Samedi dernier un atelier d’écriture citoyenne de la constitution a été organisé par l’association Lam Echaml à Tunis. Différents acteurs de l’univers des médias se sont retrouvés pour discuter de la situation de la presse en Tunisie. Le premier atelier portait sur la liberté de la presse, une liberté qui dépend de plusieurs facteurs. Tour de table des points de vue.

Au vu du nombres de manifestations réprimées dans le pays on a vite fait d’assimiler journalistes à coup de bâton. Pas facile de faire son métier en Tunisie. En laissant de côté les problèmes de formation et de pratiques professionnelles, et en ne prenant en compte que la réalité « pratique » du travail, on se rend vite compte du fait que sur le terrain faire son travail n’est pas évident.

Ainsi les premiers obstacles à la liberté de la presse en Tunisie sont la violence et la répression. Olivia Gré, du bureau RSF de Tunisie, dresse un bilan assez sombre de la situation. « Entre 2011 et 2012 le nombre d’agressions a augmenté. » Et ces agressions sont de différentes types : physique, verbales, psychologiques.
« Les journalistes sont agressés sur le terrain par les forces de l’ordre, par les groupes extrémistes religieux, mais aussi par les citoyens eux-même, du fait du manque d’éducation aux médias, de la frustration et du mécontentement. Et puis il y a les agressions qui viennent de la part des hommes politique via des discours violents. »

En plus de se voir maltraiter physiquement beaucoup de journalistes voient leur matériel brisé ou confisqué, surtout quand ils sont facilement identifiables comme les journalistes des médias audiovisuels qui sont régulièrement pris à parti. Sortir une caméra ou un appareil photo peut vite se retourner contre soi. Dernier exemple en date samedi dernier, justement, Ines Ben Othman, photographe et Abdeljabbar Madouri, rédacteur en chef de Sawt Echaab ont été agressés alors qu’il couvraient une descente de police.

Ce qui inquiète RSF, en plus de la recrudescence des violences, c’est le double langage de la justice qui « relâche toujours rapidement les agresseurs de journalistes quand les journalistes eux ne sont pas relâchés aussi rapidement. » Pourtant la violence doit toujours être sanctionnée car l’impunité ne fait qu’encourager ce type de comportement.

Les journalistes sont en danger. Et ce fait vient aussi du flou juridique qui entoure leur statut. Les décrets 115 et 116 ne sont toujours pas appliqués et des journalistes continuent à être inquiétés du fait de l’application de l’article 121 du CP. Un article qui condamne l’atteinte aux bonnes moeurs et le trouble à l’ordre public.

Il est pourtant claire qu’une structure juridique est nécessaire pour encadrer le travail des médias. Un travail dont l’éthique peut être remise en question du fait de financement occultes par exemple. Ainsi Hassen Zargouni, directeur du bureau d’études Sigma Conseil a tenu à souligner ce point qui lui semble fondamental. L’expérience du monitoring des investissements publicitaires dans les médias lui a permis de tirer la conclusion que cet aspect doit être mieux régulé. « Nous avons hérité de médias et de structures déséquilibrés financièrement, avec de la corruption. Si bien que l’on se retrouve avec des cas de figures dérangeants. Ainsi on peut se retrouver avec des annonceurs qui donne un budget publicitaire et exige en contre partie une couverture biaisée de son actualité. » Là encore la manière de lutter contre ces risques et de mettre en place des structures de contrôle.

Un autre point que Hassen Zargouni a voulu soulever est celui du lien entre le pouvoir politique et les médias. Selon lui le pouvoir dépend de trois choses. L’argent qui permet de gagner des élections en investissant dans des campagnes. Viennent ensuite les réseaux de connaissance qui permettent de se faire connaître sur le terrain. Le dernier élément serait les médias audiovisuels car le pouvoir s’acquiert grâce à la notoriété. « Aujourd’hui en France les élections se jouent à 50-50, comme aux USA et cela vient du fait qu’un monitoring permanent de la présence des forces politiques dans les médias a lieu. » Ce monitoring permet de rééquilibrer les temps de parole pour que la même présence soit accordée à tous.

« En Tunisie le monitoring a montrer que le parti au pouvoir avait bénéficier de 38% du temps d’exposition. Or il a remporté les élections avec 37,8% des voix. La même équation peut être appliqué au parti de Hechmi Hamdi, dont le pourcentage de temps d’exposition est, lui aussi, égal à son score électoral. » Voilà pourquoi des médias indépendant et libres sont indispensables. Pour éviter la désinformation et la manipulation. Pour éviter aux gouvernant d’avoir la main mise.

Le fait d’avoir un financement qui permet une indépendance et donc de ne pas tendre vers un homme politique ou un homme d’affaire qui orienterait le débat, permet d’avoir des médias indépendants, qui jouent leur rôle. Et cette indépendance des médias est une garantie pour la démocratie.

Il faut donc des lois pour qu’un réel statut et une protection existe. Il faut une autorité de régulation pour la question financière. Il faut que les libertés d’expression et de la presse soit constitutionnalisées. Il faut que les directeurs de médias ne soient pas mis en place par le pouvoir politique, pour que les hommes politiques ne puissent pas exercer une censure indirecte sur les publications, comme c’est le cas actuellement avec le limogeage de Sadok Bouaban, directeur de de la télévision nationale… plusieurs facteurs sont donc à mettre en place si l’on souhaite voir, un jour, une presse libre se mettre en place.

Mais au-delà de ça, l’aspect le plus important pour Om Zied est le savoir être journalistique. Elle a expliqué que la défense de la presse dépend, pour elle, de bien d’autre chose que de simples lois. « Il s’agit d’une manière d’être. C’est intéressant de faire ce type d’atelier d’écriture mais ce n’est pas suffisant. Car on peut avoir la meilleure des constitution avec tout de même des libertés bafouées, avec une équipe gouvernante qui ne respectent pas les lois. Il ne s’agit pas seulement d’avoir des textes il faut avoir des comportements citoyens et être imbus de sa liberté. »

Avant de dire que nous avons une presse libre il faut pouvoir dire que nous avons des journalistes libres. Car c’est eux qui seront à même de défendre leurs médias. Et cette idée d’auto-determintion Om Zied l’appuie par quelques citations comme « celui qui a la faim dans son âme ne peut jamais être repus » et celle qui dit « tel que vous êtes vous serez gouvernés ». Om Zied fait passer un message clair : si nous ne décidons pas à être vainqueurs nous serons toujours vaincus. Il nous faut donc être dignes pour être gouvernés dignement.