Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Un autre Maroc a pris la parole, franchi le pas, et cassé le mur de la peur. Sur les traces de la GenZ népalaise et malgache, révoltées quelques jours auparavant, les jeunes marocains sont descendus, fin septembre dernier, de la plateforme discord vers la rue, brandissant le même étendard issu du manga « One Piece », faisant de cette tête de mort souriante et coiffée, un symbole culturel traversant les frontières et un catalyseur d’un mouvement de masse radicale.

Qu’on l’assimile à la prise de parole de la jeunesse de mai 68, elle-même identifiée à la prise de la bastille en 1789 selon De Certeau, ou à la prise de parole de subalternes, chère à Spivak, ou aux cris stridents de Holloway, qui a théorisé la subversion rémanente afin de changer le monde sans prendre le pouvoir.

Une chose est claire, le Maroc qui est dans les rues cet automne 2025, n’est pas celui aimé par l’occident colonial, de surcroît après sa normalisation avec Israël, préféré par les investisseurs étrangers, et courtisé par les touristes ou les expatriés européens qui trouvent dans ses quartiers huppés et ces Ryadhs, un paradis sur terre.

C’est d’Agadir, autre que celle des stations touristiques, celle où l’hôpital public ne soigne pas, il tue et laisse mourir, qu’est partie l’insurrection. En effet, la mort de huit femmes en couche a déclenché une colère collective rapidement propagée à toutes les villes, grandes, moyennes et petites.

Le message initial de la révolte des jeunes est clair : nous ne voulons pas de la coupe du monde, priorité à l’école et à la santé ‘. Un raccourci à l’image des jargons viraux sur le net, mais plein de sens. C’est cet horizon de sens qui nous interpelle. En fait que rejettent les jeunes et que demandent-ils ? D’où puisent-ils leur puissance d’agir ?

Ce que rejettent ces jeunes, étudiants, lycéens, diplômés chômeurs, victimes du décrochage scolaire, issus des classes moyennes ou populaires, filles et garçons, est cette économie politique du foot performante et juteuse pour les capitaux, et très utile pour la propagande officielle, au détriment de services publics décadents.

Il s’agit, d’une jeunesse plurielle qui dénonce la corruption des élites gouvernantes, qui revendique une autre politique publique au service du social, et qui s’attaque aux inégalités. Elle demande la démission du gouvernement, puis appelle au boycott des entreprises de Aziz Akhannouch et sa famille, milliardaire et chef du gouvernement. Le Maroc est bel et bien un pays de classes sociales ou les couches populaires reprennent la lutte, s’indignent encore une fois sous l’impulsion de sa jeunesse.

Inscrire ce mouvement dans le temps et dans l’espace monde, nous montre deux conclusions évidentes : les jeunes du Maroc et de la région Maghreb se font oublier un moment, mais resurgissent de nouveau à la surface. Sur l’histoire longue et aussi récente depuis 2011, on peut parler de transmission entre générations au Maroc, un pays dans les protestations sociales sont continues. Ce mouvement ne sort donc pas du néant. Selon Leyla Dhakli [1], il témoigne d’une sorte de relais qui se fait de jeunesse en jeunesse. Le mouvement du 20 février 2011 qui était la version marocaine des révoltes arabes, puis le mouvement du Rif 2016 sont les derniers marqueurs forts de cette continuité. En bref c’est une sociologie des révoltes, de l’expérience militante, qui se produit dans et par le réel. Il creuse son propre sillon, sans s’articuler particulièrement aux institutions.

L’autre conclusion est la dimension quasi mondiale du mouvement et de son répertoire d’action. De ce fait, cette injonction si rapide entre le national et l’international. On a beau parler du pouvoir de la mondialisation à standardiser les pensées, les comportements, et de nous spolier la dignité de penser par nous-mêmes. Ironie du sort c’est cette mondialisation de la nouvelle technologie qui enfante ces résistances. Nous le savons depuis Foucault, le pouvoir disciplinaire assujettit le sujet, mais ouvre également la voie à des possibles résistances.

Comment comprendre donc cet évènement, qui met encore une fois les sociologues dans l’embarras, considérant qu’il est l’apanage des journalistes ? L’évènement déboussole aussi toute philosophie se voulant chouette de minerve qui ne prend son envol qu’au début du crépuscule. Et qui reste en décalage avec l’histoire qui est en train de se faire. Le présentisme ne séduit pas la raison transcendante.

Observer cette jeunesse, se mobiliser en masse au Maroc depuis des jours, nous poussent à réviser nos jugements sur cette génération que nous qualifions de résignée, de dystopique, de consentie. En effet prisonniers de leur nouveau habitus de swipper, de scroller (faire défiler verticalement les infos et les images sur leur écrans sans lire) ces jeunes sont qualifiés d’être dépourvus de toute attention, d’apolitiques, et même de déséquilibrés psychologiques.  Car ils ont érigé entre eux et la chair du monde des écrans et des kits qui les isolent comme des monades.  En revanche, leur inventivité, et leur capacité à mobiliser les nouvelles ressources et de saisir l’opportunité politique est un révélateur d’une autre conscience collective et d’un autre mode opératoire.

Stigmatisée par leur ainés et traitée d’anxieuse et de paresseuse, cette génération est de fait la première qui ne croit plus au futur. Selon elle, demain ne sera pas meilleur. Privée d’horizon, elle a du mal à croire qu’il existe quelque chose en quoi elle peut espérer. Elle est en mouvement permanent sur un espace lisse, horizontal, sans hiérarchie, sans pouvoir (ou vouloir) se projeter.

A vrai dire, cette horizontalité, est de plus en plus reconnue en philosophie. On a de l’herbe dans la tête et pas un arbre, nous annonça Deleuze. L’autre métaphore qui valorise la fluidité chez Deleuze est celle de la musique, “Les transformations en musique sont vraiment l’art de la variation” écrivaient Deleuze et Guattari. Sur cette base, on est appelé à penser les conditions de l’expérience réelle, et à expérimenter les conditions de la pensée libre.  En somme, cette sociabilité est caractérisée par la liberté, par l’incertitude, par le changement, par la précarité, par la vulnérabilité, et par l’insécurité. Rien n’est coulé dans le béton.

Les N.T.I.C, menace pour la démocratie, ou renouveau des liens sociaux ?

Ces révoltes des GenZ de par le monde, viennent nous rappeler que nous vivons depuis le début du nouveau millénaire, un basculement significatif touchant tous les aspects de la vie sociale. L’histoire n’est pas à l’arrêt, comme le préconisait Fukuyama. Le choc des civilisations n’est pas une fatalité comme le voulait Huntington.

L’accélération, que nous imposent les transformations technologiques sont la continuité d’une métamorphose amorcée avec la crise de la modernité, avec ces corollaires, la critique de la technique, de la raison instrumentale, et la monté de l’insignifiance.

C’est ce passage, vers une société liquide, et à une vie liquide selon l’expression de Zygmunt Bauman[2] qui caractérise notre temps. Son point de départ est cette distinction entre les corps solides et les corps liquides. En effet, les liens entre les particules des corps liquides sont trop faibles. Cette phase de modernité liquide se distingue de la phase de la “modernité solide” caractérisée par des formes sociales stables et bien définies, des hiérarchies, des institutions, une rationalité et une bureaucratie rigoureuse.

L’individu de la modernité liquide est amené à faire sans cesse des choix nouveaux fluctuants, en mouvement rapide au gré des exigences socioéconomiques. L’avènement du numérique, et des Big techs n’ont fait qu’accélérer cette liquidité de l’être.

Néanmoins, le débat sur le rôle des nouvelles technologies de la communication reste ouvert.

Cette technologie totale selon l’expression d’Asma Mhalla, a introduit une rupture dans notre rapport au temps, mais aussi dans nos représentations politiques et notre conception du monde : « une ambition politique de contrôle, de pouvoir et de puissance, mise en musique à la fois par les États (Big- States) et les géants technologiques (Big-Tech) »

On imagine avec elle un “Léviathan à deux têtes”, pour brosser la relation complexe entre les Big Tech et ce qu’elle nomme les “Big States. Elle écrit :

Le Big State est un État fort qui entretient avec les BigTech un rapport liquide, variable, lunatique, ambivalent.  [3]

Il est question de montrer les dynamiques nouvelles de pouvoir, et de surveillance et de contrôle afin de reconsidérer notre conception des relations entre technologie, politique et société.

Le plus grave à la suite de ces postulats, consiste en cette force dont disposent ces technologies pour transformer chaque citoyen en un soldat involontaire d’une nouvelle forme de guerre technologique.

En effet, les techniques de manipulation psychologique, augmentées par les technologies de l’hypervitesse, sont instrumentalisées pour façonner les opinions, et les comportements. Chomsky et Herman ont, depuis les années 80, déconstruit dans une veine adornienne, la fabrique du consentement, dont usent les médias de masse, aux Etats-Unis, pour faire l’éloge du libéralisme et blanchir la politique étrangère de la puissance américaine.

Plus récemment, l’homme augmenté par l’usage de la technologie est un citoyen amoindri et devenu une proie facile pour les discours autoritaires, populistes. Trump est l’exemple parlant de cet usage fallacieux. Pour créer son public, son électorat et garder une présence quasi permanente sur les réseaux, reliée de plus en plus par les médias classiques, Trump sature l’espace médiatique mondial.

Néanmoins, l’usage social massif des nouvelles technologies a façonné notre quotidien et nos liens sociaux en créant des nouveaux types de liens paradoxalement forts et faibles. Dès 1973, dans un article de référence “La force des liens faibles“, Mark Granovetter observe et décrit tous ces liens étrangers aux solidarités familiales, professionnelles et amicales immédiates.[4]

Reprise par Sandra Laugier et Alexandre Geffen, dans une optique philosophique et politique, la notion de la force des liens faibles est mobilisée pour comprendre les formes contemporaines d’attachement et d’attention aux autres, que créent les réseaux sociaux et les éventualités d’un nouvel usage au service de la démocratie et de l’émancipation[5].

Deux manières d’envisager la technologie numérique se profilent, la première comme menace pour la démocratie et la deuxième comme levier pour l’émergence d’un nouvel espace public démocratique.

Par la technologie, Trump a inauguré ce que J M Salmon appelle la politique à la renverse car si les politiques qui visent traditionnellement la magistrature suprême, prennent la tête d’un parti ou d’un courant politique, Trump fait usage des médias comme Facebook, X, et Truth social, pour ouvrir son chemin. Il a saisi l’opportunité de s’adresser directement sans intermédiaires aux électeurs. En créant son style à lui dans l’usage de X, avec des phrases courtes, des acronymes, des majuscules, il est devenu accessible au plus grand nombre. Dans ce nouvel écosystème politico-médiatique, les surgissements émotionnelles prennent le dessus sur celles de la rationalité[6].

D’un autre côté, Julien Assange, Edward Snowden, instaurent une culture de cyberdissidence et de lancement d’alerte, défiant la domination des Big Techs et transformant la toile en arène de bataille. Ils ont ouvert la voie à des possibles mobilisations émancipatrices par le numérique. Le numérique est dès lors un levier potentiel de résistance et de changement social et politique.

Ainsi, les effets levier du numérique deviennent performatifs. Mais qui peut les porter ? Comment ces leviers sont confrontés, et opposés à ce que Sartre appelle le Partico-inerte, pour nommer le poids des traditions du passé qui figent les individus et les sociétés. Marx, puis Bourdieu utilisaient l’expression du mort qui saisit le vif pour dénoncer cette inertie. Par extension, nous disons aujourd’hui le vieux qui saisit le revivifié.

Multiplicité des mouvements, multiplicité des acteurs

La société en réseaux, à l’image du Rhizome, et de la toile, regorge de tentatives d’organiser la politique horizontalement, hormis de toute reproduction des hiérarchies sociales. Nous vivons dans cette nouvelle configuration avec la multiplication des mouvements sociaux de contestation, de colère, et d’indignation. Certains historiens remontent ce basculement à la révolte zapatiste du Chiapas mexicain, avant de centrer l’intérêt sur le processus global des Forums sociaux mondiaux durant deux décennies, en passant par les révoltes arabes de 2011 et 2019.

Des années durant, des masses investissent l’espace public pour contester la déliquescence des services publics, la dictature du marché imposée par l’idéologie néolibérale, l’extractivisme désastreux pour les équilibres écologiques, les régimes répressifs et corrompus, les guerres impérialistes et le néocolonialisme les droits humains, les droits de femmes et des minorités…

Ce sentiment d’abandon social est largement diffus. Il est mondial. Le manifester publiquement ne peut être qu’un bon signe, car il interpelle le système démocratique et met à mal les institutions qui prétendent l’assurer. Ainsi, la désillusion sur la fin du politique et de l’idéologie grandit, de surcroit avec le retour de la conflictualité.

Il y a certes la matérialité du vécu, un champ de l’expérience, mais aussi les représentations, et les imaginaires collectifs qui se construisent. Ils ne sont pas le produit des idées pures. Ils ne descendent pas du ciel disait Marx. Par conséquent, l’imaginaire social engendre des projections politiques qui se confrontent à l’irrégularité et l’effectivité des événements, qui viennent de leur côté corriger les images et les représentations dans un aller retour entre imaginaire, expérience et réflexivité.

C’est ainsi que se produit le passage de la répétition des expériences, du séquentiel, de l’éphémère, à une production de conscience collective et d’une socialisation de l’imaginaire. Ceci dit, dans cette production et cette capacité à critiquer le présent et à se projeter dans le futur, les émotions jouent un rôle fondamental.

En théorie, ce rôle des émotions est déjà affirmé par la conclusion d’Antonio Damasios sur l’erreur de Descartes, l’idée selon laquelle l’homme n’est pas seulement esprit. S’il pense, il le fait dans son corps et par son corps aussi. En revanche il donne raison à Spinoza quand il défend cette unité du corps et de l’esprit. L’homme est ontologiquement habité par un désir de vie de liberté de vouloir persévérer dans l’être. Désirer c’est convertir ses passions en forte capacité d’agir. L’argentin Miguel Benasayag le dit clairement “c’est dans le corps que s’inscrivent les passions, les pulsions, la mémoire de longue durée”[7] . Le partage, le don et l’élan ne se font pas par un calcul rationnel ; ils sont l’effet des affects, des passions et des émotions.

La multiplication de production des idées, et leur circulation ne suffisent pas pour produire un basculement dans les imaginaires sociaux. Il faut à un moment donné partager un imaginaire collectif. Les collectifs GenZ du Népal, du Maroc, du Bangladesh, du Kenya et d’ailleurs, illustrent ce point de bascule.

GenZ 216, un acteur dans la tourmente de la révolution

On ne parle pas à présent d’un collectif GenZ 216, Sauf que cette génération était présente au moment de 2010-2011, la toile, le Rap, les groupes ultras, les contestations de rue visibilisent davantage cette présence et affirment ces nouvelles formes de socialisation politique.

On l’avait dit depuis 2011, la jeunesse s’est positionnée comme un nouvel acteur social révolutionnaire. En effet, cette dimension générationnelle nous a rappelé la question des générations, traitée depuis le début du 20 siècle par Karl Mannheim. C’est grâce à lui que la sociologie a intégré cette notion de génération qui permet de délimiter l’espace-temps des expériences et des références communes exprimant ou révélant un air du temps, un esprit d’époque. La même contemporanéité.[8]

Olivier Galand, continue à enrichir lui aussi, les recherches sur la sociologie de la jeunesse, sur la complexité de la réalité contemporaine de cette catégorie sociale, et sur les nouveaux enjeux qui lui sont attachés, plus qu’une sociologie des âges de la vie, de l’adolescence, et de l’entrée à la vie adulte. Il s’intéresse aussi dans la cinquième édition de son ouvrage la sociologie de la jeunesse [9] aux multiples usages des technologies communicationnelles.

Il va sans dire que les jeunes : Tunisiens, Magrébins, du sud et du monde entier jouent aujourd’hui un rôle majeur dans le nouveau basculement du monde. Les jeunes du Maroc, et du Maghreb ne sont pas un troupeau docile, et ils n’ont plus de difficulté de grandir dans le sens d’accepter les normes dominantes, et d’entrer dans le moule. Nous pouvons même avancer que cette génération Z (15-30 ans) galope rapidement, surprend, et met à mal nos préjugés.

Par son regard focalisé sur le Maghreb, Sihem Najar affirme qu’il est indéniable que cette nouvelle donne communicationnelle marquante de notre époque contribue, dans une large mesure, aux transformations des liens sociaux et à l’émergence de logiques identitaires (et identificatoires) engagées par les individus et les groupes.[10]

Rappelons rapidement l’apport majeur des cyberdissidents avec deux pionniers “Takriz” fondé par Waterman et Fœtus, et “Tunezine”, créé par Zouhair Yahaoui. Des blogueurs initiateurs des forums de discussion libres, qui ont défié la censure et les médias de propagande. L’expérience de Lina Ben Mhenni est dans ce sens légendaire. En un mot, ces jeunes ont été des “bifurqeurs”’dans l’espace public.

Il a fallu attendre 2008 pour voir l’entrée en lice des réseaux sociaux Facebook et Twitter, pour assister à l’élargissement de l’usage du nouvel espace public en ligne. On n’exagère pas si nous concluons que cette génération a réussi à créer un nouvel espace contestataire de “contre-public subalterne” comme le nomme Nancy Fraser [11]. Sans la réduire à une révolution 2.0 et lui amputer sa substance populaire, sociale et politique, la révolution tunisienne doit beaucoup à l’émergence d’un nouveau mouvement social sur la toile.

Hélas, la parenthèse engagée avec la Révolution nous a semblé définitivement close. En effet, des enquêtes, des observations et des études soulignent l’ampleur du désenchantement politique, la fatigue démocratique et un dégout des élites politiques. Il est vrai est que les diverses pratiques et formes de participation associées à la sphère politique instituée paraissent n’avoir aucun intérêt pour les jeunes. Les discours classiques sont de plus en plus rejetés et dépourvus de toute utilité à leurs yeux.

Passé le moment où la révolution était un objet de désir, la révolution dans toutes ces appellations ne stimule plus les esprits. L’attention des chercheurs est passée de l’étude des protestations sociales, de la situation révolutionnaire, de l’issu révolutionnaire, à l’étude des raisons d’un échec, à comprendre le moment populiste, et à analyser l’hibernation du politique.

Toutefois, toute expression sociale, et de surcroît les manifestations de rue, les rassemblements, les sit-in, et les mobilisations sur la toile, malgré le décret-loi répressif 54 mis en application en septembre 2022, faisant depuis beaucoup de victimes, et dissuadant toujours le grand public, sont des signes de vie d’une société. La transition est certainement bloquée, le consensus amorphe est caduc. En revanche, il est certain qu’une révolution est passée par là. Elle couve toujours, elle surgira un jour.

En guise de conclusion, nous dirons que l’irruption de cette génération ouvre la voie à une réflexivité philosophique et politique qui questionne des postulats et des évidences. Nous vivons un nouveau cycle de mobilisations, et une activation du conflit enracinée dans les actions et les discours comme nécessité démocratique, nourrie par une aspiration à l’égalité, la dignité et la liberté. Cette activation crée les conditions d’effectivité de la justice et de l’égalité. Le mépris ressenti face aux inégalités aux injustices attise la souffrance et incite à la résistance.

Ceci nous amène à définir la démocratie comme une insurgence permanente. Ce qui signifie que les institutions ne font pas tout, même si elles demeurent nécessaires, et que le débat n’est jamais fini, mais reste constamment renouvelé et réanimé. Le débat n’est pas envisagé comme discussion rationnelle excluante des minorisés, des sans parts, des vulnérables et organisée par les élites et entre elles.

Le défi n’est plus celui d’antan : assurer la jonction entre élite révolutionnaire et classe ouvrière, mais plutôt sérier ces luttes multiples. Les individualités, les subjectivités les interpellent le sociologue et le politiste ; ils ne sont plus des notions exclusives à la psychologie. Il est court de dire que ce bouleversement a créé un individualisme amorphe. Il a donné naissance aussi à des subjectivités subversives.

On peut dire approximativement que cette prolifération du numérique à partir des années 2000 a bouleversé le monde moderne. Elle a donné lieu à une autre société, celle du spectacle, de la consommation et de la fin de la pensée critique.

A y regarder de près, ce bouleversement a créé autant des nouvelles formes de pouvoir que des nouvelles résistances et a favorisé la démultiplication des sujets politiques.

De ce point de vue, les élites politiques, sont interpelées, pour réinventer la politique, renouveler son mode opératoire, et briser la glaciation dogmatique du politique qui les menace de devenir eux mêmes une force d’inertie et non un mouvement d’émancipation.

Les jeunes révoltés sont aussi face à un défi majeur : faut-il se contenter de destituer ? Faut-il penser à réinstituer ?


[1] Camille Pagella ,  journal, Le temps suisse,   9 octobre 2025

[2] Z. Bauman la vie liquide fayard,( 2005)   2013

[3] Mhalla Asma, Technopolitique. Comment la technologie fait de nous des soldats, Paris : Seuil, 2024 et Cyberpunk le nouveau système totalitaire seuil 2025

[4] M. S. Granovetter, « The Strength of Weak Ties », American Journal of Sociology, vol. 78, mai 1973, p. 1360-1380.

[5] Sandra Laugier, Alendre Geffen, le pouvoir des liens faibles ( dir ) CNRS ed.

[6] J.M. Salmon Donald Trump la politique à la renverse, les petits matins, 2025

[7]   Miguel Benasayag ,    La Tyrannie des algorithmes , Paris textuel 2019 ,

[8] K Kar Mannheim, le problème des générations 1928 trad Gérard Mauger, Paris Nathan, 1990

[9] Olivier Galland, sociologie de la jeunesse, Armand Collin, paris 2011

[10] Sihem Najjar, Les pratiques sociales de l’Internet et les transformations des identités et des liens sociaux au Maghreb, Étude de communautés diasporiques tunisiennes, Revue géographique des pays méditerranéens p 49 -57 n 116, 2011. 

[11]  Romain Lecomte, les usages citoyens d’internet dans le contexte autoritaire tunisien : analyse de l’émergence d’un nouvel espace public de la critique