Coécrit avec Natacha de Pontcharra, Doria Achour et Sylvain Cattenoy, le film “Les Enfants rouges” est le deuxième long-métrage réalisé par Lotfi Achour, après “Demain dès l’aube”, sorti en 2016.

Et pour le coup, le cinéaste tunisien a été largement applaudi au niveau international. Le long-métrage a fait un triomphe au Festival International du Film de Namur en 2024, qui lui a décerné en octobre 2024, le prix du Bayard d’Or du meilleur film, ainsi que le Bayard de la meilleure photographie.

“Les Enfants rouges” sera également primé en décembre 2024 par le Festival International du Film de la Mer Rouge (RSIFF) avec deux récompenses à la clé: le Yusr d’Or du Meilleur Film et le Prix de la Meilleure Réalisation.

Au Canada, le film de Achour décrochera une nouvelle distinction en avril 2025, à savoir la mention spéciale dans la catégorie “Droits de la Personne” au Festival international de cinéma Vues d’Afrique à Montréal.

Autant de lauriers, en somme, pour un film qui ravive la mémoire collective autour d’un crime à la fois odieux et chargé de symboles. Une œuvre qui insuffle de l’humanisme aux sommets de la barbarie.

Cette œuvre rend hommage à ceux qui ont été emportés par le tumulte de l’actualité brûlante, et que la mémoire collective a engloutis. Qui se souvient encore de Mabrouk Soltani, atrocement égorgé par des terroristes en 2015 dans les monts de Mghilla ? Qui se rappelle l’horrible image de la tête découpée de Mabrouk, conservée par sa mère dans son réfrigérateur, de cette horreur glaciale ? De son cousin de 14 ans ramenant la tête à la famille ? De cette mère ravagée par la douleur ? Puis de son frère, également décapité par des terroristes deux ans plus tard, le huitième jour du ramadan ? De ce frère dont le destin semblait tracé d’avance, dont l’assassinat paraît une fatalité ?

Une mémoire ensevelie sous le tumulte

Les Tunisiens ont été secoués par ces tragédies, puis sont passés, presque naturellement, à autre chose, absorbés par leur propre destin. Puis par d’autres enjeux politiques. Pourtant, cette famille existe encore, et cet adolescent de 14 ans, qui a porté la tête de Soltani, vit toujours avec les séquelles d’un tel traumatisme. Le terrorisme pèse encore comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

Image du film: Les villageois à la recherche du reste du corps de Nizar

“Les Enfants rouges” ravivent la mémoire autour de ce drame à travers le regard de cet adolescent, interprété avec brio par Ali Hlali. Le film s’inspire de faits réels pour raconter l’histoire de Nizar, 16 ans, un berger décapité par des terroristes sous les yeux de son cousin Achraf, âgé de 14 ans, laissé délibérément en vie pour faire passer leur message.

Nizar aurait collaboré avec les services de renseignement pour signaler les positions des terroristes retranchés dans les montagnes où il menait son troupeau. Le message des terroristes est clair : toute personne collaborant avec les autorités connaîtra le même sort.

Achraf, assommé par la violence du groupe, a du mal à réaliser ce qui s’est passé. Soudain, la traversée joyeuse des reliefs montagneux lors d’une journée de pâturage ordinaire, tourne à un cauchemar, où le rêve se fond dans la sanglante réalité. Sa conscience est troublée par les hallucinations, la désorientation, la perte de repères. Cet état onirique traduit les bouleversements psychologiques causés par une telle violence sur un enfant.


« Les enfants rouges » de Lotfi Achour: un hommage à Mabrouk Soltani et à la mémoire collective
– 22 Dec 2024 –

Lotfi Achour présente son nouveau film « Les enfants rouges » un hommage à Mabrouk Soltani et à la mémoire collective. Long métrage de fiction, Tanit d’or à la 35 ème édition des JCC pour son réalisme percutant et la sensibilité de son image.


Revenu à lui-même, il reste pourtant impassible, transportant machinalement la tête de Nizar, enveloppée dans un sachet, n’ayant en apparence qu’un seul souci : rentrer chez lui. Achraf ne pleure pas, ne crie pas. Il emprunte le chemin périlleux du retour et apporte simplement la tête de son ami à sa mère.

Sidérée, cette femme garde cette partie de son enfant, comme dans les faits réels, dans le réfrigérateur. Elle l’ouvre, le regard perdu dans le sachet. Elle attend désormais ce qui reste de son fils pour l’enterrer. Tout l’entourage se mobilise pour retrouver le reste du corps de Nizar. Achraf est appelé à guider les hommes dans leur recherche, à revivre la même épouvante. Ce qu’il ressent importe peu : il faut retrouver le cadavre, et il est le seul à pouvoir aider, en l’absence des autorités qui n’arrivent pas toujours à secourir la famille.

La douleur comme seul héritage

Pour Lotfi Achour, il ne s’agit pas d’une simple histoire, mais d’un crime odieux. “Ce choix s’explique par le fait que cela touche des enfants et par la mise en scène du crime, l’abjection de l’acte. Fallait-il non seulement assassiner, mais aussi décapiter, et en plus mettre en scène cette horreur ? J’ai essayé de comprendre, de plonger à l’intérieur de la tête du messager qui transporte la tête”, déclare-t-il à Nawaat. Et de poursuivre :

Le choix de l’hors-champ concerne les djihadistes, les journalistes, les autorités, car je voulais éliminer la dimension politique primaire. Ce qui m’intéressait, c’était l’isolement de cette communauté. Elle vit repliée sur elle-même, et l’éventuel salut ne peut venir que d’elle-même, pas d’une autorité politique.

Les personnages de Ashraf et Nizar profitant de la nature avant le crime

Loin de sombrer dans le pathos, le parti pris du réalisateur était de conserver cet aspect glacial et épuré de l’horreur. Le spectateur en sort, comme cette famille, sidéré par l’horreur, gagné par sa propre impuissance à changer les choses. Même si le personnage de la jeune fille qui continue à étudier malgré les conditions difficiles apporte un message d’espoir.

Mais cet espoir se heurte à la réalité misérable de ces communautés vivant encore à la marge du pays, au sens propre comme au figuré. Ces communautés qui côtoient leurs bourreaux, comme si la pauvreté ne suffisait pas.

Des familles meurent encore à cause des mines qui jonchent leur terre. Ce drame rappelle le vécu quotidien d’une partie de la société oubliée, délaissée.

Le silence assourdissant de ces paysages est trompeur, même s’il reflète celui de l’État, incapable, des années après, d’offrir une vie digne à ces gens sacrifiés sur l’autel des intérêts restreints d’une politique uniquement focalisée sur la lutte contre le terrorisme, au détriment des êtres humains qui en sont les premières victimes.

Même le terrorisme qu’il prétend combattre a perdu de sa portée. Galvaudé, utilisé à tout-va pour faire taire des opposants politiques, le mot même de “terrorisme” s’est vidé de son sens. Peut-on vraiment mettre sur le même plan les djihadistes des monts de Mghilla et l’activiste, ancien juge, Ahmed Souad, poursuivi sous la loi antiterroriste ? À force d’user de ce terme, on en vient à oublier les véritables terroristes, et surtout leurs victimes : les frères Soltani, leurs familles, et tant d’autres encore.