Un réveil à 7h du matin. Des enfants à faire sortir de leurs lits, parfois difficilement. Puis il faut leur préparer leur petit-déjeuner et leurs goûters. Il fallait par la suite les déposer à l’école. Le benjamin, en bas-âge chez sa grand-mère à l’autre bout de la ville. L’arrivée au travail à 9h30. Un retard de 30 minutes dû aux bouchons. Une sortie précipitée d’une réunion à 16h45. Il faut récupérer les enfants de l’école et le petit de chez sa grand-mère et essuyer un autre embouteillage monstrueux. Mais, il faut faire vite afin de cuisiner le diner, laver la vaisselle par la suite, etc.
Tout ceci en dorlotant de temps à autre le petit en pleurs et en calmant des enfants qui se bagarrent entre deux exercices scolaires. Des devoirs à chapeauter également. Il est 22h, l’heure de se coucher pour toute la famille. Enfin, presque, car le bébé souffre d’une montée soudaine de fièvre. Demain est autre un jour pour cette mère de famille-type. Jonglant entre vie professionnelle et soins et ménage, beaucoup de femmes tunisiennes sont sur tous les fronts.
L’équivalent de la moitié du PIB tunisien
L’épuisement physique et mental est le lot quotidien de bon nombre d’entre elles, pas suffisamment épaulées par leur époux ou n’ayant pas de gros moyens pour déléguer ces nombreuses tâches domestiques à une aide-ménagère.
Les femmes tunisiennes consacrent ainsi 8 à 12 heures par jour aux charges domestiques, soit entre 33% et 50% de leur budget-temps quotidien. En revanche, les hommes réservent en moyenne à ces tâches 45 minutes, c’est-à-dire à peine 3% de leur temps, selon une étude d’Oxfam, en partenariat avec l’Association Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement (AFTURD), publiée le 25 novembre, dans le cadre de la campagne internationale « 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre ».
Ce travail domestique a un coût, non seulement pour les ménages mais aussi pour l’Etat. D’après l’étude budget-temps en Tunisie (2005/2010), publiée par le ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes Âgées, la valeur de ce travail non-rémunéré est estimée à 23,8 milliards de dinars. Il atteindrait plus de 47,4% du PIB national tunisien de 2006.
La même source a révélé que le temps consacré aux travaux domestiques diffère selon le statut de la femme. Les femmes au foyer consacrent plus de 7h par jour au travail domestique, celles qui travaillent plus de 4h. Celles au chômage ou à la retraite plus de 5h et les étudiantes et élèves plus de 2h. Les femmes âgées entre 35 et 44 ans réservent près de 7h aux tâches ménagères contre moins d’une heure pour les hommes. L’enquête a relevé également que cette charge varie selon le statut matrimonial des femmes. Les femmes mariées passent ainsi deux fois plus de temps dans les activités domestiques que les femmes célibataires.
« Les rôles et les rapports de genre montrent une répartition inégalitaire des tâches entre les sexes : les hommes passent l’essentiel de leur temps au travail professionnel plutôt rémunéré et à mener des activités de loisir, alors que les femmes s’investissent essentiellement dans le travail domestique », avait noté l’économiste et militante féministe Souad Triki en commentant l’enquête précitée.
Bien que les femmes sont de plus en plus instruites (62% de l’effectif étudiant au niveau du supérieur) et actives sur le marché de l’emploi (26 % de la population active en 2005 contre plus de 27% en 2019), elles sont toujours tiraillées entre leur carrière professionnel et les nécessités de leur ménage.
1 sur 5 femmes est cheffe de famille
Les femmes passent ainsi une « double journée », selon les auteures de cette étude, tout en étant aussi indispensables que leurs partenaires masculins pour assurer les charges financières du ménage. Pour une action commune de la société civile tunisienne en 2021, intitulée « 20 arguments pour l’égalité dans l’héritage », l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) a souligné en effet le nombre croissant de femmes cheffes de familles en Tunisie, atteignant 19,4%, soit une femme sur 5.
Les conséquences de ce surmenage sur les femmes ne sont pas uniquement d’ordre familial ou en rapport avecl’épanouissement personnel des Tunisiennes mais impactent également leur accès à l’espace public. « Cette charge de travail de soin non-rémunéré des femmes entrave leur accès aux opportunités économiques et contribue, ainsi, directement à la féminisation de la pauvreté. En effet, le temps passé dans le travail de soin non-rémunéré prive les femmes de l’accès aux opportunités de développement de capacités, la participation à la vie publique et l’accès aux espaces de décision », souligne l’étude d’Oxfam et de l’AFTURD. Celle-ci définit le travail de soins comme étant l’ensemble des services fournis aux membres de la famille et de la communauté en dehors du marché. Ceci englobe les soins directs aux personnes, à l’instar des soins aux enfants ou aux adultes dépendants, ainsi que les travaux domestiques, tels que la cuisine, le nettoyage, etc.
Alléger les charges pesant sur les femmes permettrait également à celles-ci de mieux contribuer au développement économique du pays. «Si les femmes jouaient un rôle identique à celui des hommes dans le marché du travail au niveau mondial, 28 mille milliards de dollars pourraient être ajoutés au produit intérieur brut (PIB) annuel mondial d’ici 2025. La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) pourrait, quant à elle, ajouter jusqu’à 2700 milliards de dollars à son PIB si elle suivait également cette voie», noteun rapport récent, effectué par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et CAWTAR.
Pour y parvenir Oxfam appelle l’Etat tunisien à jouer son rôle en offrant aux ménages l’accès à l’eau, aux services de garderie d’enfants ou encore les centres pour personnes à mobilité réduite ou à besoins spécifiques. Ces services nécessaires sont en l’occurrence susceptibles d’alléger la pression domestique accablant les femmes. Un effort de l’Etat qui ne saurait venir à bout de ces inégalités sans un réel changement des mentalités sur les représentations de la femme aussi bien dans l’espace public que privé.
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