Lancée en plein confinement, en avril 2020, par les deux Américains, Paul Davison et Rohan Seth, l’application Clubhouse a été initialement uniquement diffusée sur iPhone. Basée uniquement sur les échanges audio, cette plateforme a bénéficié de la promotion que lui a assurée le fondateur de Tesla, Elon Musk. Ce dernier a même invité le président russe, Vladimir Poutine pour y débattre.
Février 2021 a marqué l’apogée de ladite application avec près de 9 millions de téléchargements, avant de fléchir avec 2.7 millions puis seulement 950 mille utilisateurs, respectivement en mars et avril. Mais depuis sa disponibilité, à partir du 21 mai 2021, sur Android, Clubhouse connait une nouvelle croissance fulgurante avec 2.6 millions de téléchargements en mai, selon les estimations du site Statista. Popularisée d’abord en Amérique du Nord et Amérique Latine, l’application séduit de plus en plus les internautes issus du continent européen, du Moyen-Orient et de l’Afrique, indique la même source.
Un réseau sélectif
Pour être présent sur Clubhouse, il faut le parrainage d’un utilisateur préalablement inscrit. De ce fait, l’application est sélective. Après avoir eu le privilège d’y accéder, l’internaute peut créer son profil et s’abonner à des comptes en fonction de ses centres d’intérêts et de ses choix de contacts. Pour y parvenir, l’application exige de chaque utilisateur d’associer un numéro de téléphone et de fournir sa véritable identité. Les discussions entre les utilisateurs se forment à travers des rooms où on discute de sujets divers et variés et pouvant accueillir jusqu’à 5000 internautes en même temps.
En Tunisie, plusieurs figures politiques à l’instar du nahdhaoui Saïd Ferjani ou encore Adnen Manser, l’ancien directeur du cabinet de l’ex-président Moncef Marzouki, ont fait leur entrée sur la plateforme. D’autres personnalités médiatiques comme Chaima Bouhlel ou Haythem Mekki, et de la société civile, à l’instar du directeur exécutif du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), Alaa Talbi y sont également.
L’ancien ministre chargé de la lutte contre la corruption et secrétaire général d’Attayar, Mohamed Abbou s’est déclaré séduit. L’homme politique fait part à Nawaat de sa satisfaction quant à la qualité des discussions sur cette plateforme. « Ma première expérience m’a offert la possibilité d’un échange intéressant, d’un niveau élevé, et ce, dans un climat favorisant la liberté de ton et la franchise», a-t-il affirmé. L’ancien chef de file d’Attayar apprécie notamment le caractère fermé du réseau social. «J’espère que les échanges ne seront pas exfiltrés du cadre de la communauté ou utilisés par les médias de masse», renchérit-il. Alors que les politiciens tunisiens sont massivement présents sur Facebook, Abbou voit dans Clubhouse un autre espace d’échange dénué d’éventuelles manipulations facebookiennes. «L’échange sur Facebook est devenu de plus en plus difficile. Plusieurs internautes travaillant pour des partis politiques se cachent derrières de faux profils pour orienter l’opinion publique dans tel ou tel sens. Le débat est ainsi biaisé», regrette-t-il.
Rejet de Facebook
C’est cet usage détourné de Facebook qui explique, en partie, la ruée des internautes vers d’autres réseaux sociaux, explique à Nawaat le journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies, Mohamed Ali Souissi. «Facebook a été bousillé par les scandales liés à l’usage des données personnelles, à la censure et la politique de deux poids deux mesures comme c’était le cas récemment lors de la dernière offensive israélienne contre les Palestiniens. Quant à Twitter, il représente une certaine catégorie d’internautes et de débats bien spécifiques. Les jeunes, notamment, se sont tournés par conséquent vers d’autres plateformes, en l’occurrence Instagram, TikTok et Snapchat », constate-t-il.
L’avènement de Clubhouse répond aussi à d’autres comportements dans l’usage des réseaux sociaux où la vidéo et en particulier l’audio ont une place prépondérante. «Avec Clubhouse, l’utilisateur n’est pas amené à écrire ou à monter une vidéo, il n’a qu’à parler. Cette dimension interactive, instantanée et accessible explique aussi son succès», ajoute le journaliste. Il relève par ailleurs que les podcasts ont constitué, avec les blogs, les premières formes de contenus interactifs sur internet. «Certains ont envie de retrouver ce background», avance-t-il.
Suivant le chemin balisé par Clubhouse, d’autres plateformes ont lancé également leurs rooms misant sur l’audio. Facebook vient d’annoncer le lancement aux États-Unis de Live Audio Rooms. Le leader des plateformes de streaming, Spotify, a mis en place sa nouvelle application, Greenroom. Idem pour Twitter avec son option Spaces dédiée à la fonctionnalité audio.
Quid de la sécurité et du modèle économique ?
Le réseau Clubhouse contraint l’utilisateur à fournir son numéro de téléphone et sa véritable identité. Une vérification basique à travers la réception d’un code sur le numéro donné suffit pour accéder à la plateforme. «Comme pour les autres réseaux sociaux, la question de l’usage des données personnelles s’est posée. Est-ce que l’application est en train de vendre ses données ou de les analyser pour optimiser l’utilisation du réseau ? Ces questions requièrent des réponses claires. Les problèmes de confidentialité ont d’ores et déjà fait polémique. Clubhouse a ainsi été critiquée pour sa demande d’accès aux contacts téléphoniques des utilisateurs souhaitant s’y inscrire ou encore sur les enregistrements des conversations», indique Mohamed Ali Souissi. L’authenticité des profils est-elle pour autant véritablement garantie ? « Il y a toujours la possibilité de contourner le mécanisme de vérification en s’octroyant des numéros de téléphones et en créant des adresses mail pour lancer un faux profil », précise Souissi.
La problématique de la vente des données personnelles soulève ainsi la question du modèle économique de ce réseau social. Basé initialement sur la gratuité, Clubhouse a récemment ouvert la voie à la possibilité de monétisation pour ses utilisateurs. Ces derniers peuvent désormais payer pour encourager un contenu. «Dans des pays comme la Tunisie où on n’a pas l’habitude de payer pour accéder ou soutenir un contenu, le modèle économique du réseau se tournerait probablement vers l’insertion des publicités comme c’est le cas sur Youtube», prédit Mohamed Ali Souissi. Et de poursuivre : «Comme pour tout, si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ! Si ce n’est pas la monétisation, c’est la publicité».
Dans ce cadre, Twitter a annoncé, le 23 juin, que ses utilisateurs les plus influents aux Etats-Unis pourront désormais tester de nouvelles fonctionnalités leur offrant la possibilité de proposer des formats et des abonnements payants. Cette tendance gagnera de plus en plus les applications et les les sites de streaming, avec à la clé plus d’internautes, plus d’utilisateurs de smartphones et plus de contenus.
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