec la France ne se feront pas « au détriment de l’histoire ». Il convient de rappeler qu’en réaction au rapport Stora, la Présidence française avait promis des « actes symboliques » tout en annonçant qu’il n’y aura « ni repentance ni excuses ». L’Elysée souligne également que le Président français « ne regrettait pas » ses déclarations faites à Alger en 2017 ou, en tant que candidat aux élections présidentielles, quand il avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ». Toutefois, il s’agissait visiblement de déclarations de circonstance car, en tant que Président, il n’a donné aucune suite aux démarches entreprises par des activistes issus de la société civile et de milieux universitaires qui militent pour une reconnaissance officielle par la France de ses crimes coloniaux à l’instar de certaines autres puissances coloniales.
Bien au contraire, il a depuis repris à son compte la position de ses prédécesseurs estimant, dans des propos tenus en 2018, qu’il convenait de tourner la page de la colonisation qui appartiendrait au passé. Et c’est ce qui ressort du rapport de Benjamin Stora lequel tend à minimiser la gravité des agissements reprochés à la France durant la colonisation. Ainsi, il recommande la reconnaissance par la France de sa défaite en Algérie et des « exactions et des discriminations » dont ont été victimes les populations algériennes en mettant en avant des faits précis. Toutefois, il estime que « les excès d’une culture de repentance, ou les visions lénifiantes d’une histoire prisonnière des lobbys mémoriels, ne contribuent pas à apaiser la relation à notre passé ».
En vérité, le rapport Stora reflète la tendance dominante au sein de la classe politique française qui, non seulement refuse d’assumer la responsabilité des crimes coloniaux français mais persiste dans sa volonté de réhabiliter ce qui est considéré comme étant « l’œuvre » des colons français en Algérie et au Maghreb.
Réhabilitation de l’entreprise coloniale française
A ce propos, le rapport Stora propose d’inclure, dans le décret de 2003 instituant une journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et la Tunisie, un paragraphe dédié « au souvenir et à l’œuvre » des colons français qui ont quitté ces pays après son accession à l’indépendance. Cette préconisation n’est pas sans rappeler la loi polémique et fortement controversée, adoptée en 2005 qui selon le politologue, spécialiste de l’histoire coloniale Olivier Le Cour Grand Maison « établit une interprétation officielle de la colonisation française en Afrique du Nord et en Indochine en la qualifiant d’ « œuvre » sous-entendu positive évidemment à mettre sur le compte de la colonisation et de ses colons. »
Il importe de rappeler que L’alinéa 2 de son article 4 qui soulignait le « rôle positif » de la présence française en Afrique du Nord finira par être abrogé en 2006 du fait des réserves exprimées par des juristes et des historiens. Il n’en reste pas moins que la suggestion du rapport Stora susmentionnée témoigne que la valorisation des « réalisations » de la France coloniale institutionnalisée par la loi de 2005 demeure vivace et présente dans l’esprit des dirigeants de droite ainsi qu’au sein des milieux politiques et académiques français.
La colonisation est ainsi implicitement dissociée de l’esclavagisme incriminé par la loi Taubira adoptée en 2011 qui reconnait la responsabilité de la France dans la traite négrière transatlantique et l’esclavage. Ce faisant, la France est selon Olivier Le Cour Grand Maison la seule puissance coloniale à s’être « engagée dans cette voie révisionniste et apologétique de la colonisation ». Et il constate que cette politique ne tient aucun compte du nombre de morts dus aux « massacres » occasionnés par les conflits coloniaux impliquant la France entre 1945 et 1962 qui « s’élève à près d’un million dépassant celui des victimes françaises de la seconde guerre mondiale estimé à environ 600.000 ».
En vérité, cette entreprise de réhabilitation et de dédouanement de la colonisation remonte au début des années 80 avec la publication du livre de Bruckner (le sanglot de l’homme blanc) qui fait assumer la responsabilité des problèmes structurels des sociétés anciennement colonisées aux dirigeants des régimes des pays nouvellement indépendants. Depuis, la tendance « apologétique » de la colonisation et de « l’œuvre » coloniale progresse inexorablement au sein de la classe politique et de l’opinion publique en lien avec la montée en puissance de l’extrême droite qui assume ouvertement un discours raciste et islamophobe ciblant les français ou émigrés arabes et africains et notamment la composante maghrébine de la société française. Elle est d’ailleurs défendue et médiatisée « par certains écrivains et intellectuels dont Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner et Pierre Nora ». Quant à Eric Zemmour, il exhibe ouvertement son racisme anti arabe et anti musulman qui est largement médiatisé en dépit des condamnations pénales qu’il a suscitées.
Au début du troisième millénaire, le contentieux colonial Algérie – France se transforme en enjeu électoral avec le retour aux affaires de la droite « modérée » soucieuse de préserver sa base électorale face à la vive concurrence du Front national. Et c’est dans ce contexte que sera adoptée la loi de 2005 ouvrant la voie à un courant apologiste mettant en avant les « bienfaits » de la colonisation. L’universitaire Bernard Lugan qui est l’un des représentants de cette tendance, va au-delà de la glorification des « acquis » de la colonisation. Il dénonce « l’épuration ethnique » et « l’exode » prétendument forcé des colons français et européens qui sont ainsi présentés comme étant les victimes de l’indépendance algérienne. En outre, il conteste l’arabité de l’Algérie dont la majorité de la population « est persuadée d’être arabe alors que nous sommes le plus souvent en présence de berbères raciaux culturellement arabisés et religieusement islamisés » (Nouvelle Revue d’histoire mai juin 2017).
D’ailleurs, il n’est pas exclu que le rapport Stora associé au projet de loi «confortant le respect des principes de la République» en cours d’examen par le parlement français, s’insère dans le cadre d’une sorte de précampagne électorale du Président Macron en prévision de l’échéance présidentielle de 2022. Celle-ci semble en effet liée à la campagne initiée par le Président Français depuis octobre 2020 à l’encontre du « séparatisme musulman » laquelle suscite de nombreuses réserves du fait de son caractère jugé discriminatoire et oppressif à l’égard des français musulmans d’origine arabe et maghrébine.
La France et son legs colonial en Tunisie
Contrairement à l’Algérie, les autorités officielles en Tunisie n’ont jamais réclamé à la France des excuses ou des dédommagements en lien avec la colonisation officiellement qualifiée de « protectorat ». Néanmoins, l’Instance Vérité et Dignité a adressé en juillet 2019 au ministère tunisien des Affaires étrangères ainsi qu’à l’ambassade de France un mémorandum destiné au Président de la République française relatant un ensemble de « violations » perpétrées durant la période coloniale et dont la responsabilité est attribuée à l’Etat français. De ce fait, l’IVD demande, en tant qu’institution en charge de la justice transitionnelle, que les dispositions appropriées soient prises par les autorités françaises en vue de réparer les préjudices subis par les citoyens et l’Etat tunisien. A cet effet, l’Etat français est invité à reconnaitre les faits et à présenter des excuses, à verser des indemnisations aux régions, aux victimes individuelles et à l’Etat tunisien victime de dispositions financières inéquitables. En outre, l’IVD réclame l’annulation de la dette bilatérale qualifiée d’illégitime ainsi que la restitution des archives tunisiennes couvrant la période de 1881 à 1963 à la Tunisie.
A noter que ce mémorandum n’a suscité aucune réaction officielle ni en France ni en Tunisie. Mais il a certainement irrité le Président Macron qui s’en est directement ouvert au Président Kais Saied notamment après que la question eut été évoquée au sein de l’Assemblée des représentants du peuple. A noter la position jugée surprenante et controversée adoptée par le Président Kais Saied à l’égard du fait colonial lors de sa visite officielle à Paris en juin 2020. Dans des déclarations publiques, il avait en effet dissocié la notion de colonisation de celle du « protectorat » ce qui avait suscité de nombreuses critiques en Tunisie, où la France et l’Europe sont mis en cause non seulement pour leur passé colonial mais aussi pour leur politique de domination imposée à la rive Sud de la méditerranée après les indépendances. Sans compter leurs ingérences ainsi que leur responsabilité dans l’effondrement économique et financier de la Tunisie après la révolution.
D’ailleurs, le bilan de la colonisation associé à celui de la politique controversée de la France et du monde occidental en Afrique et dans le Monde arabe depuis les indépendances, s’impose de plus en plus comme l’une des sources majeures de la contestation grandissante de la présence française en Tunisie et en Afrique subsaharienne. Celle-ci sera abordée dans la seconde partie de cet article qui sera focalisée sur le bilan de la politique postcoloniale de la France qui a toujours été centrée sur la préservation des « acquis » de la colonisation ainsi que le maintien des rapports d’exploitation et de domination entre les deux rives de la Méditerranée.
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