La naissance de Baya TV a été d’abord rendue publique sur les réseaux sociaux. Des instagrammeurs ont été chargés de faire l’éloge de cette chaîne, qui serait dédiée aux thématiques féminines. Et pour représenter la femme tunisienne, les fondateurs de Baya TV ont mis en avant une certaine Mariem Dabbagh. Une femme qui s’est fait connaitre à travers ses chroniques sulfureuses dans une émission animée par Amine Gara. Et qui n’a d’autres talents connus que son flair commercial aiguisé et les formes qu’elle fait mine d’emballer. Elle excelle également dans la provocation, les polémiques et autres crêpages de chignons.
Représentation stéréotypée
Présentée comme l’un des piliers de Baya TV, cette figure a été ainsi mise en vitrine par la chaîne. Pour faire la pub de sa nouvelle boutique, Dabbagh s’est érigée en défenseuse des femmes. Ceci a motivé par ricochet sa décision de participer à cette aventure, qui à ses dires, «encourage la femme tunisienne». L’instagrammeuse claironne ainsi qu’elle ne défend pas les hommes. Parce que «je veux que la femme soit toujours plus forte que l’homme», balance-t-elle avec une légèreté assumée dans un entretien sur Mosaique Fm, le 6 novembre dernier.
Mais elle tient à rassurer le public en avançant qu’elle ne prétend pas représenter la femme tunisienne. « Je défends la femme tunisienne parce que, malgré tout, j’ai des origines tunisiennes. Par contre, je ne suis pas la femme tunisienne entichée de cuisine et de traditions. J’ai une mentalité européenne, je suis loin d’être une Tunisienne », a-t-elle précisé. C’est donc une femme bourrée de préjugés négatifs qui a été chargée de faire la promotion de la chaîne. Et Dabbagh a été ainsi choisie pour animer une émission, et de meubler une deuxième, sur cette même station.
Dans la même interview au sujet de sa participation à Baya TV, Dabbagh a plaidé pour les mariages arrangés et a regretté qu’ils ne soient plus de coutume. Quant à ses choix éditoriaux, elle s’est montrée très professionnelle. « Si je ne connais pas quelqu’un, je ne l’inviterai pas », déclare-t-elle. Et elle poursuit : « Je n’inviterai pas quelqu’un que je n’aime pas. Ceux qui voudraient venir sans mon invitation vont devoir payer. Ils ne pourront pas être dans mon émission gratuitement ». Au diable la déontologie journalistique.
Le parti pris de la chaîne en faveur des starlettes des réseaux sociaux et son obsession par l’apparence ne lui ont pas attiré de foudres, jusqu’à ce qu’elle s’attaque aux féministes. Une vidéo de promotion de la chaîne véhiculant un ensemble de stéréotypes sur les féministes a attiré à Baya TV les critiques du collectif Ena Zeda. Dans cette capsule, les adeptes du féminisme sont parodiées. L’instagrammeur à son origine s’arroge le droit de leur indiquer ce qu’est le féminisme tout en les appelant à prendre l’exemple sur Baya TV. La vidéo a été supprimée mais les militantes d’Ena Zeda ont décidé d’en faire un cas d’école.
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De quoi Baya TV est-elle le nom ?
Dans cette sortie médiatique tonitruante de son égérie, Marwen Ratel, le fondateur de Baya TV, voit «une communication à l’américaine dont le but est de faire le buzz autour de sa nouvelle émission». La manœuvre s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression, s’est-t-il félicité dans un entretien avec Nawaat. Sauf que cette communication ne les a pas vraiment servis puisque la chaîne a été amenée à arrêter la diffusion suite à une mise en garde de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA).
Dans sa décision rendue publique le 16 novembre 2021, l’instance de régulation a infligé à Baya TV une amende de 50 mille dinars pour diffusion sans licence, et ce, conformément aux dispositions du décret-loi 116 de 2011. Le communiqué de l’instance précise qu’un avertissement a été adressé à la chaîne le 11 août 2021 pour qu’elle cesse la diffusion. Des mises en garde perçues par Marwen Ratel comme étant de l’intimidation et une volonté d’étouffer son projet : « Je n’investirai plus aucun sou dans ce pays », s’est-il emporté en commentant la décision de l’instance de régulation de l’audiovisuel.
L’instance de régulation a présenté Baya TV comme étant une chaîne de télévision destinée au public tunisien. Elle a commencé à diffuser le 6 juin 2021 via le satellite Nilesat. La vitrine officielle de cette chaîne est la société de production Vidor Prod détenue par Marwen Ratel. Sur le registre national des entreprises, Vidor Prod est enregistrée comme étant une société commerciale à responsabilité limitée dotée d’un capital de 200 mille dinars.
Présentée comme spécialisée dans les services annexes à la production, sa demande d’enregistrement dans ledit registre remonte au 12 octobre 2021, des semaines après le lancement d’une campagne de communication sur la chaîne. C’est aussi après le commencement de la diffusion que Ratel avait contacté la HAICA pour entamer les procédures d’obtention d’une licence de création et d’exploitation d’une chaîne de télévision privée sur le territoire tunisien, a précisé Hichem Snoussi, membre du conseil de l’instance de régulation, à Nawaat.
La situation illégale de la chaîne, tout comme l’ambiguïté autour de ses ressources et son indifférence à la déontologie, rappelle celle d’un autre média audiovisuel, Nessma. Autre point commun ? Son directeur exécutif Adib Jebali. Ancien collaborateur du chef du gouvernement Hichem Mechichi chargé de la communication digitale, ce proche de Nabil Karoui a été nommé à ce poste suite à une recommandation de ce dernier, nous a informé une source à la Kasbah. D’ailleurs, Jebali faisait partie de l’équipe de Nessma TV en tant que producteur exécutif après avoir travaillé pour Karoui&Karoui comme publicitaire. Il était actif au sein de Nidaa Tounes avant de rejoindre le parti Qalb Tounes en 2019. En 2018, il a été convoqué par la justice suite à une plainte du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) pour publication d’articles mensongers et diffamatoires à travers son site Tunisia Today.
« Démarche suspecte » selon la HAICA
Snoussi décrit la démarche de la chaîne comme étant « suspecte ». « Il est impossible qu’une personne ayant un capital important prenne un tel risque en investissant son argent dans un projet en sachant que tout pourrait s’arrêter suite à une décision de saisie de matériels prise par la HAICA », a renchérit Snoussi.
Et pourtant, Marwen Ratel prétend être un aventurier qui avait ambitionné d’ouvrir une chaîne de télévision pour le « kiffe ». « On ne gagne pas de l’argent en investissant dans une télé. Je suis juste animé par la passion pour ce domaine », a-t-il martelé. Pourtant, l’homme d’affaires qui justifie sa richesse par son activité à la tête d’une société de livraison et son appartenance à une grande famille d’horlogers, n’a pas hésité, à ses dires, à investir «des milliards», pour monter son projet, avec notamment un studio de 1300 mètres carrés. Il déclare avoir déboursé 2 millions de dinars par an pour l’achat officiel des droits TV du championnat de Ligue 1 de football.
D’après Ratel, les fréquences de Baya TV sont détenues par son frère installé en Suisse et ayant la nationalité de ce pays. « Mon frère a voulu une société de production tunisienne pour lancer la chaîne », a-t-il affirmé. En outre, il a laissé entendre que ça sera désormais ailleurs que le projet sera lancé, sans négliger de vilipender copieusement les « bureaucrates » qui gèrent ce secteur.
Ce que Ratel désigne comme étant de la bureaucratie, Snoussi le considère comme une régulation du paysage audiovisuel. « L’instance n’octroie pas de licence de gré à gré. Elle lance un appel à candidatures suivi d’un examen des dossiers déposés. Le conseil décide par la suite d’accorder une licence à la meilleure offre. On ne donne pas une licence à quelqu’un la réclamant après avoir installé sa chaine en mettant le conseil devant le fait accompli», explique-t-il. Et d’ajouter : « Nous travaillons pour garantir la pluralité mais aussi la diversité. Trop de chaînes se ressemblent », concède le représentant de la HAICA.
Et de préciser que Baya TV n’a pas déposé un dossier auprès de la HAICA et que le seul contact établi avec son représentant a permis de savoir que le projet est au nom de la société Ratel. La société Vidor Prod n’avait pas d’existence. De son côté, Marwen Ratel a argué qu’il comptait déposer un dossier en bonne et due forme à l’aune de sa prise de contact antérieure avec les membres de la HAICA.
Baya TV employait 60 journalistes, d’après son représentant. Un chiffre démenti par certaines sources concordantes sollicitées pour y travailler. Ratel déplore leur licenciement suite à la fermeture de sa télé. Il tient l’instance de régulation pour responsable, en l’ayant « mis dans son collimateur depuis l’achat des droits TV du championnat », selon lui. Parmi les journalistes concernés par le licenciement, ceux travaillant sur le digital. A ce jour, la page de Baya TV continue de diffuser de l’actualité. Le feuilleton pourrait connaitre de nouveaux rebondissements.
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