La polémique autour du parachutage de Lotfi Touati à la tête de Dar Assabah fait grand bruit et ce malgré le fait que sa nomination n’ait pas été entérinée ce matin. C’est qu’au delà du personnage, la méthode de nomination pose problème.

Les employés de Dar Assabah ont prévu un sit-in demain à la Kasbah « pour la liberté de la presse, parce que notre combat continue » lance Mouna Ben Gamra, journaliste depuis deux ans à la rédaction du journal Le Temps. Aujourd’hui ils ont tout de même reçu « une bonne nouvelle » : le Conseil d’administration réunit ce matin, et qui devait mettre en place un nouveau directeur, Lotfi Touati, a débouché sur un statu-quo : 3 votes contre le limogeage de Kamel Samari, actuel dirigeant et contre la nomination de Lotfi Touati et 3 votes pour le limogeage et pour la nouvelle nomination. L’Assemblée Générale doit se réunir dans 23 jours pour valider cette décision.

En attendant que la situation change, tous restent mobilisés. « Le problème c’est que le gouvernement veut mettre le grappin sur les médias. Cette nomination c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase » témoigne Mouna. Depuis le 14 janvier les mentalités dans le secteur des médias évoluent. Mais les journalistes continuent de garder un sentiment de défiance envers le gouvernement. A raison au vu des evenements.

Mouna connait le style de Lotfi Touati, car elle a travaillé avec lui dans le journal Le Quotidien. Pour elle, cette nomination c’est un retour en arrière qu’elle refuse :

« Nous ne nous laisserons pas faire. Avec l’ancien régime nous avons observé sans pour autant réagir. Là ce n’est plus le cas. Nous allons nous battre et ne pas nous laisser faire. Nous défendons la ligne éditoriale de base du journal, c’est tout ce qui nous intéresse au niveau des journalistes. »

Ce qu’elle explique aussi c’est que la bataille ne se joue pas contre le personnage mais avant tout contre le gouvernement et ses méthodes.

Essia Atrous est journaliste à Assabah depuis 20 ans. Elle aussi refuse cette nomination : « Je ne suis pas contre le fait que l’Etat nomme quelqu’un, mais ça doit être fait dans la concertation. Il faut quelqu’un de compétent, avec de l’expérience et autonome. Or il s’avère que M. Touati a travaillé au ministère de l’Intérieur. Ici il s’agit d’une nomination basée sur la loyauté au pouvoir et non sur la base des compétences. Une institution médiatique comme Dar Assabah ne peut être dirigée par une mentalité policière. »

Un communiqué ambiguë a été publié aujourd’hui dans les journaux par le syndicat. Sa lecture ne permet pas de comprendre dans quel sens il penche. Le seul membre du syndicat de base de Dar Assabah croisé dans les couloirs a refusé de s’exprimer, nous renvoyant vers le communiqué de presse. Les agents, cadres et journalistes de Dar Assabah ont, eux aussi, émis un communiqué, notifiant leur refus de la nomination de Lotfi Touati. Ces communiqués sont la deuxième action dans les pages du journal en quelques jours. Vendredi 17 août les journaux Le Temps et Assabah avaient laissé vide la colonne de l’édito : « C’était une première depuis la crétaion des journaux. Nous avons eu beaucoup de réactions positives. » témoigne Mouna.

« Ici c’est le problème de la liberté d’expression qui est en jeu » explique-t-elle. Myriam El Jed, designer web, confirme :

« Le fait que le gouvernement contrôle les médias c’est un premier pas pour contrôler tout le reste. »

Les employés de Dar Assabah auraient voulu que la nomination se fasse en interne, en tenant compte des compétences et de l’investissement des employés et non via un parachutage de la part du gouvernement.

Les membres de la rédaction sont soutenus dans leur action par le Syndicat National des Journalistes Tunisien. Zied El-Heni, membre du bureau exécutif du SNJT l’explique.

« Suite aux dernières nominations à la tête de la télé nationale et de Dar Assabah, nous organisons vendredi 24 août une Assemblée Générale pour appeler à une grève générale. Les nominations qui ont eu lieu mettent en place des gens connus pour leurs relations étroites avec l’ancien régime et le parti dissout. Nous trouvons ces nominations contre révolutionnaire et aspirons à un changement dans le secteur des médias. »

Et de préciser : « il faut continuer dans le sens de la coupure avec l’ancien régime. Le secteur ne peut aller dans le sens de l’hégémonie du gouvernement et essentiellement du parti Ennahdha qui est en train d’essayer de caporaliser les médias. »

Le fait est que même en voulant s’appuyer sur un cadre législatif pour le choix d’un dirigeant, il serait difficile de le faire, rien n’étant prévu à cet effet. Même le décret 115 pour la presse écrite, qui est laissé en suspend par le gouvernement, ne contient rien sur la création d’un organisme de régulation pour la presse écrite et donc sur la nomination des dirigeants de médias publics.

Or c’est bien de ça dont il s’agit ici. Dar Assabah avait pour actionnaire principal Princesse Holding de Mohamed Sakhr El Materi, dont les biens ont été confisqués pas l’Etat. Ce dernier c’est donc retrouvé actionnaire principal. Dar Assabah tombant ainsi dans le giron de l’Etat il semble logique que celui-ci participe à la nomination d’un nouveau dirigeant. Kamel Samari, actuel dirigeant de Dar Assabah, a été mis en place par l’Etat comme administrateur représentant l’Etat au sein du Conseil d’administration en septembre 2011.

Lotfi Touati, qui devait prendre sa place, est décrié du fait de son implication avec l’ancien régime et ses articles élogieux à l’égard du Président déchu, en plus du fait qu’il ait été commissaire de police.

La direction du journal comme le conseil administratif étant très pris personne n’a pu répondre à nos questions.

Par ailleurs nawaat.org a essayé de joindre le Premier Ministère pour comprendre son choix de nommer Lotfi Touati à ce poste, mais, comme d’habitude, le Premier Ministère était injoignable.